A propos du documentaire « Ni Dieu, ni Maître, une histoire de l’anarchisme » : L’épisode d’Haymarket square

L’épisode d’Haymarket square

Samedi 5 mai à 19h

Il y a maintenant un peu moins d’un an était diffusé sur Arte le documentaire Ni Dieu ni Maître – Une histoire de l’anarchisme de Tancrède Ramonet. Dans une période de misère politique, alors que la mainmise sur l’histoire des luttes et des mouvements révolutionnaires reste le dernier bastion auquel s’accroche le vieux Parti Communiste, ce documentaire qui se présente comme une « réhabilitation de l’anarchisme » (!) a été accueilli plutôt positivement dans les milieux militants et institutionnels. En période de disette, tout n’est pas pour autant bon à prendre. S’il nous a semblé nécessaire de réaliser une lecture critique de cette « histoire de l’anarchisme » tout public, au-delà des imprécisions et des erreurs grossières qui perlent ce documentaire de bout en bout, c’est d’abord pour ce que ce travail véhicule comme lecture identitaire de l’anarchisme, mais également parce que son optique est la réhabilitation de celui-ci dans le cadre de l’historiographie stalinienne à la française, opérant ainsi la liquidation de ce qu’il peut en rester de subversif pour aujourd’hui.

Nous proposons plus spécifiquement ce soir, de discuter de ce que les auteurs de ce documentaire font aux évènements d’Haymarket Square en 1886 à Chicago, épisode historique et insurrectionnel qui servira jusqu’à nos jours de symbole du 1er Mai. Nous verrons comment, celles et ceux que l’on nous présente dans le documentaire comme dans de nombreux fascicules libertaires ou d’Etat, comme de doux agneaux, martyrs intégraux de la cause des travailleurs, innocents dans l’âme : les dits « martyrs » de Haymarket, étaient en fait, comme beaucoup d’autres insurgés de ces temps agités, de simples anarchistes et révolutionnaires, ni innocents ni coupables, ni héros ni martyrs, qui ce jour-là, avaient pris la décision courageuse d’une tentative insurrectionnelle armée à Chicago. Tentative qui se soldera par un échec, et la mise à mort tragique de plusieurs des participants, assassinés par la justice. Un épisode malmené par de nombreux historiens, qu’ils soient universitaires ou libertaires, souvent malmené par les révolutionnaires eux-mêmes, que ce soit par ignorance (entretenue par un mouvement libertaire organisé amorphe et content de lui, mais à l’article d’une mort certaine), ou par préférence d’une version victimaire et édulcorée d’un épisode qui devrait plutôt inspirer la fierté que la réécriture innocentiste et légitimiste.

Une toute autre « version » : la vérité, porteuse d’un autre monde, dans laquelle ce ne sont pas des flics et des complots qui posent des bombes, mais bien les révoltés, pourra s’exprimer ce soir contre la démarche de muséification et de javellisation bourgeoise de l’histoire des luttes à l’œuvre dans ce documentaire comme dans toute dynamique de « réhabilitation » de la violence révolutionnaire aux yeux de l’Etat et de la bourgeoisie.

A travers cette réduction de l’anarchisme — comme on réduit une tête chez les Jivaros —, c’est la perspective révolutionnaire en elle-même qu’on travaille à liquider, quelle que soit la manière dont on peut la formuler et la concevoir. C’est la nature subversive de l’anarchisme (que l’on retrouve chez les insurgés d’Haymarket) et la nécessité révolutionnaire face aux alternatives post-capitalistes et para-étatiques (promues dans ce documentaire) que l’on attaque pour mieux les enterrer sous des piles de vieux livres.

Nous proposons un moment de discussion autour de toutes ces questions le samedi 5 mai 2018 à 19h à la bibliothèque révolutionnaire Les Fleurs Arctiques, 45 Rue du Pré Saint-Gervais, 75019 Paris – Métro Place des Fêtes (lignes 7bis et 11 du métro).

…Et pendant ? Pour un mouvement joyeux et destructeur contre le monde et sa sélection

Cliquer sur l’image pour télécharger le flyer
  • Mardi 10 avril – 19h Discussion sur le mouvement en cours.
  • Vendredi 13 avril – 19h Ciné-club : The Wall de Alan Parker.

