L’Avocat de la terreur

Barbet Schroeder, 2007, 2h15

lundi 19 mars à 19h

Des images terribles du génocide des Khmers Rouges au Cambodge et la voix de Vergès plaidant face au spectateur (et à l’Histoire) en défense de ces vainqueurs génocidaires, remettant en question le terme de « massacre » et sa réalité. La voix off cherche à nous faire perdre le Nord : « Que prouvent ces images de charniers ? Qui peut établir les chiffres et les causes ?« . La « défense de rupture », telle qu’il l’a théorisée à partir de la défense des poseuses de bombes du FLN, sort alors du tribunal pour façonner et construire, en défense des génocidaires khmers, cette « vérité judiciaire » afin de persuader d’une contre-vérité historique. Les faits, les témoignages et les images se dissolvent dans les arguties sur les chiffres ; les mots et la rhétorique prennent alors le dessus. Voilà sur quoi s’ouvre ce film documentaire qui retrace le parcours d’un homme, Jacques Vergès, de son rôle d’avocat des condamnées à mort du FLN à la défense du boucher nazi Klaus Barbie et des tyrans sortis vainqueurs et accapareurs des mouvements de décolonisations, et cherche à percer un « mystère Vergès » savemment auto-entretenu par ce dernier. En vertu d’une connivence plus fondamentale avec les ex et futurs vainqueurs, le refus de la connivence judiciaire qu’il que Vergès choisit d’exercer dans les cas les plus limites se résume à une transaction sordide qui finit toujours par absoudre les massacres et les génocides des accusés, en même temps que ceux des accusateurs, puisqu’il s’agit d’inscrire le massacre dans la relative banalité de ce monde. Et, miracle de l’anti-imperialisme, si l’on en croit Vergès et ses amis, le massacre et les charniers peuvent donc s’integrer sans aucun souci à l’eventail des pratiques dites « révolutionnaires ». Dans ce marasme glauque de relativisme absolu, l’ignoble cotoie et contamine l’emancipation. La fascination du documentariste est palpable dans ce film, dont la complaisance, qui ne cache pourtant rien des fourvoiements d’une époque et des ressorts ignobles du rôle que Vergès a pu y jouer, sera à mesurer. Fascination pour la théâtralité du personnage qui se met en scène lui-même pour asseoir une toute puissance perverse et manipulatoire, fascination pour l’amoralité cynique, fascination aussi pour la terreur que Vergès défend. Reste l’Histoire dont il fait « son décor », et qui est le véritable sujet de ce documentaire, l’histoire de l’anti-impérialisme et les fantômes qui la traversent auxquels il faudra bien un jour avoir le courage de faire face, de François Genoud, banquier des nazis puis du FLN, puis pourvoyeur de fonds de plusieurs groupes armés anti-impérialistes internationaux, puis commanditaire de la défense de Barbie, à Carlos le mercenaire de l’anti-impérialisme, en passant par les combattants du FLN aujourd’hui ministres, évoquant avec bonhommie le terrible attentat du Milk Bar à Alger (56). On y voit comment la défense des vaincus et la remise en question de la légitimité judiciaire se fourvoie systématiquement en défense des anciens et actuels vainqueurs, et ce que devient la rupture avec le système en présence quand elle se fait au nom d’un « peuple » et d’un Etat à venir… Comment aussi certains aspects de la confusion actuelle s’originent dans un aveuglement et une complaisance glaçantes avec le racisme, la domination religieuse et nationaliste. Et puis, ce qui finalement fait le fil rouge de ce moment historique vu au travers de cet homme et sa trajectoire trouble : l’antisémitisme, cette « colère contre les juifs » qui selon une de ses amies aurait pu le conduire lui-même à poser des bombes. Probablement était-il plus aisé de défendre Barbie que de le devenir.