Bullet Ballet

Lundi 28 novembre 19h30

Shin’ya Tsukamoto – 1998
VOST (Japon) – 87’

Dans la filmographie de Tsukamoto, Bullet Ballet arrive juste après Tokyo Fist qui clôt sa trilogie de Tokyo. On retrouve un noir et blanc que le réalisateur n’avait pas utilisé depuis Tetsuo, ici plus contrasté et artistique, mais le film parait aussi plus calme que les deux précédents, moins violent, plus mélancolique, plus proche du film noir et sans éléments fantastiques. Encore incarné par le réalisateur, le personnage principal est ici aussi un salary man à la personnalité peu affirmée, qui se fait écraser, tromper, agresser, et qui dérive peu à peu dans l’autodestruction. Suite à une tragédie il va goûter à la destruction elle-même et par là-même retrouver une pulsion de vie. Dans cette guerre qui se transforme vite en lutte pour la survie, il va retrouver goût à l’existence sans s’éviter de regarder en face le nihilisme. Le film n’a pas pas peur non plus d’être parfois remarquablement beau, et pas seulement d’un point de vue esthétique. Ici c’est toujours le métal qui fascine, en l’occurrence, les armes à feu.

Contre culture

Vendredi 16 décembre 19h30

Ce qui compose la culture aura tôt fait de nous intéresser. Ce qui ressort culturellement d’une époque, d’une période historique, ce qui la compose artistiquement et intellectuellement, donne à penser puisque cette culture est aussi l’une des choses contre laquelle immanquablement un épisode révolutionnaire se heurte, de milles manières. Depuis les années 50, et plus particulièrement autour des années 70, on ne compte pas le nombre de mouvements contestataires allant des hippies aux punks en passant par les blousons noirs qui ont contribué à ce que l’époque post Mai 68 charriait de remise en question et de subversion de l’ordre bourgeois et de la domination culturelle établie. Ces mouvements culturels accompagnant les épisodes subversifs (parfois y survivant) ont formé ce qu’on appelle des contre-cultures. Des codes, des normes, des musiques, des styles, faits pour faire des doigts d’honneur plus pour moins prononcés selon les cas au rigorisme et au puritanisme ambiant, à la bienséance et aux codes moraux de la bourgeoisie. Devant ce fait sortent les habituelles mille et une questions impliquées par la perspective révolutionnaire, qui pourraient peut-être avoir comme fondement la suivante, pour la faire simple : le terrain culturel et contre-culturel est-il un terrain sur lequel l’intervention est judicieuse, dans la perspective de contribuer à l’existence et à l’épanouissement émancipateur de la révolution ? Les problématiques culturelles sont elles les nôtres, à une échelle plus grande que celle de nos goûts musicaux respectifs ?
La question de ce qui fait consensus et de ce qui ne le fait pas, de ce qui est majoritaire et de ce qui est marginal, attire à elle comme un aimant toutes les tendances politiques qui s’en emparent chacune avec leur angle d’attaque. On voudra chez certains intégrer la culture à la lutte, pour la remplacer et faire de la Révolution la nouvelle culture de l’époque. Ailleurs, on se penchera plutôt vers une optique contestataire, relevant un par un des défauts de la culture, afin de réussir à la réformer et la faire correspondre à telle ou telle chapelle idéologique. Ailleurs encore, on refusera le sujet en bloc, décrétant que musique et autres arts sont dissociés du terrain de la politique, vains et bourgeois, jusqu’à peut-être chercher à exterminer les intellectuels comme durant les Khmers rouges. Ces différents angles et leurs oppositions sont importants à traiter, puisqu’ils impliquent des lectures historiques des épisodes de luttes parfois contradictoires, et des manières d’intervenir potentiellement en conflit les unes avec les autres. De la manière de comprendre l’influence du mouvement punk ou des radios pirates sur les années 70, découlera aussi (avec un brin de conséquence), les questionnements actuels, les analyses politiques et les axes d’attaque contre ce monde. En effet, il est possible de voir ces mouvements contre culturels comme partie prenante d’une subversion diffuse, comme il est aussi possible de les envisager comme les germes de la culture dominante future, ce qui change beaucoup de choses dans la lecture des forces de subversion actuelles et de leur importance.
La contre-culture marginale participe-t-elle à l’intégration de la subversion ? Que penser alors de son caractère subversif ? Qu’est-ce qu’implique la volonté de gagner le terrain culturel, ou de chercher à le détruire, et d’en empêcher les expressions parfois sauvages ? C’est pour mettre en débat toutes ces questions, dont les réponses ne pourront que se trouver à la lumière des mouvements révolutionnaires passés, présents et futurs, que nous organisons cette discussion aux Fleurs Arctiques.

