Groupe de lecture de l’Appel – Les samedis du mois de juin à 16h

Dans le cadre des groupes de lecture

Les samedis du mois de juin à 16h

L’Appel est ce petit livre marron, sans auteur ni éditeur, qui a été diffusé à partir de 2003. Ses modalités de diffusion, en grand nombre et « sous le manteau », avec très vite des traductions qui lui permettent de circuler dans plusieurs pays d’Europe, contribuent, au moins autant que son contenu, à intriguer : le coup éditorial fonctionne. Sorti à un moment où peu de textes théoriques généraux circulent dans les « aires subversives », cet appel à mobilisation du Parti Imaginaire est lu, discuté, et, d’une certaine manière et à une certaine échelle, entendu, en particulier par son public cible : une jeunesse en mal de théorie de la révolte et aux « subjectivités friables ». Dans les aires subversives, il énerve, intrigue, mais petit à petit imbibe des milieux déjà gagnés par les apories de la post-modernité, plus par son vocabulaire et son style que comme une pensée structurée à partir de laquelle on réfléchit et on argumente. Ce petit texte vient fournir des affirmations et de l’arrogance là où on se laissait bercer dans l’incertitude et un certain activisme perdu dans l’anti-intellectualisme. Il réconcilie alternativisme mou et folklore radical. D’une certaine manière, il fait son office et le « nous » de « nous avons commencé » se met à consister a posteriori. En quelques années, aidé d’investissements financiers conséquents (« investissements » parce qu’on en attend évidemment une forme de rentabilité), se constitue une aire – faite d’adeptes convaincus et de missionnaires zélés – entourée d’un public complaisant. L’accroissement numérique réel des recrutements s’arrête assez vite, mais le succès de scandale de l’Insurrection qui vient, cette fois diffusé très normalement par La Fabrique, un éditeur de gauche véritable, et en librairie – succès grandement « aidé » par les suites très médiatiques des arrestations imprévues de Tarnac – vient asseoir une réputation tout en élargissant l’écho de ces énoncés. On connaît la suite. Des tribunes dans le Monde, Libé, Die Zeit, des lieux de vie mais aussi de consommation et de « production » (des restaurants, une usine à pâte…), une politique de contrôle territorial et d’installation de colonies ici ou là, la participation à des élections locales, un opportunisme politique décomplexé, des méthodes politiques de trotskystes ou de Tutte Bianche (pragmatisme, ouverture et démocratisme apparent, coup de poing à ceux qui entravent la mise en œuvre de la ligne politique), des moyens de diffusion en phase avec l’époque (« Lisez Lundi Matin°! » comme le répète un tag publicitaire) donnent des possibilités de faire fructifier les quelques mouvements sociaux récents, en se posant à la fois en représentant d’une certaine radicalité et en cherchant à se positionner quelque part dans la recomposition de la gauche de la gauche. Pourtant, le temps passant, des dissonances d’importance se font sentir, des amitiés se dénouent avec fracas, les dégâts humains deviennent visibles, le double discours et le grand écart entre la radicalité affichée et les intentions politiques deviennent difficile à tenir.

Alors que la proposition politique qu’il a ouvert est arrivée à une sorte de point de maturité (qu’ils parviennent à exister politiquement à gauche de la gauche ou qu’ils échouent, à partir de maintenant la voie est tracée…), c’est le moment de revenir à ce petit livre et de le lire ensemble aujourd’hui. La confrontation entre la réalité de ce que cette proposition est devenue et la manière dont elle s’est énoncée au départ permettra peut-être de comprendre comment a opéré la séduction et d’analyser ce qui s’est dit au regard de ce qui en est fait. Il s’agira en somme d’éclairer le texte, ses mots, ses manières d’affirmer, sa rhétorique persuasive en somme, par la réalité qui s’est agrégée à partir de lui.

On procèdera de la manière la plus simple et collective possible : on lit ensemble, on discute librement de ce qu’on est en train de lire, on prend des notes de ce qui se discute. On pourra lire autour du texte aussi : d’autres textes d’obédience appelliste, d’autres qui adoptent un point de vue critique. Ce groupe de lecture, qui commence au mois de juin, va se poursuivre le temps qu’il faudra. Il n’est pas nécessaire de l’avoir pris à son début et de venir à toutes les séances pour y participer, mais quelques chose se poursuivra, de semaine en semaine.

