La bibliothèque Les Fleurs arctiques ayant fermé son local au public parce que la crise sanitaire et sa gestion par le confinement empêche que les éventements qui devaient s’y tenir soient véritablement publics. Le programme prévu ne sera pas mis en œuvre dans l’immédiat.
Toutefois, nous avons pris le parti de considérer que les pistes que certaines discussions ouvraient étaient importantes, très urgentes et d’actualité pour certaines, et donc de diffuser les textes d’appels à ces discussions, dans l’idée que cela suscite des débats bien réels ici ou là dont la réflexion révolutionnaire a, nous semble-t-il, besoin. On pense en particulier à la discussion « Attentats et Réactions » qui nous semble particulièrement urgente et nécessaire et à celle sur « Le tri des tri des vies ». Publier ces textes d’appels à discussion de manière anticipée permet également d’inviter largement à discuter de ces questions dans une optique subversive avec les moyens du bord et en fonction des limites et des difficultés actuelles, dès maintenant. Parce que nous ne voulons pas nous contenter du confort (relatif) de l’entre-soi, ce programme prendra donc une réalité physique -des dates- quand le contexte rendra possible que les initiatives soient véritablement publiques.
Attentats et Réactions
Comme on vit une époque formidable, ce qui fait irruption dans la normalité capitalisto-pandémique, c’est la décapitation d’un prof à la sortie des classes, parce que son banal cours sur la liberté d’expression a été pris pour une provocation blasphématoire à punir dans le sang. Plus encore qu’après les attentats de Charlie Hebdo, de l’Hyper Casher et ceux de novembre 2015, se réveillent les voix du repli réactionnaire et identitaire. On suggère donc, en proposant ce texte à la publication, une occasion de réfléchir de loin ensemble à ces « réactions » et à ce que cette période charrie d’immondices à travers elles et au delà.
Le 16 octobre, un professeur de collège est décapité à la sortie des cours, par un jeune homme qui s’est considéré comme le « bras armé » de Dieu, qui le punit pour avoir montré, lors d’un cours au programme d’éducation civique et morale sur la liberté d’expression, des caricatures tirées du journal Charlie Hebdo, en particulier la une du journal juste après la fusillade de janvier 2015. Cet assassinat intervient alors que des parents d’élèves, en lien avec des militants islamistes, ont manifesté leur mécontentement et désigné l’enseignant à la vindicte de ceux, parents comme élèves qui auraient été blessés dans leur Foi. Plus nettement encore qu’après les attentats de janviers 2015, des réactions pavlovienne émergent. Assez logiquement, le gouvernement cherche à rasseoir l’autorité républicaine, les enseignants comme missionnaires de la cohésion nationale et de la laïcité. Dans la droit ligne anti-immigrée du PCF des années 60, Mélenchon ravive la haine de l’autre et de l’étranger, relançant un racisme grégaire en stigmatisant explicitement « les tchétchènes ». Sur le site Paris-luttes.info est proposé, publié puis heureusement dépublié un texte qui analyse l’événement comme une situation où le professeur et son bourreau se seraient « entretués », l’un à coups de mots, et l’autre avec un grand couteau. Dans le torchon d’extrême droite « Valeurs Actuelles », le texte sera pris comme exemple pour dénoncer cette gauche qui serait complice des islamistes. Il est urgent de sortir de ce marasme. Ne pas trouver le moyen de réfléchir à la question largement et si besoin conflictuellement, c’est se laisser prendre en étau entre le racisme, le campisme, le populisme, le républicanisme, la complaisance avec la religion et ses passages à l’acte punitifs et sanglants que justifierait la défense paternaliste de « consciences blessées ». C’est laisser faire l’Etat, la religion, les dieux et les maîtres… Au prix de notre offensivité, du blasphème et de toute possibilité de subversion. C’est pour éviter les prêts-à-penser et parce qu’aucune autre occasion ne semble avoir été proposée (pour le moment) que nous appelons à cette discussion publique, large et ouverte autour des attentat et des réactions qu’ils suscitent.