The Art of self-defense

Lundi 12 décembre 19h30

Riley Stearns – 2019
VOST (USA) – 104’

Dans la continuité de notre interrogation autour du lien entre violence et masculinité, nous proposons un film au ton plus noir, mais tout aussi comique : The Art of Self-defense de Riley Stearns. Une nuit, Casey, jeune comptable introverti est passé à tabac par un groupe de motards. Pour surmonter le traumatisme – et, plus fondamentalement, la peur des autres –, il décide de devenir la personne qu’il redouterait le plus et s’inscrit dans un dojo dont le sensei, très charismatique, l’initie à l’art de l’ « auto-défense ». Il découvre bien vite à ses dépens que l’art martial est moins défensif qu’il le croyait…

Kaiju

Vendredi 2 décembre 19h30

Qu’est-ce que des kaijus, ces gros monstres apocalyptiques tirés de films japonais post attaques nucléaires, ont à nous dire ce de monde et des possibilités révolutionnaires ? Nous pourrons nous poser la question avec des participants à la revue apériodique anarchiste Des Ruines, à l’occasion de cette présentation du dossier portant sur ces créatures extradordinaires présent dans le numéro 3-4 que nous diffusons par ailleurs à la bibliothèque. Quand s’emparer du sujet du nucléaire du point de vue de l’intervention révolutionnaire semble complexe et hors de notre portée immédiate (ce qui se discute régulièrement à la bibliothèque), restent encore et heureusement les projections imaginaires, évocatrices, à portée mythique, qui peuvent parfois permettre de voir de la subversion là où la raison n’y parvient pas. Profitons de cette présentation pour poursuivre les réflexions sur le rapport au foisonnement de l’imagination qu’ont condamné dans l’histoire tant de stals et de maîtres à penser de la révolution autoritaire, ce qui pourra peut-être amener de nouvelles réflexions quant au pourquoi du cinéma dans une perspective révolutionnaire, puisque les ciné-clubs et leurs cycles se poursuivent à la bibliothèque, et qu’ils nourrissent indéniablement nos soifs de révolte et nos critiques de ce monde.