Les 400 coups – vendredi 27 juillet à 19h

François Truffaut, 1959, 1h39

vendredi 27 juillet à 19h 

Antoine Doinel n’aime pas vraiment l’école. Il préfère largement l’école buissonnière, pour aller avec son pote au cinéma ou emmerder les passants. Mais par définition l’autorité du monde et ses adultes ne veulent pas son bonheur et il va devoir ruser entre famille, professeurs, balances et bien d’autres salauds pour vivre et faire les 400 coups, en bref échapper à la réalité de ce monde.
Le film donne un récit tiré de l’enfance de Truffaut et de celles de bien d’autres par le prisme d’Antoine Doinel, à mi-chemin entre école buissonnière et poésie de la paresse, entre enfance insouciante et rêveuse, blagueuse, vivante. En face, le monde adulte triste, complexe et toujours dans un mélange de désintérêt et de contrôle à son égard. C’est donc une réflexion sur le monde et son école, sur ses adultes, sur son système et ses institutions, face à l’espiègle jeunesse pour qui l’obéissance est bien la dernière des passions.
Et à partir du moment ou l’enfance devient incontrôlable, tout devient plus sérieux et la rébellion n’est plus un jeu d’enfant.

Halloween – vendredi 13 juillet à 19h

John Carpenter, 1978, vostfr, 1h31

vendredi 13 juillet à 19h

Après avoir été interné pendant 15 ans suite au meurtre de sa sœur, Michael Mayers s’échappe et revient dans sa ville natale pour tuer de nouveau. L’histoire d’Halloween est connu tout comme son analyse habituelle ( Mayers représente le retour du conservatisme des années Régan et la liquidation de la culture des années 60-70 par le meurtre d’adolescents ). Et pourtant, ce monstre lent et imposant, au faciès inexpressif, qui reste impassible devant sa propre destruction. Produit par ce monde à travers ses tentatives d’apprivoisement et d’enfermement, mais aux intentions inconnues si ce n’est la fin du refouement et le déchainement de ses frustrations contre les normes de cette société – ces mêmes normes qui empèchent à ceux qui s’y conforment de voir et d’apprécier la menace. Ce monstre semble avoir toutes les caractéristiques du Kaiju tout comme le film dont il est le protagonniste celle du Kaiju Ega que ce soit par l’annonce de la destruction, le personnage de professeur-Cassandre et jusque dans son final… C’est notamment autour de la question du monstre, de l’identification du spectateur-pervers à celui-ci par la mise en scène et sa dé-monstration que l’on propose de regarder ce film qui a poser les bases du slasher. Et qui de mieux qu’un vendredi 13 pour le faire.

Le Roi et l’Oiseau – vendredi 10 août à 19h

Prévert & Grimault, 1980, 1h27

vendredi 10 août à 19h

« C’est l’histoire d’un roi très mauvais qui a des ennuis avec un oiseau très malin et plein d’expérience ; il y a aussi des animaux qui sont très gentils, deux amoureux et beaucoup de gens épouvantables. » (Prévert)

Où les bergères cessent de toujours épouser les rois, où les oiseaux et les fauves s’échappent de leurs cages, où les hommes n’ont plus à vivre loin du soleil et de la lune.
Ce grand renversement commence par une petite affaire : dans le royaume de Taquicardie, la bergère aime le ramoneur, le roi aime la bergère. Pour épouser de force la bergère, qui s’est enfuie avec le ramoneur, le portrait du roi se débarrasse de son original et lance la police aux trousses des deux fuyards, partis découvrir le monde. Un oiseau espiègle et grand ennemi du roi les aide à échapper aux différentes polices, dans le dédale du royaume de Taquicardie. Pourchassés, rattrapés, de nouveau enfuis, ils sèment derrière eux la révolte. Mais l’agitation finit par dépasser les protagonistes eux-mêmes lorsqu’un colosse de fer, un kaiju, d’abord arme du roi pourchassant les fuyards, puis distraction de l’oiseau pour permettre l’évasion des amoureux, finit par semer de lui-même la destruction dans l’ensemble du royaume, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien que des pas dans le sable. Et, dans la joie du repos, il s’assoit, contemple les ruines et pleure en silence.
La bergère et le ramoneur, par qui tout commence, refusent l’autorité du roi et des traditions pour s’aimer et s’enfuir. Cette subversion en entraîne d’autres, et s’achève dans la destruction intégrale du royaume par la main du colosse, produit par et pour le pouvoir puis devenu autonome, semblablement incompréhensible, fou. Mais la figure étrange et destructrice du colosse est aussi celle qui porte l’achèvement de ce conte poétique : car dans ce film où l’on ne parle que de liberté, les prisons ne sont véritablement brisées qu’après la destruction totale du royaume.