C’est le début d’un mouvement étudiant, des dizaines de facs sont occupées et, avec la grève des cheminots qui est en capacité de perturber la normalité, quelque chose commence peut-être… Au lieu de se demander comme tous les fossoyeurs de luttes syndicaux et Organisés « …et après ? », posons nous plutôt tout de suite la question « …et pendant ? ». A côté des AG stérilisantes et interminables qui maintiennent les catégories que l’on cherche à détruire, des pratiques bourgeoises et manipulatrices comme les tribunes et les tours de paroles, mises en places par ceux qui ont des habitudes politiciennes et peuvent ainsi régner, il y a partout, comme depuis toujours, des choses plus intéressantes qui se passent. Ce mouvement en devenir, parce qu’il pose la question de la sélection et donc de la réussite et de la place qui nous est laissée dans ce monde, porte en lui un potentiel subversif.

Ne perdons pas le temps précieux de la révolte en AG infinies, applaudissements, votes absurdes, gestuelles idiotes de démocrates assumant le statut de marionnettes et autres pratiques minimalisantes. Ne laissons pas s’éteindre le mouvement dans le corporatisme, les pratiques et discours dissociatifs, la collaboration syndicale et la préparation du retour à la normale.

On propose mardi 10 avril à partir de 19h un moment de discussion ouvert sans carte d’étudiant, ni tribune, ni tour de parole, où on pourra parler de ce qui est en train de se passer, du monde et de sa sélection, de l’école et de son rôle, ainsi que des mouvements passés et de ce qu’ils peuvent nous apprendre pour aujourd’hui, notamment au travers du visionnage d’un montage vidéo à propos du mouvement contre le CPE en 2006. Venez partager propositions et expériences !

Aux Fleurs Arctiques
45 Rue du Pré Saint-Gervais, 75019 Paris
Métro Place des Fêtes (lignes 7bis et 11 du métro).

 

On ne va pas attendre la Révolution pour faire la révolution…

Vendredi 16 mars à 19h

Que faire de la notion de « lutte dans la lutte » ?

Le mythe du Grand Soir a vécu. Sa fin emporte avec elle le Parti qui le prépare, son programme, ses étapes, l’obéissance de ses militants à sa ligne, et, plus fondamentalement, l’idée que c’est plus tard que se résoudra le problème des rapports de dominations et d’autorités dont ce monde est fait. Mais on ne va pas attendre la Révolution pour ouvrir des possibilités d’émancipation. Alors que faire quand il n’est plus question d’obéir en attendant un futur radieux ? Décréter qu’on abolit l’autorité et les rapports de pouvoir pour échapper à ce monde ? C’est tomber dans l’illusion de l’alternative et éluder la question révolutionnaire. En pensant échapper à ce monde, on y construit son nid, et c’est à la révolution qu’on échappe. Faire valoir l’exigence fondamentale que changent les rapports de domination et de pouvoir ici et maintenant ne peut se réaliser que dans la perspective d’une conflictualité globale avec l’existant, donc dans une perspective révolutionnaire. Et, réciproquement, cette conflictualité globale contient en elle des luttes internes contre les rapports de domination et de pouvoir qui s’y reproduisent. C’est ce que signifie sans doute la notion de « lutte dans la lutte ». Face à ce constat, notre drôle d’époque propose une drôle de porte de sortie (sortie de la perspective révolutionnaire qui implique sans doute trop de risques et de plongée dans l’inconnu pour le rapport au monde « assuranciel » qui se généralise). C’est l’idée qu’on pourrait s’impliquer dans les luttes internes à la perspective révolutionnaire, sans se soucier de la question révolutionnaire. Les luttes dans la lutte, mais sans la lutte, en somme. Se libérer des rapports de pouvoir et de domination sans la révolution, voilà ce que propose aujourd’hui la post-modernité triomphante à une époque qui n’attendait qu’elle pour tenter de mettre fin aux souffles révolutionnaires qui avaient traversé jusque là l’humanité et son histoire. C’est cette question qu’on propose de discuter, à partir d’une contribution à la réflexion en cours autour des Mujeres Libres dans la révolution espagnole et de la question de la « non-mixité », à lire ici.