Subversion

Vendredi 25 novembre 19h30

La subversion semble une notion complexe à définir aujourd’hui, puisque cette dernière est sans cesse utilisée que ce soit par les fafs, la droite, l’État, la gauche, les gauchistes et les révolutionnaires et son sens se disperse galvaudé de part et d’autre. L’État désigne comme subversif tout ce qui peut lui nuire allant des illuminés de Daesh aux vieux croulants putchistes. Les fascistes et l’extrême-droite se pensent subversifs par transgression de la morale, qui ne rompt en aucun cas avec ce monde mais cherchant à rendre majoritaire les conceptions les plus réactionnaires et autoritaires possible. Cette transgression à contrario de ce que l’on désignerait comme subversion passe souvent par le symbolique, la surface de ce que la subversion attaque à la racine. Il y a donc bien deux notions à séparer, celle de la transgression, dont le rapport à l’existence ne consiste peut-être qu’en le contourner, le détourner là où la subversion serait ce qui (semble) faire rupture ou même parfois seulement s’énonce comme tel.
Alors que faire ? Abandonner la subversion à ces aléas ? Comment alors laisser place à ce qui met des bâtons dans les roues de l’ordre du monde, l’ordre actuel, mais aussi tout ordre futur, quelque utopique qu’il puisse être ? Comment cesser d’être attentifs à ce qui met des grains de sables dans une machine qu’on cherche à détruire, comment ne pas voir que ces grains de sables inattendus peuvent y parvenir bien mieux qu’un arsenal théorique même 100% révolutionnaire, comment nommer ces pratiques diffuses radicalement contre l’Etat et le capitalisme dont la permanence montre à quel point tant qu’il y aura de la contrainte et de l’exploitation, l’aspiration à les subvertir ne cessera de s’exprimer ?
La subversion dont il sera donc question ici est bien la subversion par rapport à l’ordre établi, par rapport au monde. Il est clair qu’au cours de l’histoire les révolutionnaires se sont souvent appuyées sur cette dernière soit comme un horizon, une énigme ou une quête qu’il faudrait résoudre (comment subvertir ? Comment être subversif ? Qu’y-a-t-il de subversif à cette époque) ou alors à la traîne de celle-ci essayant sans cesse de la rattraper, de l’intégrer ou de la capter. Par ailleurs, si la subversion se trouve être un sujet de discussion sérieux entre une partie des révolutionnaires, sur son importance ou sa primauté, d’autres en revanche ne la considèrent pas qu’elle mérite d’être prise en considération ni dans l’analyse du capitalisme et de l’État ni comme plaies éventuelles de ceux-ci qu’il faudrait élargir. De nombreuses tendances marxistes, notamment léninistes passent à la trappe la question de la subversion ou de la marge par soucis d’efficacité ou d’unité du Prolétariat, ou pour préserver la possibilité d’une stabilité post révolutionnaire de type étatique, qui n’aurait plus à être subvertie. Glaçant. La question est également de savoir si la subversion fait lutte en soi, car maints actes sont subversifs mais peuvent rester limités à l’institution ou au cadre qu’ils subvertissent.
Le retour du religieux à la fois sur le devant de la scène politique mais aussi sa diffusion s’étendant ces dernières années semble reposer plus que jamais cette question de la subversion dont on peut dire qu’un des avatars les plus simples (de part la clarté de l’acte ou du propos) à comprendre est le blasphème. La subversion pose également la question de l’art, où le problème est bien plus complexe à comprendre puisqu’il prend racine dans une institution qui aura tôt fait de récupérer ce sens de subversion (ou tout ce qui est subversif qu’il soit art ou non) pour en faire un mantra et un objectif des artistes jusqu’à trouver l’absence même d’art subversif.
La subversion ne se limite pourtant pas à ces deux exemples, et elle peut être ce vers quoi nous tendons dans un moment de lutte qui commence à se scléroser dans ses propres habitudes.
La subversion est-elle être centrale dans la production de nos analyses et perspectives d’intervention au sein des luttes ? La subversion est-elle vaine en dehors d’un mouvement ? La subversion en toute occasion est-elle une attaque à ce monde ?

Conspirationnisme : Qu’est-ce qui se cache derrière de quoi est-il le nom ?