A propos du documentaire « Ni Dieu, ni Maître, une histoire de l’anarchisme » : L’épisode d’Haymarket square

L’épisode d’Haymarket square

Samedi 5 mai à 19h

Il y a maintenant un peu moins d’un an était diffusé sur Arte le documentaire Ni Dieu ni Maître – Une histoire de l’anarchisme de Tancrède Ramonet. Dans une période de misère politique, alors que la mainmise sur l’histoire des luttes et des mouvements révolutionnaires reste le dernier bastion auquel s’accroche le vieux Parti Communiste, ce documentaire qui se présente comme une « réhabilitation de l’anarchisme » (!) a été accueilli plutôt positivement dans les milieux militants et institutionnels. En période de disette, tout n’est pas pour autant bon à prendre. S’il nous a semblé nécessaire de réaliser une lecture critique de cette « histoire de l’anarchisme » tout public, au-delà des imprécisions et des erreurs grossières qui perlent ce documentaire de bout en bout, c’est d’abord pour ce que ce travail véhicule comme lecture identitaire de l’anarchisme, mais également parce que son optique est la réhabilitation de celui-ci dans le cadre de l’historiographie stalinienne à la française, opérant ainsi la liquidation de ce qu’il peut en rester de subversif pour aujourd’hui.

Nous proposons plus spécifiquement ce soir, de discuter de ce que les auteurs de ce documentaire font aux évènements d’Haymarket Square en 1886 à Chicago, épisode historique et insurrectionnel qui servira jusqu’à nos jours de symbole du 1er Mai. Nous verrons comment, celles et ceux que l’on nous présente dans le documentaire comme dans de nombreux fascicules libertaires ou d’Etat, comme de doux agneaux, martyrs intégraux de la cause des travailleurs, innocents dans l’âme : les dits « martyrs » de Haymarket, étaient en fait, comme beaucoup d’autres insurgés de ces temps agités, de simples anarchistes et révolutionnaires, ni innocents ni coupables, ni héros ni martyrs, qui ce jour-là, avaient pris la décision courageuse d’une tentative insurrectionnelle armée à Chicago. Tentative qui se soldera par un échec, et la mise à mort tragique de plusieurs des participants, assassinés par la justice. Un épisode malmené par de nombreux historiens, qu’ils soient universitaires ou libertaires, souvent malmené par les révolutionnaires eux-mêmes, que ce soit par ignorance (entretenue par un mouvement libertaire organisé amorphe et content de lui, mais à l’article d’une mort certaine), ou par préférence d’une version victimaire et édulcorée d’un épisode qui devrait plutôt inspirer la fierté que la réécriture innocentiste et légitimiste.

Une toute autre « version » : la vérité, porteuse d’un autre monde, dans laquelle ce ne sont pas des flics et des complots qui posent des bombes, mais bien les révoltés, pourra s’exprimer ce soir contre la démarche de muséification et de javellisation bourgeoise de l’histoire des luttes à l’œuvre dans ce documentaire comme dans toute dynamique de « réhabilitation » de la violence révolutionnaire aux yeux de l’Etat et de la bourgeoisie.

A travers cette réduction de l’anarchisme — comme on réduit une tête chez les Jivaros —, c’est la perspective révolutionnaire en elle-même qu’on travaille à liquider, quelle que soit la manière dont on peut la formuler et la concevoir. C’est la nature subversive de l’anarchisme (que l’on retrouve chez les insurgés d’Haymarket) et la nécessité révolutionnaire face aux alternatives post-capitalistes et para-étatiques (promues dans ce documentaire) que l’on attaque pour mieux les enterrer sous des piles de vieux livres.

Nous proposons un moment de discussion autour de toutes ces questions le samedi 5 mai 2018 à 19h à la bibliothèque révolutionnaire Les Fleurs Arctiques, 45 Rue du Pré Saint-Gervais, 75019 Paris – Métro Place des Fêtes (lignes 7bis et 11 du métro).

