Démontage judiciaire : les procès staliniens

Samedi 21 mai, 19h30

Mercredi 8 juin, 19h30

 

Nous nous intéresserons aux procès staliniens, en nous attardant particulièrement  les procès de Moscou entre 1936 et 1938, dans lesquels l’étonnante redondance et ressemblance entre tous les procès – à chaque fois fondés sur des accusations historiques aberrantes, sur des silences et des mystères complets quant à la procédure, et sur une étrange fusion entre l’accusé et l’accusateur invite à réfléchir à la mise en scène d’une procédure judiciaire dans son ensemble, c’est-à-dire au rôle politique et historique de ces procès dans un Etat totalitaire basé sur le mensonge d’être la continuation de la révolution de 1917. Comment est-ce qu’un Etat avec des moyens répressifs gigantesques fabrique-t-il de bout en bout des « vérités judiciaires » retransmises internationalement à tous les Partis communistes à l’Est comme à l’Ouest qui anonnent à leurs tours les conclusions du tribunal devenant des « vérités historiques » – à la manière de l’éternel torchon L’ Humanité qui, jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’en 1953 avec l’ultime procès stalinien, s’attache en première page à la redite des sentences les plus illogiques ? Nous nous pencherons sur les écrits de ces premiers contemporains «démonteurs judiciaires» que furent Boris Souvarine et Victor Serge, et nous proposerons de chercher à comprendre comment est-ce que ce dernier est parvenu à obtenir sa libération après plusieurs années de déportation en kolkhoze faisant suite à son arrestation par la police politique qu’il relate dans ses Mémoires. La stratégie de refus total de collaborer qu’il a adoptée durant les interrogatoires subis en détention (en isolement complet durant 80 jours) nous semble propice à saisir les rouages staliniens de la Terreur, en amont de l’organisation des grands procès politiques qui souvent jouaient le rôle de «procès écran» pour détourner l’attention de la répression permanente – celle-là même qui aura conduit, la plupart du temps sans procédure judiciaire, aura conduit des milliers de personnes aux goulags, en déportations ou directement vers l’exécution. L’actuelle répression en Russie n’est évidemment pas sans lien avec l’héritage de l’Etat soviétique, emparons-nous de ce sujet pour mieux analyser, critiquer et combattre la justice, du totalitarisme à la démocratie.

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Tokyo Fist

Lundi 20 juin 19h30

Mercredi 23 juin 19h30

Shin’ya Tsukamoto – 1995
VOST (Japon) – 87’

Destruction, jalousie, douleur, anxiété, violence, folie, hémoglobine, boxe, désir et nihilisme, tenez vous prêts. Après le grand Tetsuo, nous continuons d’explorer la filmographie de ce réalisateur japonais subversif et avant-gardiste, nous plongeant à nouveau, mais moins radicalement (il sera possible de respirer), dans une ambiance à la fois punk et industrielle (au sens de la musique industrielle, qui orne d’ailleurs parfaitement le film de façon martiale et percussive), survoltée, métallique et révoltée. Sans se vautrer dans le pseudo-nihilisme, oscar-compatible et racoleur d’un Fight Club, le film est toujours à la limite du Body Horror (vous n’avez jamais vu la boxe ainsi) et du grotesque spaghetti très sérieux ou pas (on n’est jamais certain), on assiste ici à la naissance d’un triangle amoureux dans lequel les deux hommes sont joués par le réalisateur et son frère, le premier, modèle de personnage récurrent chez Tsukamoto, est un salary-man tokyoïte tristement banal et soumis sur lequel tout le monde marche et qui cherche à se révolter, l’autre, un boxeur plus qu’inquiétant, est à la fois très attirant, et porteur d’une violence qu’il semble urgent de devoir castrer, tandis qu’en face il semble urgent de se libérer de toutes les castrations qui pèsent sur la violence enfouie et la révolte oubliée. La femme au centre de cette triangulation parfaitement ambiguë, fascinée, repoussée, est comme nous, semblant se demander, a propos du film comme du monde : « mais c’est quoi ce bordel ? »