Vendredi 18 novembre 19h30

Les théories du complot sont au moins aussi vieilles que l’antisémitisme. Certaines ont même été mobilisées comme hypothèses et politiques génocidaires d’Etat, tel que sous le régime nazi. D’autres formes de théories du complot ont permis la permanence de climats de terreur : il y a eu un complot hitléro-trotskyste permanent aux yeux du régime stalinien face à un complot judéo-bolchévique aux yeux des nazis et de l’extrême-droite, il y a eu complot rouge aux Etats-Unis durant le maccarthysme, puis vert dans les années 90… C’est que la suspicion d’un complot permanent s’enracine toujours dans un point de vue paranoïaque du pouvoir, du contrôle, de la flicaille et de la traque, puisque comploter a, en effet, toujours été une pratique d’Etats ou de proto-Etats. Mais, tout comme les Etats, tout comme le pouvoir de la police, de la justice, de la surveillance, tout comme tout, les complots ont des limites. Ce sont ces limites-là que les adeptes de théories du complot dénient complètement, faisant du monde entier et des actes humains un vaste complot orchestré… ce qui ne peut qu’aboutir à dénier toute possibilité de révolte, de spontanéité, de ruptures, et on a déjà vu dans le passé ce type de raisonnement se retourner contre des luttes et des mouvements. Oui, le gouvernement italien dans les années 1970 a bel et bien eu des liens avec l’extrême-droite organisant certains attentats… mais, commencer à réduire l’entièreté de l’autonomie italienne à cela, c’est devenir l’ennemi du mouvement. Oui, des flics infiltrés dans des mouvements sociaux, ça existe… mais basculer dans le raisonnement (sans doute provoqué par de la stupeur) faisant de tous les mouvements sociaux des projets policiers, c’est de même devenir l’ennemi de ces mouvements. A chaque fois, c’est prendre un morceau de réel (souvent un morceau policier et étatique) pour la totalité. Et alors il ne reste plus rien pour penser l’autonomie, la subversion et la liberté !
Depuis quelques années, de plus en plus de constructions de type théories du complot naissent en marge de pouvoirs d’Etat, à travers internet et d’autant plus via les réseaux sociaux, jusqu’à s’exprimer, notamment depuis la pandémie de covid, dans des manifestations et dans des discours de défiance vis-à-vis de certaines politiques d’Etat. Cette intériorisation de points de vue de l’Etat de la part d’individus qui ne participent pourtant pas au maintien de l’ordre pose question, et nous aimerions, lors d’une première discussion publique consacrée à ce phénomène diffus et pluriel (dont il est nécessaire de saisir la matrice commune), comprendre à quel point est-ce qu’on peut penser une spécificité du «complotisme» au XXIème siècle. Puisqu’absolument rien d’émancipateur ne peut émaner d’une vision du réel hyper-rationalisante, réductrice et paranoïaque, les perspectives révolutionnaires porteuses d’espoir d’émancipation doivent à un moment ou un autre s’y confronter, d’autant plus depuis que des thèses complotistes se diffusent dans des mouvements sociaux. Qanon, Chemtrails, 11 septembre 2001 et franc-maçons… il nous faudra nous pencher sur l’apparition de toutes ces théories fumeuses.
Les critiques du complotisme émises par les institutions incarnant la Raison, les Lumières et la Connaissance font évidemment l’impasse sur tout un domaine de questions qui nous intéressent : quels sont les liens entre ces théories du complot ayant émergé en ligne, en marge, et l’existence de lieux de pouvoir, de séparations entre ceux qui pensent, disent, parlent, «cultivent», et ceux qui triment ? Qu’est-ce qui, dans le capitalisme géré par des Etats, offre un terreau à ces thèses paranoïaques ? Quel rôle jouent ces théories du complot dans l’actuel climat d’impuissance ?