…Et pendant ? Pour un mouvement joyeux et destructeur contre le monde et sa sélection

Cliquer sur l’image pour télécharger le flyer
  • Mardi 10 avril – 19h Discussion sur le mouvement en cours.
  • Vendredi 13 avril – 19h Ciné-club : The Wall de Alan Parker.

C’est le début d’un mouvement étudiant, des dizaines de facs sont occupées et, avec la grève des cheminots qui est en capacité de perturber la normalité, quelque chose commence peut-être… Au lieu de se demander comme tous les fossoyeurs de luttes syndicaux et Organisés « …et après ? », posons nous plutôt tout de suite la question « …et pendant ? ». A côté des AG stérilisantes et interminables qui maintiennent les catégories que l’on cherche à détruire, des pratiques bourgeoises et manipulatrices comme les tribunes et les tours de paroles, mises en places par ceux qui ont des habitudes politiciennes et peuvent ainsi régner, il y a partout, comme depuis toujours, des choses plus intéressantes qui se passent. Ce mouvement en devenir, parce qu’il pose la question de la sélection et donc de la réussite et de la place qui nous est laissée dans ce monde, porte en lui un potentiel subversif.

Ne perdons pas le temps précieux de la révolte en AG infinies, applaudissements, votes absurdes, gestuelles idiotes de démocrates assumant le statut de marionnettes et autres pratiques minimalisantes. Ne laissons pas s’éteindre le mouvement dans le corporatisme, les pratiques et discours dissociatifs, la collaboration syndicale et la préparation du retour à la normale.

On propose mardi 10 avril à partir de 19h un moment de discussion ouvert sans carte d’étudiant, ni tribune, ni tour de parole, où on pourra parler de ce qui est en train de se passer, du monde et de sa sélection, de l’école et de son rôle, ainsi que des mouvements passés et de ce qu’ils peuvent nous apprendre pour aujourd’hui, notamment au travers du visionnage d’un montage vidéo à propos du mouvement contre le CPE en 2006. Venez partager propositions et expériences !

Aux Fleurs Arctiques
45 Rue du Pré Saint-Gervais, 75019 Paris
Métro Place des Fêtes (lignes 7bis et 11 du métro).

 

On ne va pas attendre la Révolution pour faire la révolution…

Vendredi 16 mars à 19h

Que faire de la notion de « lutte dans la lutte » ?

Le mythe du Grand Soir a vécu. Sa fin emporte avec elle le Parti qui le prépare, son programme, ses étapes, l’obéissance de ses militants à sa ligne, et, plus fondamentalement, l’idée que c’est plus tard que se résoudra le problème des rapports de dominations et d’autorités dont ce monde est fait. Mais on ne va pas attendre la Révolution pour ouvrir des possibilités d’émancipation. Alors que faire quand il n’est plus question d’obéir en attendant un futur radieux ? Décréter qu’on abolit l’autorité et les rapports de pouvoir pour échapper à ce monde ? C’est tomber dans l’illusion de l’alternative et éluder la question révolutionnaire. En pensant échapper à ce monde, on y construit son nid, et c’est à la révolution qu’on échappe. Faire valoir l’exigence fondamentale que changent les rapports de domination et de pouvoir ici et maintenant ne peut se réaliser que dans la perspective d’une conflictualité globale avec l’existant, donc dans une perspective révolutionnaire. Et, réciproquement, cette conflictualité globale contient en elle des luttes internes contre les rapports de domination et de pouvoir qui s’y reproduisent. C’est ce que signifie sans doute la notion de « lutte dans la lutte ». Face à ce constat, notre drôle d’époque propose une drôle de porte de sortie (sortie de la perspective révolutionnaire qui implique sans doute trop de risques et de plongée dans l’inconnu pour le rapport au monde « assuranciel » qui se généralise). C’est l’idée qu’on pourrait s’impliquer dans les luttes internes à la perspective révolutionnaire, sans se soucier de la question révolutionnaire. Les luttes dans la lutte, mais sans la lutte, en somme. Se libérer des rapports de pouvoir et de domination sans la révolution, voilà ce que propose aujourd’hui la post-modernité triomphante à une époque qui n’attendait qu’elle pour tenter de mettre fin aux souffles révolutionnaires qui avaient traversé jusque là l’humanité et son histoire. C’est cette question qu’on propose de discuter, à partir d’une contribution à la réflexion en cours autour des Mujeres Libres dans la révolution espagnole et de la question de la « non-mixité », à lire ici.