Deligny, Le moindre geste

Vendredi 17 juin 19h30

On propose de visionner quelques passages du film-poème-documentaire Le Moindre Geste réalisé par le singulier Fernand Deligny en 1971 dans les Cévennes, région où, sur une proposition de Félix Guattari, il a mené avec plusieurs enfants autistes et mutiques une tentative de vie commune. Le parcours atypique de Deligny a débuté en tant qu‘instituteur au début de la seconde Guerre mondiale dans un de ces „centres d’observation et de triage“ d’enfants rejetés là par des institutions qui ne savaient plus quoi en faire, considérés qu’ils étaient comme coupables, arriérés, idiots, vicieux, inéducables ou inadaptés. Il s’inscrit dans l’histoire bouillonnante et pleine de tensions, de confrontations, d‘échappées, du mouvement large de réinterrogation durant et après la seconde Guerre mondiale. Ce questionnement portait sur les exclus, les fous, les inadaptés, les asociaux… qu’ils soient enfants ou adultes, administrés par des hôpitaux psychiatriques jadis asilaires, écoles spécialisées et formes de prisons judiciaires pour mineurs — autant d’institutions dont les acronymes et multiples variations de noms, mais aussi de lieux, ont quelque peu changé entre 1940 et aujourd’hui, sans qu’aucune question quant au rapport à l’altérité «radicale» et à sa gestion par la société n’aie pu être résolue ou soit devenue moins brûlante… En s’intéressant plus particulièrement à cet anti-éducateur, qui a consacré ses interrogations et ses tentatives à l’autisme chez les enfants avec une passion envers ce qui s’exprime, indépendamment du sujet d’élocution, du langage utilisé, de son comment et de son pourquoi, nous espérons ouvrir un moment de discussion où nous chercherons tout ce qui, dans l’enfance, pose question, et surtout au niveau de notre propre rapport, en tant qu’adultes, à eux… ces autres, ces étrangers absolus dont l’essentiel nous échappe et dont la singularité est irréductible à toute science établie et à toute gestion. Quand l’enfance se termine-t-elle, si tant est que nous puissions comprendre ce qu’est une telle fin ? S’il y a un enfant dans l’adulte, celui-ci est-il en définitive guérissable ? Qu’est-ce qui différencie de l’enfant, qu’est-ce qui fait sa différence ? Alors comment s’y rapporter, sans jamais nier cette forme d’altérité, sans la réduire à des stades de développement qui peut-être disent davantage des pédagogues que des enfants eux-mêmes ?
Une myriade de questions, qui, nous l’espérons, pourrons nous permettre d’aborder précisément la question de la pédagogie, de l’éducation, de l’enseignement, en nous demandant de quoi sont faits ces liens, depuis le XIXème siècle, entre les libertaires et l‘éducation ? Les révolutionnaires auraient-ils à se soucier de la question du devenir de l’enfant ? De quelle manière ? Si une perspective révolutionnaire quant à la question «pédagogique» peut exister, de quoi serait-elle faite ?
A la manière des successions de questions que posent les enfants, à l’occasion de cette discussion, nous espérons que les questions vont tellement mûrir qu’elles en donneront une infinité d’autres.

Voici quelques documents écrits et réunis pour l’occasion (cliquer sur l’image pour télécharger)

A propos de surveillance policière

Mercredi 15 juin 19h30

Dimanche 19 juin 16h30

Suite à la découverte ces dernières années de plusieurs dispositifs de surveillance dans des lieux de discussion et d’organisation, des véhicules, des squats et autres lieux de vie, on partagera des infos et on discutera de ce qu’on peut faire face à cette situation qui n’a rien ni de très étonnant ni de très nouveau.

Baby Driver

Lundi 13 juin 19h30

Edgar Wright – 2017
VOST (USA) – 113’

Baby est conducteur de braquage pour régler sa dette à un mafieux dont il a incendié la voiture. Souffrant d’acouphènes, le seul remède que notre protagoniste ait trouvé, est d’écouter de la musique en permanence, rythmant et pensant sa vie avec une bande son, enregistrant des instants de son quotidien pour en faire des morceaux, etc. Le son sera ici bien plus qu’un accompagnement sonore de l’action visuelle, mais nous fera partager le singulier rapport au monde de Baby. Le film poursuit les réflexions de notre cycle sur le son et la surdité au sein duquel nous avions projeté Sound of Noise, Sound of Metal, et Décodeur.

Les sorcières d’Akelarre

Lundi 30 mai 19h30

Pablo Agüero – 2021
VOST (Espagne) – 90’

Pendant l’inquisition espagnole, au pays basque, plusieurs jeunes femmes sont accusées de pratiquer sorcellerie, magie noire et messes sabbatiques. Emprisonnées et interrogées par un homme d’Église qui fait main basse sur la ville, elles comprennent vite que rien de ce qu’elle pourraient dire ne saurait calmer ces accusations…
Elles déchaînent alors leurs imaginations, celles des soldats, des prêtres et ainsi, les flammes de L’Enfer.
Cette histoire est en réalité celle d’un mouvement de répression religieuse immense, où les déviantes à l’ordre ecclésiastique sont brûlées vives, que ce soit pour des pratiques jugées immorales, des actes de révoltes où leur simple potentiel séducteur.
Défense de rupture, révolte et désir, black métal, blasphème et satanisme, dans un monde toujours régit par la morale et l’ordre existant.