On aimerait se demander si un rapprochement entre les phénomènes religieux et les différents complotismes de maintenant peut avoir un sens. Il semble y avoir quelque chose de l’ordre d’une mystique amour-haine de l’Etat dans les lectures complotistes : de la défiance et en même temps de la fascination ont l’air de motiver toutes les entreprises de quête du «caché» qui aboutissent toujours à la mise en scène d’un pouvoir omnipotent et omniscient – remplissant le rôle d’un Dieu. Les théories du complot n’ont-elles pas quelque chose à voir avec les mythes et avec les fonctions sociales de ceux-là ? Sont-elles en passe de devenir des mythes mobilisateurs, comme les mythes religieux et les mythes nationaux, si nous ne faisons rien pour empêcher cette floraison puante ? Cet étrange mimétisme «amoureux» de l’Etat permet, en creux de la formulation de thèses complotistes, de sédimenter des groupes politiques en sectes. Le complotisme renforce ainsi inévitablement le sectarisme en politique, autant qu’il permet des alliances entre les groupes, sur fond de schémas de pensée complotistes communs. Ainsi, dans des manifestations «antivax» on peut voir des personnes convaincues que le covid est issu d’un complot nazi côtoyer des adeptes du complot juif mondial. D’autre part, des Partis politiques tentent en effet de capter la fonction «mobilisatrice» de ces théories nées parfois dans la solitude et la misère sociale et affective d’un face-à-face avec un écran d’ordinateur. Le Comité Invisible et sa plateforme promotionnelle Lundi Matin essayent depuis un an d’attirer dans leurs rangs et dans leur perspective politique les complotismes, via des articles proposant que la peur soit un dénominateur commun révolutionnaire…tout en se gardant bien évidemment de continuer à séduire un autre lectorat, cette fois-ci «anti-complotiste». Cet oecuménisme de la vérité toute relative était exposé au moment même où paraissait l’anonyme Manifeste Conspirationniste. Il nous semble nécessaire de combattre une telle proposition politique (qui présente les complotismes comme des endroits d’intervention révolutionnaire), en réaffirmant que la peur lorsqu’elle se cristallise socialement n’a jamais conduit politiquement et historiquement qu’à de la lâche impuissance, ou bien pire, qu’à de la répression et de la terreur.
Ce type d’opération politique, qui tente donc de faire fructifier les complotismes afin de les ramener à soi, fait l’impasse sur une réflexion que nous pensons essentielle : celle portant sur le rapport aux délires paranoïaques et sur le rapport à une altérité délirante. Cette discussion peut être propice à creuser des réflexions déjà entamées à la bibliothèque, sur la question du soin, car il est indéniable, depuis la pandémie de covid, que de plus en plus de personnes sont confrontées, dans leurs cercles proches, à des relations avec des schémas de pensée complotistes et délirants qu’il s’agit alors non plus de comprendre du pur point de vue de l’analyse politique, mais du point de vue du soin. Questions délicates, complexes, que nous aimerions ouvrir sans aucune prétention à détenir la moindre vérité pratique, puisque les situations sont alors toujours très singulières. Qu’est-ce qu’une théorie du complot assouvit comme besoins, désirs, fantasmes et peurs ?
Ces questions-là peuvent, enfin, nous amener à questionner l’histoire des théories révolutionnaires du point de vue de ce péril de réduction du réel : le marxisme orthodoxe et son économicisme ne peuvent-ils pas avoir quelque chose de proto-complotiste, en supposant en permanence les lois du capital «derrière» tous les actes humains ? Quel rôle le situationnisme a-t-il joué et joue-t-il encore dans la confusion entre fiction et réalité dont hérite l’appelisme ? Que reste-t-il de la possibilité d’une autonomie si l’on croit en un complot judéo-maçonnique qui dirige le monde ?
Echangons idées, pistes et lectures sur cette vaste problématique, car, malheureusement, tant que des révolutions ne viendront pas grandement perturber le réel, les théories du complot continueront sans doute à se cristalliser pour le pire, dans des pratiques sociales anti-émancipatrices comme dans des terreurs délirantes individuelles.
Il n’y a pas d’arrières-mondes, la triste réalité crève les yeux.