L’Avocat de la terreur

Barbet Schroeder, 2007, 2h15

lundi 19 mars à 19h

Des images terribles du génocide des Khmers Rouges au Cambodge et la voix de Vergès plaidant face au spectateur (et à l’Histoire) en défense de ces vainqueurs génocidaires, remettant en question le terme de « massacre » et sa réalité. La voix off cherche à nous faire perdre le Nord : « Que prouvent ces images de charniers ? Qui peut établir les chiffres et les causes ?« . La « défense de rupture », telle qu’il l’a théorisée à partir de la défense des poseuses de bombes du FLN, sort alors du tribunal pour façonner et construire, en défense des génocidaires khmers, cette « vérité judiciaire » afin de persuader d’une contre-vérité historique. Les faits, les témoignages et les images se dissolvent dans les arguties sur les chiffres ; les mots et la rhétorique prennent alors le dessus. Voilà sur quoi s’ouvre ce film documentaire qui retrace le parcours d’un homme, Jacques Vergès, de son rôle d’avocat des condamnées à mort du FLN à la défense du boucher nazi Klaus Barbie et des tyrans sortis vainqueurs et accapareurs des mouvements de décolonisations, et cherche à percer un « mystère Vergès » savemment auto-entretenu par ce dernier. En vertu d’une connivence plus fondamentale avec les ex et futurs vainqueurs, le refus de la connivence judiciaire qu’il que Vergès choisit d’exercer dans les cas les plus limites se résume à une transaction sordide qui finit toujours par absoudre les massacres et les génocides des accusés, en même temps que ceux des accusateurs, puisqu’il s’agit d’inscrire le massacre dans la relative banalité de ce monde. Et, miracle de l’anti-imperialisme, si l’on en croit Vergès et ses amis, le massacre et les charniers peuvent donc s’integrer sans aucun souci à l’eventail des pratiques dites « révolutionnaires ». Dans ce marasme glauque de relativisme absolu, l’ignoble cotoie et contamine l’emancipation. La fascination du documentariste est palpable dans ce film, dont la complaisance, qui ne cache pourtant rien des fourvoiements d’une époque et des ressorts ignobles du rôle que Vergès a pu y jouer, sera à mesurer. Fascination pour la théâtralité du personnage qui se met en scène lui-même pour asseoir une toute puissance perverse et manipulatoire, fascination pour l’amoralité cynique, fascination aussi pour la terreur que Vergès défend. Reste l’Histoire dont il fait « son décor », et qui est le véritable sujet de ce documentaire, l’histoire de l’anti-impérialisme et les fantômes qui la traversent auxquels il faudra bien un jour avoir le courage de faire face, de François Genoud, banquier des nazis puis du FLN, puis pourvoyeur de fonds de plusieurs groupes armés anti-impérialistes internationaux, puis commanditaire de la défense de Barbie, à Carlos le mercenaire de l’anti-impérialisme, en passant par les combattants du FLN aujourd’hui ministres, évoquant avec bonhommie le terrible attentat du Milk Bar à Alger (56). On y voit comment la défense des vaincus et la remise en question de la légitimité judiciaire se fourvoie systématiquement en défense des anciens et actuels vainqueurs, et ce que devient la rupture avec le système en présence quand elle se fait au nom d’un « peuple » et d’un Etat à venir… Comment aussi certains aspects de la confusion actuelle s’originent dans un aveuglement et une complaisance glaçantes avec le racisme, la domination religieuse et nationaliste. Et puis, ce qui finalement fait le fil rouge de ce moment historique vu au travers de cet homme et sa trajectoire trouble : l’antisémitisme, cette « colère contre les juifs » qui selon une de ses amies aurait pu le conduire lui-même à poser des bombes. Probablement était-il plus aisé de défendre Barbie que de le devenir.

