Jeudi 21 avril 19h30
« Mon caca sent peut-être mauvais, mais au moins, c’est mon caca »
De Gaulle, à 2 ans, sur son pot
L’amour de la nation, de la patrie, de l’identité, le renforcement des frontières, les campagnes de propagande sécuritaire, voilà bien des vieilles rengaines à nouveau dans l’air du temps. Le SNU prend place dans ce contexte : encaserner les adolescents dans le confinement mental du sacrifice pour la nation, voilà un de ses objectifs. Ce corpus idéologique semble aujourd’hui gagner en force et en pugnacité : on en appelle au gaullisme à la télé, on achète franco-français, on chante la marseillaise en manifestation, on est prêts à voter Le Pen quand on est écolo parce qu’elle se prononce en faveur des circuits courts … Mais il serait simplificateur de réduire cela à une simple question de folklore. Cette sale montée nationaliste ambiante, qui dépasse peut-être les frontières de l’hexagone, s’accompagne aussi (et en est l’une des expressions) d’un renforcement plus général de l’Etat et du contrôle social qui se pérennise. Attachons nous à comprendre cette évolution, à nous demander ce que le nationalisme est et représente, pour mesurer l’étendue du problème, ses implications et ses conséquences, et pour retrouver les moyens de s’y confronter efficacement.
Ces dernières années, cette montée du nationalisme s’est déclinée à gauche sous la forme d’un souverainisme dont la nature doit être clairement définie, tant il a bénéficié d’un doute quant à ses motivations « défensives » face à des organisations interétatique présentées comme toutes-puissantes. Que ce soit sur le plan de la production nationale, avec ses propositions de réindustrialisation et de protectionnisme agricole (éventuellement accompagné de greenwashing) ; que ce soit sur le plan de l’immigration, où l’on justifie un contrôle renforcé aux frontières sous prétexte que l’immigration ferait baisser le salaire des travailleurs français; que ce soit sur le plan de la politique extérieure, résumable au vague slogan anti-impérialiste : « ni Europe, ni OTAN » — ce « souverainisme de gauche » bénéficie dans l’ensemble d’une trop large bienveillance, voire adhésion, au sein de la gauche radicale, adhésion qui prend en cette saison électorale la forme du « vote utile » pour son champion « insoumis ». Parler de « confusionnisme rouge-brun » (comme on constaterait ailleurs d’un air faussement navré que « les extrêmes se touchent ») ne suffit pas à qualifier la démission d’une gauche qui épouse comme toujours étroitement les logiques d’État, étant bien loin de concentrer ses efforts à entretenir une perspective à même de les dépasser.
Cette adhésion chez le brave citoyen-panéliste de gauche, volontaire ou « par défaut », en tout cas par réaction aux crises successives, est presque plus inquiétante dans ce qu’elle valide implicitement, que dans ses coups de gueules explicites. En l’occurrence, elle valide un arsenal de mesures de gestion et de contrôle des populations prêtes à être mises en œuvre dans une parfaite continuité avec le gouvernement actuel. Parmi elles, on retrouve tout particulièrement l’abject S.N.U (Service National Universel) service civique non-obligatoire (mais fortement encouragé par une propagande d’État) proposé aux jeunes entre 15 et 17 ans (âge du génie rimbaldien). L’idée est de leur faire assurer à bas coût des missions dont la nature est éloquente à la lecture de leur intitulé : accueil d’agence Pôle-emploi, secrétariat d’assistance sociale, pompiers, police, gendarmerie, armée — et pourquoi pas un jour employé à Frontex ? Que le candidat préféré des gauchistes reprenne à son compte (en en prolongeant de surcroît la durée !) ce dispositif, dit assez bien la place que prend aujourd’hui l’idéologie nationaliste à gauche.
Dans les luttes, on aura vu le rapport à cette idéologie évoluer pendant le mouvement des Gilets Jaunes, en particulier la tolérance de certaines franges des mouvances radicales qui cherchaient désespérément, et peut-être avec raison, de la contestation sociale à tendance désorganisatrice à se mettre sous la dent.
Un certain discours s’y est développé, qui ne date pas d’hier, arguant que la participation au mouvement ne devait surtout pas s’encombrer de la critique de ces idéologies nationalistes, puisque cette critique incarnée aurait nuit à l’unité, et donc aux possibilités d’intervention au sein des Gilets Jaunes.
Il y a eu trop souvent une hésitation de la part de ceux qui voulaient intervenir dans le mouvement à se confronter au nationalisme, et donc à faire naître à ce propos un clivage qui eût nuit à la recherche alors quasi-désespérée d’une cohésion
Dans une conjoncture aussi favorable au nationalisme que la période actuelle, les interventions révolutionnaires ne peuvent pas continuer longtemps d’éviter de se poser la question de ce qui est toléré, du rapport à cette idéologie sulfureuse proprement contre révolutionnaire. Cette réflexion, ou plutôt cette absence de réflexion collective sur le sujet, ajoutée à l’impuissance générale actuelle, aura sans doute paralysé et empêché l’élaboration de nombre de propositions intéressantes, et nous ne croyons pas qu’il soit souhaitable d’attendre le prochain échec du prochain mouvement social pour poser cette problématique :
Quelle portée, quelle audibilité et quelle pertinence pour la critique du nationalisme dans les luttes, et quels outils pour lui permettre de s’incarner ?
Cette question présente aujourd’hui d’autant plus d’intérêt que, pendant la guerre en Ukraine, le rapport au nationalisme se questionne sous de nombreux angles, que ce soit à propos des soutiens à divers groupes armés présents sur place, à propos des luttes potentielles aux frontières des pays où les ukrainiens en fuite se rendent, ou à propos des limites des élaborations révolutionnaires qui se cantonnent à leur pays.
C’est dans tout ce contexte qu’il nous semble important de reposer la question de l’idéologie nationaliste, de ses caractéristiques, de ses implications, de ses modes d’expression (qui peuvent laisser entrevoir plusieurs nationalismes), et surtout de ce qui lui oppose une résistance farouche.
« Nous mangerons peut-être du pain noir, mais ça sera notre pain.»
Maurice Thorez, communiste autoritaire mort
en 1964 étouffé par les miettes de son propre pain.
Ce fut une mort mais ce fut sa mort.