L’Avocat de la terreur

Barbet Schroeder, 2007, 2h15

lundi 19 mars à 19h

Des images terribles du génocide des Khmers Rouges au Cambodge et la voix de Vergès plaidant face au spectateur (et à l’Histoire) en défense de ces vainqueurs génocidaires, remettant en question le terme de « massacre » et sa réalité. La voix off cherche à nous faire perdre le Nord : « Que prouvent ces images de charniers ? Qui peut établir les chiffres et les causes ?« . La « défense de rupture », telle qu’il l’a théorisée à partir de la défense des poseuses de bombes du FLN, sort alors du tribunal pour façonner et construire, en défense des génocidaires khmers, cette « vérité judiciaire » afin de persuader d’une contre-vérité historique. Les faits, les témoignages et les images se dissolvent dans les arguties sur les chiffres ; les mots et la rhétorique prennent alors le dessus. Voilà sur quoi s’ouvre ce film documentaire qui retrace le parcours d’un homme, Jacques Vergès, de son rôle d’avocat des condamnées à mort du FLN à la défense du boucher nazi Klaus Barbie et des tyrans sortis vainqueurs et accapareurs des mouvements de décolonisations, et cherche à percer un « mystère Vergès » savemment auto-entretenu par ce dernier. En vertu d’une connivence plus fondamentale avec les ex et futurs vainqueurs, le refus de la connivence judiciaire qu’il que Vergès choisit d’exercer dans les cas les plus limites se résume à une transaction sordide qui finit toujours par absoudre les massacres et les génocides des accusés, en même temps que ceux des accusateurs, puisqu’il s’agit d’inscrire le massacre dans la relative banalité de ce monde. Et, miracle de l’anti-imperialisme, si l’on en croit Vergès et ses amis, le massacre et les charniers peuvent donc s’integrer sans aucun souci à l’eventail des pratiques dites « révolutionnaires ». Dans ce marasme glauque de relativisme absolu, l’ignoble cotoie et contamine l’emancipation. La fascination du documentariste est palpable dans ce film, dont la complaisance, qui ne cache pourtant rien des fourvoiements d’une époque et des ressorts ignobles du rôle que Vergès a pu y jouer, sera à mesurer. Fascination pour la théâtralité du personnage qui se met en scène lui-même pour asseoir une toute puissance perverse et manipulatoire, fascination pour l’amoralité cynique, fascination aussi pour la terreur que Vergès défend. Reste l’Histoire dont il fait « son décor », et qui est le véritable sujet de ce documentaire, l’histoire de l’anti-impérialisme et les fantômes qui la traversent auxquels il faudra bien un jour avoir le courage de faire face, de François Genoud, banquier des nazis puis du FLN, puis pourvoyeur de fonds de plusieurs groupes armés anti-impérialistes internationaux, puis commanditaire de la défense de Barbie, à Carlos le mercenaire de l’anti-impérialisme, en passant par les combattants du FLN aujourd’hui ministres, évoquant avec bonhommie le terrible attentat du Milk Bar à Alger (56). On y voit comment la défense des vaincus et la remise en question de la légitimité judiciaire se fourvoie systématiquement en défense des anciens et actuels vainqueurs, et ce que devient la rupture avec le système en présence quand elle se fait au nom d’un « peuple » et d’un Etat à venir… Comment aussi certains aspects de la confusion actuelle s’originent dans un aveuglement et une complaisance glaçantes avec le racisme, la domination religieuse et nationaliste. Et puis, ce qui finalement fait le fil rouge de ce moment historique vu au travers de cet homme et sa trajectoire trouble : l’antisémitisme, cette « colère contre les juifs » qui selon une de ses amies aurait pu le conduire lui-même à poser des bombes. Probablement était-il plus aisé de défendre Barbie que de le devenir.