Tri des vies
Maintenant qu’on ne peut plus denier que la gestion de la crise sanitaire ne s’arrête pas au confinement, il nous faudra réfléchir avec un peu plus de recul la question du tri des vies tel qu’il s’opère dans le contexte de la pandémie mais également au-delà. Alors qu’il s’agit de nous « habituer à la surmortalité » en continuant une vie « normale » (confinement, métro, travail, école) tout en évitant de saturer complètement les hôpitaux, la froideur clinique gestionnaire est manifeste face à un virus qui s’attaque tout particulièrement aux pans les moins productifs de la société (les personnes âgées et ceux et celles qui se retrouvent enfermés dans des espaces où les mesures de protection sont plus compliquées à appliquer comme les prisons, les bidonvilles, les CRA, etc…). On se demandera donc comment et par qui la valeur des vies est hiérarchisée.
On a vu fleurir dès le début des différentes gestions sanitaires de la pandémie de covid à l’échelle internationale maints raisonnements parfaitement cyniques calculant le prix et la valeur des « vies humaines » selon des critères comme l’âge, la co-morbidité, l’état de santé, le profil économique, etc, à travers des éditos et des articles de presse, mais aussi comme raisonnements sous-jacents à des circulaires et consignes des ARS ou du ministère de la santé en France, faisant passer des mesures comme la fin temporaire du déplacement du SAMU dans les EHPAD, ou le maintien coûte que coûte des patients des établissements médico-sociaux hors des hôpitaux publics. A donc été publiquement assumée une normalité du « tri des vies », de la sélection et de la priorisation des soins, qui, en effet, a bel et bien lieu à travers les différentes formes de gestion de crise, jusqu’aux situations critiques de l’accès en urgence aux salles de réanimation dans les hôpitaux, refusé à des personnes jugées moins « prioritaires ». Si cette pratique existait déjà avant, le fait qu’elle puisse à ce point apparaître comme normale et justifiée par la « crise sanitaire », à un point où il est visible que tout un chacun n’est pour l’État qu’une matière première à traiter selon les impératifs du maintien du monde sur ses bases capitalistes, nous invite à prendre le temps de réfléchir à ce qui nous semble être un moment de l’histoire où de nombreux verrous sautent irrépressiblement dans les consciences démocrates du vieux monde. Pourtant, il peut être intéressant de réfléchir aux différentes formes qu’a pu prendre le « tri des vies » dans l’histoire, jusque dans ses applications gestionnaires extrêmes que peuvent être l’eugénisme, l’exclusion, voire la mise à mort, que celle-ci soit programmée ou non, tout en pensant la spécificité des formes actuelles de « tri ». Aux Fleurs Arctiques, nous réfléchissons justement depuis un certain temps à l’hypothèse d’un nouveau paradigme de gestion en train de se mettre en place, qui pourrait aider à comprendre le « tri des vies », celui de la « société assurancielle ». Cette hypothèse pourrait être approfondie à l’occasion de cette discussion. En effet, la « société assurancielle », c’est l’hypothèse d’une gestion se faisant par anticipation et prédiction des risques, en agissant dans le but de se prémunir a priori contre tout ce qui pourrait aller à l’encontre du développement du capital et de l’Etat. C’est « s’assurer » en gérant. Or, ce rapport au temps qui vise à assurer l’avenir, se retrouve justement à déterminer des choix de soin et de traitements, de rapports à la vie et à la mort, en faisant passer le maintien en bonne santé, le « capital santé », avant la préoccupation de la maladie. Nous proposons d’avoir le numéro 6 des « Feuilles Antarctiques » consacré à la société assurancielle comme base de la discussion, afin de poursuivre et d’approfondir cette réflexion avec tous ceux que cela intéresse.