Cringe à pleurer

Honte et masochisme moral, mauvaise conscience répressive : que faire du cringe ?

Vendredi 27 mai 19h30

Dans la panoplie des termes que notre époque hyper morale utilise pour qualifier (décrire, louer, revendiquer, blâmer, exclure, à ce stade peu importe) les comportements sociaux, le cringe attire notre attention. On voit bien ce dont il parle, au fond, et pourquoi ce sentiment très particulier de malaise et d’humiliation, répondant à l’intériorisation d’une représentation normative et répressive du regard des autres, a pu avoir besoin d’un terme spécifique. Entendre sa voix enregistrée, c’est cringe, parler trop fort quand tout le monde se tait aussi. Mais attention : quelqu’un qui délire dans la rue, c’est super cringe aussi, comme un macho qui traite trop mal les femmes. Un tatouage avec une croix gammée c’est vraiment très très cringe, se considérer comme beau gosse avec un mulet aussi, et ainsi va la relativisation et la dépolitisation qui l’accompagne.
Au départ, il s’agit bien d’un sentiment désagréable ressenti pour soi-même, une hypersensibilité à l’émergence soudaine et inévitable, perçue comme unanime, du jugement des autres, qui nous rappelle que ce que nous sommes pour nous-mêmes n’est pas exactement identique à ce que les autres en voient, et parfois nous condamne à incarner à nos propres yeux, une altérité insupportable, un sentiment qu’on pourrait rapprocher de « l’inquiétante étrangeté ».
On cringe d’abord pour soi, au moment où on valide que le regard des autres tel qu’on l’intériorise a raison, mais très vite le rapport s’inverse, et, comme pour conjurer une fois pour toute cette peur de la mise au ban sociale pour un comportement déplacé, on se met à cringer à la place des autres, puis au dépens des autres, et dans une identification malveillante qui très vite devient rejet, on ressent la honte à leur place, et on leur en veut de ne pas la ressentir et peut-être aussi d’être plus libres que soi. Et voilà ce qui fait le cringe aujourd’hui : dans une inversion des positions troublante, on conjure le risque du jugement des autres, ou la compassion face à ce risque, en incarnant la place du juge, et, ce faisant, on valide ce judiciarisme moral qui décide des limites de ce qui est socialement acceptable. Et ainsi chacun contribue à l’institution et au bétonnage d’un code informel des bonnes pratiques morales et sociales, de ce qui se fait ou ne se fait pas. Ce qui ne se fait pas, on le moque, on l’humilie, on le harcèle — on le lynche, on l’enferme, on le tue. Et à bon droit puisque, ce faisant, on sépare et protège la normalité de ses marges ; ou plutôt on se sépare et on se protège du risque de la marginalisation, en s’installant dans la normalité et en installant la normalité autour de soi. Car qu’on rejette ce qui produit cet effet de malaise, ou qu’on s’en obsède de manière morbide (il existe paraît-il des « cringe parties » et les réseaux sociaux produisent des relations terribles entre amateurs et fournisseurs de cringe, ces lol cows qui obéissent aux injonctions sadiques de fournir de quoi se moquer en s’exhibant selon le bon vouloir de leurs harceleurs), l’unanimité supposée autour de ce qui produit le cringe délimite la normalité de l’anormalité, et constitue le rapport actuel à ce qui s’est appelé en d’autres époques le monstrueux.
La diffusion et l’acceptation du cringe est peut-être donc à penser comme un retour de la centralité de la honte comme outil de maintien de l’ordre des choses et du bon fonctionnement des rouages mondains, puisque c’est au fond de cela qu’il s’agit : utiliser la honte et l’humiliation (diffusées et ressenties) comme régulateur des comportements sociaux. Ce processus n’a rien de nouveau, on peut même dire qu’il a fait ses preuves, puisqu’on le voit déjà à l’oeuvre dans la Genèse, la honte étant une des trois punitions divines qui accompagnent la chute du paradis et établissent le sort de la condition humaine. Toutes les religions en font un outil actif de contrôle et d’obligation à l’obéissance. Sécularisée, elle s’immisce au cœur des relations sociales, régule l’éducation des enfants, voire leur dressage si trop de bizarrerie risque de faire honte à leurs parents, elle sert la domination des femmes (on ne peut quand même pas tout se permettre…), le refus le déni de toute sexualité « déviante », et impose d’écarter tous ceux dont l’étrangeté du corps ou de l’esprit peut produire chez les autres cette « honte pour autrui » qui n’a rien de bienveillant. Une partie du 20ème siècle s’est révoltée efficacement contre ces valeurs oppressives, et, des dadas au queer, du punk à mai 68, on peut lire des poussées de refus de se laisser réguler par la honte des autres.
C’est d’ailleurs peut-être parce qu’une après l’autre, ces poussées émancipatrices se sont retrouvées instituées en contre-cultures produisant leur propre appareil normatif, que l’on voit aujourd’hui se déployer le retour de cette morale de la honte et de l’humiliation, d’une manière qu’on pourrait dire très « transversale » puisqu’il n’y a plus de curé pour régner sur ce qui se fait ou ne se fait pas, sous une forme peut-être atténuée, mais certainement démultipliée par les réseaux sociaux. La particularité du cringe réside dans le fait qu’il traite de la même manière tout ce qu’on ne comprend pas et tout ce qui doit être spécifiquement combattu : l’anormal, l’étrange, l’altérité radicale de la même manière que le sexisme, le racisme, le fascisme — tous réduits au rang de « mauvais comportement ». Ainsi, un « relou » en soirée sera cringe, qu’il parle trop fort ou qu’il soit nazi. C’est la forme qui compte, c’est elle qu’on valide ou qu’on condamne, le racisme « ça ne se fait pas », comme les gros mots ou mal s’habiller. Tout est question de paraître, de réputation, et c’est l’ensemble du champ politique et social qui se retrouve envahit par cette machine à valider et à exclure, en lieu et place des conflits par lesquels s’ouvriraient des possibilités d’en finir vraiment avec ce monde, mais aussi d’accueillir l’altérité comme elle le mérite.
On se demandera donc ensemble quoi faire du cringe, en quoi il ressemble aux formes de répression morale par la honte qui l’ont précédé, en quoi il en diffère.