Comprendre et critiquer l’école et son monde

Mardi 10 avril à 19h

Depuis qu’elle existe en tant qu’institution, l’école est au service de la bonne gestion des besoins de l’État et du capital. Elle qualifie quand il y a besoin de qualification, déqualifie quand il faut baisser le coût du travail, et toujours apprend l’obéissance et domestique la sauvagerie de l’enfance en faisant intégrer, que ce soit à coups de trique ou de pédagogies alternatives, la nécessité d’accepter ce monde et d’aspirer à y réussir. Elle est aussi le lieu où se rejoue toujours la possibilité de la révolte et du refus, elle est toujours forcément en crise, traversée de tensions et de contradictions inhérente à cette entreprise de gestion de l’ingérable. De la maternelle à l’université, ce qui s’y passe, les rapports qui y circulent, la manière dont adultes, enfants, adolescents y interagissent reflète cette fonction fondamentale. Si l’école d’hier a pu faire l’objet de critiques variées qui ont eu leur pertinence et ont été partiellement intégrées (donc désactivées) dans l’école d’aujourd’hui, celle d’aujourd’hui justement semble laisser bien démunis et impuissants ceux qui se rendent pourtant compte du désastre. On s’offusque de divers détails sans trouver le moyen de remettre en question, ni même simplement de décrire la réalité de ce qui s’y joue. Nous proposons d’ouvrir ce vaste chantier, de comprendre ce qui se joue à l’école en s’aidant de l’expérience de chacun (on y est tous passé, certains n’en sont jamais sortis …), mais aussi en réfléchissant autour de divers extraits de documentaires ou de fictions, en particulier Entre les murs et La journée de la jupe, deux films qui, chacun à sa manière, donnent une certaine image de l’école, tout en proposant des points de vue critiquables sur ce qu’il s’y passe et ce qu’il faudrait en faire. Nous avons choisi ces films dans la perspective de critiquer leur démarche et d’ouvrir enfin un champ de réflexion pour une critique radicale de l’école, ce qu’il s’y passe, ce qu’elle produit et ce qui la produit.

Comme un chien enragé

Vendredi 6 avril à 19h

« Le véritable problème en prison, c’est la prison »

A travers l’écoute d’un document audio (22 mn) réalisé à partir d’une lettre anonyme d’un détenu qui nous invitait à « visiter » la prison de la Santé à Paris, en 2011, nous proposons de discuter des conditions de détention actuelles en France, au moment où les matons font entendre leurs complaintes assourdissantes de geôliers qui voudraient que leur activité mortifère se déroule en toute sérénité ; et alors que, depuis des décennies, l’État prévoit sans cesse de nouvelles places de prison et construit les bâtiments high tech qui vont avec cette bonne gestion. Un enfermement qui sert à la fois de menace et de punition pour une partie de plus en plus nombreuse de la population. Discuter des conditions de détention n’a pas pour objectif ici d’envisager la nécessité d’une réforme de la carcérale, mais d’appréhender ce qui fait de la prison ce qu’elle est dans la vie quotidienne : la punition par l’enfermement. Réfléchir à ce dont est faite la vie en prison, c’est se rendre compte à quel point ces conditions de vie sont déterminantes et ont une incidence sur les révoltes individuelles ou collectives, sur la présence ou l’absence de  mutineries. Parler de la réalité de ce que fait l’enfermement à la vie, au temps qui passe, aux relations avec les codétenus à l’intérieur, avec les proches à l’extérieur, c’est à la fois comprendre le rôle et la place de l’enfermement dans le monde qui le produit, mais aussi comprendre son fonctionnement et ses codes, tenter d’appréhender comment y survivre, s’y organiser, comment maintenir le contact avec l’extérieur et, alors que l’enfermement judiciaire ou administratif ne cesse de se généraliser, c’est aussi se mettre en mesure d’y faire face. Cette discussion sera aussi une occasion de parler de l’actualité chaude des prisons françaises : grève des matons, révoltes de prisonniers, essor de la haute sécurité conjointement à la mise en place de ces mesures « alternatives » à l’enfermement qui, loin de diminuer le nombre de prisonniers, sont toujours là, en fait, pour enfermer autrement, de mieux en mieux, et de plus en plus. 

« La prison existe parce qu’une société a besoin d’elle pour injecter la peur qui la maintient et je ne vois pas bien comment on pourrait s’attaquer à la prison sans en finir avec le monde qui la produit et en a besoin, et vice-versa. Je ne vois pas bien non plus à quoi peut servir de lutter pour des prisons « plus humaines », ou des « alternatives » à la prison quand le réel problème transcende si largement la simple question de la prison et se retrouve dans tous les aspects de la société : le principe même de domination et d’autorité. Nous voulons recouvrer notre liberté, mais dehors non plus nous ne sommes pas libres. C’est parce que je suis pour la destruction des prisons que je suis révolutionnaire, c’est parce que je suis révolutionnaire que je suis pour la destruction des prisons.»