A propos d’arrestations préventives lors d’une des tentatives de manifestation du soir des élections
Le 24 avril dernier, à l’occasion de la manifestation pour l’annonce des résultats du second tour dont l’un des rendez-vous était appelé à Châtelet, comme on pouvait s’y attendre, un dispositif policier gargantuesque a été mis en place. CRS, civils, BAC, une foule de RG disséminés entre les touristes commandant leurs glaces, et la spectaculaire BRAV en cortège de motos prêtes à tomber sur n’importe quel passant qui pourrait avoir l’air de ne pas être ravi de l’élection de Macron, sillonnaient le quartier dans une chorégraphie visiblement faite pour impressionner et décourager les contestataires, ce qu’ils ont tenté de faire avec la bonne vieille méthode des contrôles préventifs, dispersés, autour du lieu de rendez-vous. C’est ainsi que plusieurs personnes se sont faites contrôler et certaines interpeller, avant que quoi que soit ne puisse avoir commencé. Si nous écrivons ce petit texte, ce n’est pas pour alerter autour de conséquences judiciaires importantes que ces arrestations n’ont évidemment (au dernières nouvelles) pas eues (ce n’est d’ailleurs pas vraiment leur but), mais plutôt parce que les contrôles préventifs et les procédures courtes (le plus souvent, compositions ou ordonnances pénales, rappels à la loi, parfois des comparutions immédiates) auxquels ils aboutissent pourraient finir par devenir relativement efficaces pour limiter les possibilités offensives, et puis aussi parce que le dossier du compagnon qui a été pris dans cette aventure comporte tellement de perles policières qu’il serait dommage de ne pas en rendre compte.
G. a donc été contrôlé par un policier de type BRAV, c’est à dire malin, alerte et perspicace, qui, sans doute grâce à sa formation, n’a pas été dupe en découvrant ce que G. avait sur lui : un limonadier. De cette perspicacité inénarrable qui circule entre gardiens de la paix, on en veut pour preuve le PV d’ambiance où un de ses collègues affirme avoir vu « un drapeau anarchiste rouge ». Notons déjà qu’il savait ce qu’était un limonadier, respect ! Pour la plupart d’entre nous, c’était un arbre à limonade. Pour le commun des mortels, expliquons donc : un limonadier est un objet très très peu contondant multi-usage, muni d’une lame de 1,5 cm et d’un bout de métal tordu et piquant. Un ouvre-boîte, un décapsuleur et un tire bouchon, donc. Monsieur DELABRAV, pas con, ne s’y méprend pas : il est en présence d’une tentative de port d’arme de catégorie D. Prêt à prendre des initiatives, ponctuel et assidu, il prévient derechef sa hiérarchie, et, prenant son courage à deux mains, lance une procédure sur ce délit. G. se retrouve donc avec comme chef d’inculpation « tentative de port d’arme de catégorie D, en l’espèce un limonadier ». Après avoir mobilisé nos équipes de traduction, puisque nous ne parlons pas le porc, ça donne ça : G. est envoyé au commissariat pour y être gardé à vue afin qu’une enquête soit diligentée sur le fait qu’il aurait eu l’intention de vouloir transporter un décapsuleur. L’enquête commence, attachez vos ceintures. La fouille. Un élément très important entre en jeu puisque l’individu sus-nommé (en porc dans le texte) avait sur lui dans son sac un livre louche, Mémoires d’un Révolutionnaire de Victor Serge. Peut-être a t-il l’intention de faire une tentative de port de livre contre le stalinisme ? Prudence. Mais ça ne sera pas retenu dans la procédure, parce que c’est trop compliqué pour Monsieur DUPROCUREUR qui ne lit que deux choses : le Code Pénal et la date de péremption de son poisson pané le vendredi soir. Rappelons qu’un livre de cette envergure offre sans doute plus de possibilité émeutières qu’un tire-bouchon, qui n’est vraiment pas très pratique, même pour faire levier pour ouvrir un petit truc. Une tenue complète noire attire également l’attention de la maréchaussée, la couleur semblant leur rappeler de mauvais souvenirs (peut-être le drapeau noir du communisme ?) mais tout cela, ainsi que le refus de signalétique, ne finira pas dans les chefs d’inculpations, sûrement face à la gravité de la tentative de port d’arme de décapsulage massif. Rassurez-vous, « la destruction a été ordonnée en raison du caractère illicite, dangereux ou nuisible de la détention de cet objet. » Avis à tous les serveurs et serveuses !
Foin de ces bonnes blagues si fréquentes dès que les flics parlent ou écrivent, la suite est à réfléchir. Ce dossier qui ne tiendrait la route que chez Lewis Carroll, débouche, comme ceux des autres interpellations préventives de ce jour (à notre connaissance), sur cette merveille de saloperie judiciaire appelée « composition pénale » (proche de l’ordonnance pénale qui fonctionne selon un principe similaire). Au sortir de sa garde-à-vue, chiffonné et embrumé, pressé de sortir des vapeurs de commissariat pour reprendre le cours de sa vie, le prévenu est déferré devant un substitut de Monsieur DUPROCUREUR, qui lui propose un marché de dupe : une peine contre la reconnaissance de sa culpabilité, avec comme carotte le fait de sortir tout de suite et d’éviter une audience. En l’occurrence, pour une tentative de port de limonadier : 300 euros d’amende (pourquoi pas se faire un peu de thune après tout ce travail d’observation et de déduction), et, quand même, 6 mois d’interdiction de paraître à Paris. On remarquera que cette peine attribuée par le Parquet (qui est bien en fait celui qui s’éviterait ainsi un procès qui ne tiendrait pas la route), ouvre la possibilité d’interpellations ultérieures aux suites possibles variées selon la volonté répressive du moment, puisqu’il est bien évident que l’inculpé ne va pas éviter Paris pendant 6 mois, alors que très probablement il y vit, y travaille ou y chôme, y manifeste, y occupe, y voit ses camarades, compagnons et amis, y décapsule des trucs en réunion, etc. Alors se sortir de cette situation n’est pas compliqué : ne pas céder au chantage, ne rien reconnaître donc refuser tout de go, ou, mieux, demander les 10 jours de réflexions légaux qui ne sont pas indiqués sur le papier qu’on doit signer (faute de place sans doute…) et refuser bien sûr, mais 10 jours plus tard : on est libre aussi, mais sans peine et sans avoir reconnu des espèces de délits piégés qui n’ont l’air de rien sur le moment mais peuvent devenir bien autre chose. Une fois le refus acté, la balle est dans le camp du Parquet, contraint de méditer sur l’opportunité de porter un dossier aussi mal bricolé en correctionnelle : qu’ils le fassent, nous y sommes prêts, décapsuleurs entre les dents !
Ne nous laissons pas piéger par les chantages policiers et judiciaires !
Décapsulsons le monde !
Le 29 avril 2022
Des Rétifs