Comprendre et critiquer l’école et son monde

Mardi 10 avril à 19h

Depuis qu’elle existe en tant qu’institution, l’école est au service de la bonne gestion des besoins de l’État et du capital. Elle qualifie quand il y a besoin de qualification, déqualifie quand il faut baisser le coût du travail, et toujours apprend l’obéissance et domestique la sauvagerie de l’enfance en faisant intégrer, que ce soit à coups de trique ou de pédagogies alternatives, la nécessité d’accepter ce monde et d’aspirer à y réussir. Elle est aussi le lieu où se rejoue toujours la possibilité de la révolte et du refus, elle est toujours forcément en crise, traversée de tensions et de contradictions inhérente à cette entreprise de gestion de l’ingérable. De la maternelle à l’université, ce qui s’y passe, les rapports qui y circulent, la manière dont adultes, enfants, adolescents y interagissent reflète cette fonction fondamentale. Si l’école d’hier a pu faire l’objet de critiques variées qui ont eu leur pertinence et ont été partiellement intégrées (donc désactivées) dans l’école d’aujourd’hui, celle d’aujourd’hui justement semble laisser bien démunis et impuissants ceux qui se rendent pourtant compte du désastre. On s’offusque de divers détails sans trouver le moyen de remettre en question, ni même simplement de décrire la réalité de ce qui s’y joue. Nous proposons d’ouvrir ce vaste chantier, de comprendre ce qui se joue à l’école en s’aidant de l’expérience de chacun (on y est tous passé, certains n’en sont jamais sortis …), mais aussi en réfléchissant autour de divers extraits de documentaires ou de fictions, en particulier Entre les murs et La journée de la jupe, deux films qui, chacun à sa manière, donnent une certaine image de l’école, tout en proposant des points de vue critiquables sur ce qu’il s’y passe et ce qu’il faudrait en faire. Nous avons choisi ces films dans la perspective de critiquer leur démarche et d’ouvrir enfin un champ de réflexion pour une critique radicale de l’école, ce qu’il s’y passe, ce qu’elle produit et ce qui la produit.

Comme un chien enragé

Vendredi 6 avril à 19h

« Le véritable problème en prison, c’est la prison »

A travers l’écoute d’un document audio (22 mn) réalisé à partir d’une lettre anonyme d’un détenu qui nous invitait à « visiter » la prison de la Santé à Paris, en 2011, nous proposons de discuter des conditions de détention actuelles en France, au moment où les matons font entendre leurs complaintes assourdissantes de geôliers qui voudraient que leur activité mortifère se déroule en toute sérénité ; et alors que, depuis des décennies, l’État prévoit sans cesse de nouvelles places de prison et construit les bâtiments high tech qui vont avec cette bonne gestion. Un enfermement qui sert à la fois de menace et de punition pour une partie de plus en plus nombreuse de la population. Discuter des conditions de détention n’a pas pour objectif ici d’envisager la nécessité d’une réforme de la carcérale, mais d’appréhender ce qui fait de la prison ce qu’elle est dans la vie quotidienne : la punition par l’enfermement. Réfléchir à ce dont est faite la vie en prison, c’est se rendre compte à quel point ces conditions de vie sont déterminantes et ont une incidence sur les révoltes individuelles ou collectives, sur la présence ou l’absence de  mutineries. Parler de la réalité de ce que fait l’enfermement à la vie, au temps qui passe, aux relations avec les codétenus à l’intérieur, avec les proches à l’extérieur, c’est à la fois comprendre le rôle et la place de l’enfermement dans le monde qui le produit, mais aussi comprendre son fonctionnement et ses codes, tenter d’appréhender comment y survivre, s’y organiser, comment maintenir le contact avec l’extérieur et, alors que l’enfermement judiciaire ou administratif ne cesse de se généraliser, c’est aussi se mettre en mesure d’y faire face. Cette discussion sera aussi une occasion de parler de l’actualité chaude des prisons françaises : grève des matons, révoltes de prisonniers, essor de la haute sécurité conjointement à la mise en place de ces mesures « alternatives » à l’enfermement qui, loin de diminuer le nombre de prisonniers, sont toujours là, en fait, pour enfermer autrement, de mieux en mieux, et de plus en plus. 

« La prison existe parce qu’une société a besoin d’elle pour injecter la peur qui la maintient et je ne vois pas bien comment on pourrait s’attaquer à la prison sans en finir avec le monde qui la produit et en a besoin, et vice-versa. Je ne vois pas bien non plus à quoi peut servir de lutter pour des prisons « plus humaines », ou des « alternatives » à la prison quand le réel problème transcende si largement la simple question de la prison et se retrouve dans tous les aspects de la société : le principe même de domination et d’autorité. Nous voulons recouvrer notre liberté, mais dehors non plus nous ne sommes pas libres. C’est parce que je suis pour la destruction des prisons que je suis révolutionnaire, c’est parce que je suis révolutionnaire que je suis pour la destruction des prisons.»

 

The Wall

Alan Parker, 1982, 1h36

Vendredi 13 avril à 19h 

We don’t need no education ! We don’t need no thought control !