American Honey

Lundi 14 novembre 19h30

Andrea Arnold – 2016
VOST (USA) – 163’

Dans le long métrage American Honey, Andrea Arnold suit le parcours d’une adolescente « Star » qui fugue de chez elle, fuyant un foyer familial (white) trash. Elle rencontre le beau Jake (joué par le beau Shia Leboeuf). Avec lui et un groupe de jeunes, elle sillonne les Etats-Unis, faisant du porte à porte pour vendre des magazines. Ce road-movie intimiste, sans fard ni glamour mais sans cynisme, représente une quête d’émancipation qui se heurte parfois à la dure réalité des suburbs états uniens, du travail et du pouvoir. Mais la route est propice aux rêves, à l’espoir à l’amitié et à l’amour…

Le care, nid d’espion

Vendredi 11 novembre 19h30

« MOI j’me sens safe quand y a pas de syndicalistes en AG
Les magouilles politiques ça me TRIGGER »

La gauche, renouvelant sa critique réformiste et tout-à-fait bourgeoise du système capitaliste, puise depuis les années 2000 dans les théories anglo-saxonnes du « care ». Pour sauver les reliques d’un Wellfare déjà mort et faire contrepoids à la tendance anti jacobine et anti intervention de l’Etat du libéralisme de la droite libertarienne qui tolère, voire valorise son lot évident d’insouci, de violences, de misères et de morts, c’est à la « bienveillance » des entreprises et des travailheureuses qu’il faut faire appel, post Etat providence et post austérité. Pour donner ce dit « visage humain » au capitalisme de gauche (et lutter contre la mauvaise image produite par les suicides dans une entreprise comme France Telecom par exemple), tout le domaine des relations sociales doit être ausculté, dans une sorte de vaste audit social, par les sociologues, philosophes, experts et managers en vue d’une capitalisation tout sourire au ras de la vie, des désirs et des émotions. Ça tombe pas si mal, c’est aussi une piste d’accroissement de la productivité de l’exploitation (le mal de dos vous empêche d’être efficace au travail ? vite un audit pour changer les chaises au bureau !, l’insomnie vous rend moins productif ? vite des pubs pour les somnifères !). Le care c’est cette idéologie tentaculaire dont une face prétend défendre le soin pendant que l’autre le met immédiatement au service d’une optimisation de l’exploitation. Femmes, valorisez vos compétences d’écoute pour réussir autant que les hommes ! C’est dans un bouquin puant l’essentialisme de l’américaine Carol Gilligan (Une voix différente) qu’est née pour la première fois cette « éthique du care ». Voilà la petite morale qui doit sans doute s’épanouir au sein de maintes grandes écoles où les critiques demeurent évidemment très internes au capitalisme et aux logiques de réussite sociale, où Madame doit sans doute parfois négocier sa première note en arguant qu’elle a eu la charge mentale du care de Monsieur qui n’avait pas prévu son sandwich lors de l’exposé sur COMMENT BIEN EXPLOITER LA VIE DES AUTRES.
Jusqu’ici, rien de très nouveau hormis la volonté d’une part de la bourgeoisie, celle qu’on appelle la Gauche, de réformer le capitalisme par la valorisation de tout ce qu’une vision plus libérale et hardcore du capitalisme traite comme marginal et laisse à la gestion individuelle qui avait et a parfois encore davantage trait à des marges – le bien être, le soin domestique, l’aide de personne à personne…
Rien d’étonnant, donc, à ce que l’idéologie du care oriente de plus en plus le travail social, reconduisant toujours sa logique d’intégration à marche forcée des uns et des autres. Il serait intéressant de réfléchir, pour préparer cette discussion, aux différentes évolutions des mécanismes d’intégration des exclus, des marginaux, des fous et des pas-dans-les-clous, qui s’orientent de plus en plus vers des accompagnements personnalisés, des études des « besoins », des « limites » (quand ce n’est pas juste de la répression toute crue qui s’abat). Nous pourrons nous pencher sur l’élaboration d’une critique de ce renouvellement de l’investissement capitaliste dans le domaine des relations humaines, étant donné que la pandémie de covid a exacerbé toute la brutalité du rapport aux soins, à la vie, à la maladie et à la mort.
Mais dans toute cette affaire d’idéologie (ou de politique) du care, il ne s’agit pas seulement de gestion sociale étatique. Une autre question nous préoccupe, qui a trait à la façon dont le care s’immisce dans les logiques de contestation sociale et les infléchit. L’aspiration à mettre en place des espaces « safe », des endroits et moments censés permettre aux personnes habituellement marginalisées de discuter autour de leur vécu personnel de telle ou telle domination, relève-t-elle bien du soin et de l’attention à l’altérité ? N’est-elle pas inscrite dans cette époque et dans cette idéologie qui se décline dans des versions gestionnaires étatiques aussi bien que dans des techniques de soi ou dans des techniques de gestion collective à vocation plus ou moins subversive ? La constitution d’espaces safe est née à l’origine dans des mouvements contestataires LGBT et féministes radicaux des années 60-70. Ceux-ci voyaient en eux non un moyen de changer les individus, mais de connaître une diversité de situations différentes au sein d’une condition commune qu’on cherchait à abolir (le patriarcat, l’hétéronormativité, etc.). Avec l’affaiblissement de la conflictualité sociale, il semble qu’on ait tendu de plus en plus à voir dans le safe un moyen pour les individus d’incarner « en interne » les changements qu’on souhaite voir « à l’extérieur ». Chose à laquelle le care a l’air d’apporter une justification idéologique. Mais qu’est-ce que l’éthique du care, complètement née au sein d’une perspective de réforme du capitalisme, peut bien avoir à faire dans des luttes, dans des AG, dans des aires de contestation sociale ? Qu’est-ce que des militants peuvent bien trouver de subversif et de critique à un terme introduit en France par Martine Aubry ? Que se passe-t-il quand, dans une occupation de fac, une des préoccupations majeures est la constitution d’espaces safe et la prévention toujours floue de tout ce qui pourrait nuire au bien-être (supposé) des personnes ? Le care est-il une pratique ou une gestion ? Le safe est-il une question de soin, ou une question d’ordre ? Pourquoi aurions-nous besoin d’identifier nos besoins et nos limites ? Qui a besoin d’identifier les besoins et les limites des autres ? Qui a la prétention de connaître ses limites et les limites d’autrui, dans un moment de lutte et de transformation ?
Comment penser l’éthique et le soin dans une perspective sincèrement révolutionnaire ?