Élégie de la bagarre

Lundi 23 mai 19h30

Seijun Suzuki – 1966
VOST (Japon) – 86’

Kiroku est un étudiant catholique au sein d’un lycée militaire, dans le Japon des années 1930. Logé dans une pension, il éprouve des sentiments pour Michiko, la fille de l’hôtesse. Pris entre son incapacité à comprendre ses sentiments, l’obligation religieuse de rester chaste et la pression sociale qui pèse sur tout adulte en devenir, il se tourne vers le seul moyen qu’on lui laisse de décharger ses pulsions : une violence sauvage et folle. Un camarade de classe, surnommé la « Tortue », le prend sous son aile et l’intègre à une bande après une série de rites initiatiques aussi grotesques qu’absurdes. Mais vite insatisfait par le petit monde de la bagarre de rue, ses ambitions le tournent désormais du côté de l’armée impériale…
A travers l’histoire de Kiroku, Seijun Suzuki dresse le portrait satirique d’une société japonaise en voie de militarisation dont les valeurs autoritaires et machistes sont loin d’avoir disparu après la 2nde Guerre Mondiale. Son questionnement ironique peut nous conduire en particulier à une réflexion sur les liens intimes entre violence et construction sociale de la masculinité.

Stalker

Lundi 16 mai 19h30

Andreï Tarkovski – 1979
VOST (URSS) – 163’

Dans un monde (fortement inspiré de l’URSS) post-apocalyptique et industriel, la chute d’une météorite a formé une « zone » verdoyante où l’espace et le temps n’obéissent plus aux lois fondamentales de la physique. Cette zone est étroitement surveillée et contrôlée, car, en son sein, existe « La Chambre », lieu qui exauce tous les désirs secrets de ceux qui y pénètrent. Le stalker (« passeur » inspiré de l’Idiot de Dostoievski) qui connaît le lieu et ses lois magiques, brave les interdits et guide ceux qui le désirent jusqu’au coeur du lieu abandonné, afin de leur permettre de réaliser leurs rêves.
Dans ce film d’Andrei Tarkovski sorti en 1979, nous suivons l’errance du Stalker (porté par un idéal et un absolu difficilement saisissables), accompagné d’un professeur et d’un écrivain, sur qui la zone agit comme un appel d’air et une nécessité (il ne peut pas ne pas s’y rendre). Leur cheminement métaphysique est à la fois une errance, une quête éperdue de désirs inconscients, et la poursuite, pour le réalisateur, d’une imagination débridée et émancipée (bien symbolisée par cet espace impossible, encerclée de miradors et de barbelés).