The Wall est un film musical, dans lequel la musique des Pink Floyd est un élément aussi essentiel que les images. On y voit Pink, une rockstar enfermée chez lui, amorphe, gavé à la soupe télévisuelle et comment des morceaux de sa vie passée, en particulier les humiliations de l’enfance, lui reviennent sous forme cauchemardesque hallucinatoire, comme les briques d’un mur qui peu à peu s’est refermé sur lui. Tout commence par la mort de son père, soldat durant la seconde Guerre Mondiale. Il est donc éduqué par une mère tyrannique qui l’empêche de sortir, d’avoir des amis, d’être amoureux, de s’émanciper, de vivre. Malgré les rapports toxiques qu’il entretient avec sa mère, il reste prisonnier de sa relation avec elle. La famille est la fondation de son mur. Le mur de Pink se renforce à cause de l’école. Par l’enfermement, par la désindividualisation des élèves (montré par un masque que tous les élèves portent), par le professeur qui s’acharne à humilier, punir les élèves et marteler des leçons. L’école est montrée comme une usine qui fait rentrer des enfants et les dépersonnalise, ne faisant sortir que des copies. la poésie, la musique et le rêve de brûler son école avec ses camarades sont les voies qui s’ouvrent à Pink pour sortir de ce cauchemar. Malgré son pessimisme, ce film puise dans les suites des années 70 son esthétique psychédélique et ce désir d’émancipation d’une génération en rupture violente avec ce que lui impose le monde dans lequel elle grandit, son ordre et sa morale. Le regarder aujourd’hui, c’est y chercher de quoi réveiller une époque dans laquelle on ne mesure plus à quel point l’école et la famille sont des institutions de maintien de l’ordre à travers lesquelles les adultes donnent violemment court à la vengeance contre l’abandon des aspirations de liberté de leur propre enfance, construisant ainsi l’acceptation d’un monde d’ordre et de prison. 

Hey ! Teachers ! Leave them kids alone !

Eros + massacre

エロス+虐殺, Yoshishige Yoshida, 1969

Samedi 21 avril à 17h

Eros + massacre relate la vie de Sakae Ōsugi, anarchiste japonais du début du siècle exécuté par l’Etat en 1923, et sa tentative de vivre « l’amour libre ». Le film emprunte le point de vue d’un couple des années 60 qui, à travers son enquête sur une des compagnes d’Ōsugi (Itō Noe), va s’intéresser aux théories anarchistes sur l’amour libre, sur les rapports que leur concrétisation créent : jalousie, souffrance etc… La démarche de ce couple, s’intéresser à des expériences passées, en comprendre le contexte et en extraire la pertinence pour notre époque, fait echo à la notre. Nous tenterons d’ ouvrir la discussion sur la liberté dans les rapports, le poids de l’idéologie qu’elle soit réactionnaire ou libertaire, puritaine ou amour-libriste. Ballotés entre toutes ces injonctions, en 1911 comme en 1960, comme aujourd’hui, femmes et hommes ont encore beaucoup à faire pour construire une intelligence en amour et en amitié et vivre pleinement leur sexualité sans carcans. Puisque le pouvoir est indissociable de la contrainte, nous chercherons aussi comment les participantes à Seitō ont défini le pouvoir de la société patriarcale sur les femmes et les propositions d’émancipation (refus du mariage de raison, accès à l’education et à l’avortement, reconnaissance de l’homosexualité…). Leurs points de vue et analyses, très hétérogènes, et parfois source de conflits politiques sérieux, seront également abordés. Ce film issu de la Nouvelle Vague Japonaise porte plusieurs axes de réflexions que l’on pourra développer dans le cadre de sa projection, comme la réflexion entamée sur « l’amour libre », la proposition féministe (du refus émancipatoire du mariage à travers l’union libre au « libre choix » en matière de sexualité) et les modalités de certaines de ses visions beaucoup plus contemporaines, mais que l’on peut déjà trouver dans Seitō, comme le refus du couple voire de l’amour, et le retour à des modalités de relations contractuelles présentées comme protectrices). Il nous faudra prendre en compte le parti-pris de la réalisation à propos de l’anarchisme, délaissant les luttes sociales bien présentes dans la vie des protagonistes eux-même pour se focaliser sur les rapports intimes et amoureux, parti-pris très perceptible dans la mise en scène du regard rétrospectif de ce couple des années 60.

