Norme et révolution

Vendredi 3 décembre 19h

 

Avec le mouvement de mai 68 s’est développée de manière diffuse dans les luttes et dans les milieux universitaires une critique de la norme suivie d’une analyse des marges, des exclus, des laissés-pour-compte de la société. L’idée posée par cette critique est que le marginal est subversif et qu’il ouvrirait en se mettant en lutte une faille dans la norme et par extension dans la société, et que c’est dans cette faille que nous pourrions nous engouffrer pour la remettre en question, la réformer ou la détruire, suivant les perspectives. Ainsi le genre, la famille, le travail, l’identité, autant de catégories et de concepts normatifs piliers de la société, se sont vus mis à mal par ces révoltes, en pratique et en théorie, et, en opposition, les tendances réactionnaires de ce monde tentent toujours de réhabiliter, de défendre et d’asseoir ces normes. Ont suivis au mouvement des chômeurs, les luttes contre les CRA (Centre de Rétention Administratif, c’est-à-dire les prisons pour sans-papiers) et bien d’autres, que nous pouvons peut-être lire aujourd’hui comme symptomatiques de cet héritage de mai 68, qui est aussi venu briser les habituels standards militants, partisans et syndicaux, rigides, classiques et mortifères et permettre l’ouverture de différents champs de luttes. Mais cette critique vivifiante de la norme soulève par ailleurs d’autres questions quand le mouvement global de la critique libertaire se tourne vers l’abandon des perspectives révolutionnaires de destruction concrète de l’Etat et du Capital. En effet cette critique de la norme a pu, au fil du temps et dans un mouvement étrange de la pensée, se substituer à l’élaboration d’une perspective large et radicale en concentrant les efforts politiques sur des questions toujours plus auto-centrées, toujours plus axées sur les relations interpersonnelles et les formes de dominations qui peuvent s’y trouver, toujours moins larges. La critique de l’Etat et la volonté collective de le détruire se voient effacées sous celle de la part d’Etat que l’on trouverais en chacun de nous, et ainsi la révolution est reléguée au rang des totalitarismes défaits par l’Histoire en même temps que l’URSS, et les perspectives ne peuvent alors plus se concevoir avec ambition. Cette focalisation de la question de la norme peut également amener la cristallisation de toutes les questions et de toutes les pratiques autour d’elle, accompagnant le développement des idées bien démocrates de contre-norme, de contre-culture, de contre-pouvoir (citoyen, partisan et militant). Tout ceci pourrait être désigné comme la « post-modernité ». La critique de celle-ci et de la pensée de la norme qu’elle porte tombe bien souvent dans des critiques complètement réactionnaires, et ce de deux manières. Soit lorsque cette critique est formulée par certains courants de la droite et l’extrême droite, soit lorsqu’elle est faite par des révolutionnaires qui veulent faire table rase de cette critique de la norme et du caractère subversif qu’elle peut avoir. Ce refus de la subversion chez certains révolutionnaires critiques de cette notion, en plus de faire l’impasse sur ce que peut avoir de révolutionnaire la subversion liée de la norme, retombent de fait dans des conceptions de la Révolution d’avant 68, comme si tout ce qui avait été pensé à ce moment-là était à jeter puisqu’il a engendré cette post-modernité qui abandonne la Révolution. Puisque se pose alors le besoin de critiquer cet abandon des perspectives révolutionnaires au profit de l’obsession totale pour la question de la norme, il nous faut veiller également à ne pas voir cette critique retomber dans un classicisme réactionnaire qui nous mènerait à une impasse historique, à la défense du non-marginal, du non-subversif, et pour finir du normatif. Pour participer ensemble à cet important débat d’époque qui est la place des perspectives révolutionnaires dans les luttes, pour faire exister nos contradictions si précieuses, pour questionner les formes que peut prendre cet héritage de mai 68, pour critiquer le progrès et la réaction, pour critiquer la Norme, l’Etat et le capitalisme (et peut-être pour certains.. la Révolution) retrouvons nous le 3 décembre aux Fleurs Arctiques.