Gummo

Lundi 17 octobre 19h30

Harmony Korine – 1997
VOST (USA) – 95’

Gummo n’est pas un film comme les autres, c’est de l’art brut avec une cohérence globale : le tableau d’une Amérique à la ramasse, consanguine et déviante, pauvre et désespérément glauque.  Le pendant calme et normal de Massacre à la tronçonneuse, sans effusions histrioniques, sur des riffs de Sleep et des nappes de Burzum. Ce film ne serait il pas comme une mise à jour redneck du Freaks de Todd Browning ? Le portrait dilué, fin et honnête d’une idée simple : ce ne sont pas ces-gens-là, c’est le monde qui est étrange.

Urgence climatique, éco-anxiété et fin du monde

Vendredi 14 octobre 19h30

Quel est ce temps d’urgence climatique qui commence à être l’orientation de maints discours et calendriers politiques, depuis le sommet de l’État jusqu’aux injonctions à la réduction individuelle de la consommation, en passant par les thinks tanks, les associations civiles et les marches pour le climat ? Quel rapport à l’avenir porte la perspective écologique, et en quoi permettrait-il, ou plutôt conjure-t-il de la subversion quant à l’ordre établi ? Quel rapport à la vie présente portent les mots d’ordre de « préservation du vivant » ? Nous avons déjà, l’an passé, proposé une discussion portant sur l’écologie politique, en nous demandant s’il pouvait y avoir un horizon révolutionnaire s’y dessinant, étant donné que le magma politique écologique connaît son extrême-gauche, ses radicaux critiques de Extinction Rebellion et du réformisme en général. Cette fois-ci, nous voudrions, tout en poursuivant des recherches sur l’histoire des luttes écolos et de leurs ancrages politiques depuis les années 1970, nous attarder sur ce climat de fin du monde qui semble de plus en plus passer pour évident. On parle désormais d’éco-anxiété, et une psychologue abordait la question dans le journal Le Monde en théorisant que les éco-anxieux étaient au final les plus lucides dans ce monde, et que la voie de guérison de cette angoisse était d’en passer d’abord par tous ces petits gestes de « sobriété » que nous invite Macron à pratiquer dès cet automne, déplaçant toute velléité de changement social vers la sphère inepte et impuissante du chez soi anxiogène et vers l’horizon, pas si utopique que ça, d’un capitalisme vert. Comment faire survivre et vivre la perspective révolutionnaire dans une époque qui semble être définie assez largement par le rythme de la catastrophe et par la peur de l’avenir ? La critique du Grand Soir n’épuise pas la pensée de l’avenir : quand bien même la révolution n’est pas un événement ancré dans le futur, son ancrage au présent s’est sans cesse nourri d’un certain rapport à l’avenir, de projection, de désir de nouveau, d’incertain et d’inconnu. Serait-il possible de faire la révolution sans aucun désir du lendemain ? Ou alors, comment déboucher cet avenir que le capitalisme nous présente désormais comme justement bouché et apocalyptique, jouant sur les ressorts terrifiants de la réalité nucléaire remise sur le devant de la scène depuis la guerre en Ukraine ? A cet égard, nous pourrions essayer de comprendre les luttes anti-nucléaires qui ont existé jusqu’à maintenant, leurs débats et divergences internes, entre propositions purement gestionnaires (un démantèlement du nucléaire sans transformation sociale) et radicalités débordantes (vers l’anti-militarisme). Y-a-t-il des parallèles intelligents à faire entre les millénarismes de la fin du Moyen-Âge et le catastrophisme du présent ? Quels sont les pouvoirs sectaires et religieux qui s’en nourrissent et qu’il nous est nécessaire de combattre ?