Voir notamment :

  • Naissance d’une revue féministe au Japon – Seitō In Ebisu, n°48, 2012. pp. 7-171

 

La Ligue des travailleurs noirs révolutionnaires

Détroit 1967-1974

Samedi 19 mai à 19h

Nous proposons, dans la suite de la discussion sur les Black Panthers, et en partant de plusieurs documents dont le livre sorti récemment  Detroit : pas d’accord pour crever, d’orienter la focale sur Détroit et La Ligue des travailleurs noirs révolutionnaires. De la « Grande Rebellion », les émeutes de  juillet 1967, au milieu des années 70, cette organisation a joué un rôle crucial dans le mouvement révolutionnaire. Créée dans l’objectif d’obtenir une représentation directe des ouvriers noirs dans les usines, la ligue portait des perspectives révolutionnaires qui allaient au delà du syndicalisme. Journaux tirés à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires, mobilisation contre la guerre au Vietnam, dénonciation de crimes policiers, mais surtout organisation des travailleurs des usines d’automobile tenues par Général Motors, Chrysler, Ford etc… et lutte contre la machine syndicale de l’United Auto Workers, corrompue et raciste. Si leurs théories empreintes d’idéologie anti-impérialiste et marxiste-léniniste donnent assurément matière à critiques, il n’en reste pas moins que cette page de l’histoire du mouvement révolutionnaire a beaucoup à nous apprendre, notamment sur la lutte contre le racisme dans la lutte contre l’Etat et le Capital, et comment ces luttes se complètent, ne peuvent se comprendre séparément. La reparcourir sera l’occasion d’une remise en perspective de cette «question raciale» qu’on transpose allègrement et n’importe comment aujourd’hui, de mesurer les différences de contexte qui nous séparent de l’Amérique des années 60, et de voir comment, même dans ce cadre spécifique, les pratiques et les questions posées par la lutte menée par La Ligue des Travailleurs noirs révolutionnaires sont largement plus intéressantes que ce que les défenseurs d’une «lutte des races» voudraient en faire, à partir d’une lecture systémique en terme de «privilèges» et de «minorités». 

Projection de Finally got the news… (vost, 57’) : ce film, réalisé à Detroit en 1970 par des militants révolutionnaires avec la coopération de la Ligue, est une présentation des activités et théories politiques de la Ligue des travailleurs noirs révolutionnaires ; outil de propagande didactique, mélangeant photos, interviews, analyses politiques, images prises à l’intérieur des usines, sur les piquets…

Wake in Fright

Ted Kotcheff, 1971, vostfr, 1h54, Australie

Lundi 28 mai à 19h

John Grant, modeste enseignant d’une petite école de l’outback australien, doit faire escale dans un patelin avant de rejoindre sa fiancée à Sidney pour les vacances. Ce qui devait être l’affaire d’une seule nuit va peu à peu se rallonger…

Bundanyabba : petite ville minière où réside une localité chaleureuse et accueillante.

Où boire un verre : que ce soit dans les bars ou chez de sympathiques hôtes, une seule et même ambiance, celle de la bière qui coule à flots (en pression, en canettes, en bouteilles, partout, tout le temps), pour passer un bon moment… à boire !

Où s’amuser : derrière les bars, avec un jeu simple et attractif comme l’enfer, le pile-ou-face, pour terminer la soirée littéralement à sec.

Où sortir : si tu veux te balader dans le bush avec des résidents sympas, rien de tel qu’une petite virée pour la grande attraction du coin : la chasse aux kangourous.

Quelque chose cloche dans ce patelin, ou plutôt tout semble aller comme il faut dans cette monstrueuse bourgade. Dans les recoins de cette bonhomme simplicité, derrière ces sourires insistants et son agressive hospitalité, au travers de sa désarmante légèreté à s’amuser de tout, une évidente horreur s’offre à nous : celle de la bêtise fière d’elle-même et de la barbarie pure. Et peu importe le semblant de culture qui accompagne ce petit professeur, elle ne lui sera d’aucun secours dans cette chaleureuse désolation. Car ce qui le constitue en tant qu’individu n’a aucune capacité de résistance face à des normes dégueulasses que seule sa conscience sait pourtant verbalement critiquer. L’enfer n’est pas tant les autres que sa propre paralysie à refuser en actes l’engluement que lui fait lentement subir ce nouvel environnement où, derrière le masque de la camaraderie hilare, se libère le nihilisme à visage humain.

All the little devils are proud of Hell