« A bas le Grand Soir, vive la révolution ! »

Vendredi 17 décembre à 19h

 

Quand déconstruirons-nous le léninisme diffus qui s’insinue jusque dans les discours et pratiques anti autoritaires ?

Après l’effondrement du bloc de l’est, un courant de pensée anti-totalitaire s’est affirmé et reconfiguré, poursuivant par certains aspects les critiques émancipatrices du militantisme et de la forme Parti en cours depuis les années 60, mais infusant aussi l’idéologie dominante en se diffusant plus largement et en s’hybridant avec un désaveu de toute perspective révolutionnaire carrément droitière, héritière de la guerre froide. Ce courant de pensée s’est notamment incarné dans ce que l’on a appelé les « nouveaux philosophes », composé d’anciens soixante-huitard conquis à la défense de la social-démocratie. La peur de la Révolution et de la transformation radicale que cette dernière implique a alors pris largement le pas sur l’idée d’en finir avec ce monde. Aujourd’hui le terme de « Révolution » n’est plus très en vogue, voire même un peu cringe, les derniers à l’employer sont certains anti-autoritaires, et les reliquats (ou tristes résurgences) des différents communistes de parti (trotskistes ou staliniens) qui n’ont apparemment pas encore été étouffés sous leurs propres magouilles et ambitions autoritaires. Ce « dégoût » (qui va parfois jusqu’au refus) des perspectives révolutionnaires dans les aires subversives et anti-autoritaires consonne harmonieusement avec un certain nihilisme libéral ambiant caractéristique de cette époque post-moderne. Ce qui est appelé nihilisme ici, c’est précisément la fin des « grandes hypothèses », la défiance vis-à-vis des perspectives larges, comme celle de la Révolution (et effectivement, l’horizon du « Grand Soir » repoussé à plus tard s’est incarné en injonction d’acceptation de l’existant), mais cette défiance semble aujourd’hui emporter avec elle toute perspective d’émancipation collective, voire l’horizon relativement minimal de la destruction de toute forme de pouvoir. Ce qu’il reste, ce sont des pratiques, qui se réduisent hélas bien souvent à du folklore, mais la promesse de la fin de ce monde semble se tarir. Ce qui va être alors opposé à la Révolution par les anti-autoritaires, c’est « l’insurrection », la « révolte » ou même…rien (le développement personnel). Ce qui peut étonner dans cet état de fait, ce n’est pas la place donnée à ces deux notions, qui, comme l’émeute, n’ont objectivement rien de contradictoire avec la Révolution, bien au contraire, c’est plutôt le fait de les utiliser pour conjurer toute perspective révolutionnaire. On peu peut-être même dire qu’il faudrait se méfier de ceux qui utiliseraient l’un de ces trois termes contre les deux autres (par exemple révolution contre révolte et insurrection). Ce discours, en plus de contribuer à l’enfouissement de l’horizon révolutionnaire et à favoriser un repli sur soi, est d’autant plus inquiétant qu’il ne permet pas la curiosité, le rattachement à l’histoire des révolutionnaires et éloigne radicalement la possibilité de comprendre les enjeux qui ont agité communistes et anarchistes, les luttes dans lesquels ils se sont engagés (comme par exemple contre ceux qui voulaient prendre le pouvoir dans et grâce à la Révolution, comme dans toutes les phases révolutionnaires, en Russie en 1917, en 68 et après). Pire encore, cela entérine de fait la conception de la Révolution sous le prisme du Parti. La Révolution serait autoritaire, elle serait forcément viciée, sa réussite la vouerait à l’échec, à la prise du pouvoir d’un petit nombre sur les acteurs de celle-ci, elle serait intrinsèquement vouée à l’autoritarisme et au « léninisme ».
Cette situation déjà problématique se complique d’un paradoxe : ce refus de la Révolution au profit de l’insurrection ou du néant n’évacue pas des pratiques qu’on pourrait qualifier de léniniste, parfois même au contraire l’autoritarisme des pratiques à le champs libre pour prendre le dessus, y compris dans les aires qui justement refusent la Révolution au nom de l’anti-autoritarisme, ça fait chic. Comme souvent l’idéologie rend aveugle et loin de lutter contre des tendances réelles, les laisse perdurer et s’installer dans le confort du déni. Même si le léninisme en tant que référence positive n’est plus dans les lèvres de grand monde (quoiqu’on commence à le revoir surgir comme position politique assumée, dans quelques groupuscules néo-maoïstes et sur un site comme ACTA par exemple) ces pratiques n’ont pour autant pas disparu, et des camarades, des compagnons et autres « subversifs » se retrouvent dans des positions de pouvoir, à donner des directives, à décider de qui est à sa place et de qui ne l’est pas, à brider les tentatives subversive qui ne seraient pas validées par la ligne politique en reconstituant, en toute informalité, des hiérarchies pyramidales imaginaires voire même en reconstituant de véritables bureaux politiques, parfois sans même s’en rendre compte. L’absence de tensions révolutionnaire ne créerait-elle pas le terreau favorable à l’émergence de ce néo-léninisme diffus permettant toutes sortes de prises de pouvoir formelles et informelles ?
Qu’est-ce qui finalement fait le léninisme, un discours, des pratiques ou les deux ? Est-ce que c’est un concept dépassé, lié à un révolutionnaire du début du XXème siècle ou bien au contraire le léninisme ne désignerait-il pas plutôt un arsenal de pratiques, théorisées par Lénine ou par d’autres, qui correspondent plus largement à une tendance tenace à mettre à profit les rapports de pouvoir si facilement présent dès lors qu’on se relie à d’autres pour intervenir (et même dans la perspective de l’insurrection pensée comme conjuration de la Révolution) ? L’insurrection serait-elle le remède miracle à toute avant-garde, promettant une spontanéité sans dieux ni maîtres ? Qu’en est-il dans ce cas du blanquisme et de l’exemple plus récent de l’appellisme ? Pourquoi l’insurrection serait-elle exempte de toute volonté de contrôle, de gestion ? Une visée révolutionnaire conséquente ne consisterait-elle pas justement à s’attacher à démonter les pratiques léninistes qui se construisent au sein des luttes pour prendre la tête de la Révolution ? C’est à toutes ces questions que nous vous invitons à réfléchir et à discuter le 17 décembre à la bibliothèque des Fleurs Arctiques.