Peut-on résister au manichéisme ?

Vendredi 18 février 19h

La plupart des controverses contemporaines (en particulier pour ce que l’on appelle outre-Atlantique les « guerres culturelles ») suivent le même schéma : lancées par la droite (extrême), elles placent la gauche (radicale) sur la défensive et finissent par enterrer toute possibilité de dépassement dialectique, tout d’abord en raison du rapport de force jugé défavorable, incitant les tentatives de regroupements les plus larges pour contrer la menace désignée comme prioritaire, voire exclusive.
C’est le frontisme, tel qu’on peut le retrouver par exemple dans les courants se réclamant de l’antifascisme ou dans les mouvements populaires contre les dictatures militaro-policières.
Pour les révolutionnaires et les partisans de l’émancipation, le problème n’est pas de savoir s’il faut lutter contre la droite (extrême), le fascisme ou la dictature – c’est là une évidence –, mais plutôt de préserver leur indépendance d’action et leur liberté de critique, malgré les injonctions du « camp du bien » à constituer un front commun (pour faire nombre, au risque d’alimenter des illusions réformistes) et à taire toute opinion divergente qui serait par nature susceptible de faire le jeu du « camp du mal ».
C’est le manichéisme, à savoir la traduction politique de la lutte du Bien contre le Mal, de la Lumière contre l’Obscurité, tel qu’il pouvait s’exprimer au cours de la « guerre froide ».
En nous appuyant sur des cas concrets tirés de l’actualité la plus brûlante, sur des exemples historiques ou des extraits de textes, nous échangerons sur la possibilité de résister à ces tendances afin de comprendre en quoi elles réactivent de vieux procédés (propres aux courants autoritaires dans les milieux intellectuels) et ce qu’elles ont de proprement original dans la période actuelle.

Discussion en présence de Nedjib Sidi Moussa, auteur de : Dissidences algériennes. Une anthologie, de l’indépendance au hirak (Toulouse, Les éditions de l’Asymétrie, 2021) ; Internationale situationniste, Adresse aux révolutionnaires d’Algérie et de tous les pays (et autres textes) (Paris, Libertalia, 2019) ; Algérie, une autre histoire de l’indépendance. Trajectoires révolutionnaires des partisans de Messali Hadj (Paris, PUF, 2019) ; La Fabrique du Musulman. Essai sur la confessionnalisation et la racialisation de la question sociale (Paris, Libertalia, 2017).

Quelques textes de référence :

Marcel Martinet, « Les intellectuels devant la révolution », Masses, n° 11, 25 novembre 1933
https://sinedjib.com/index.php/2021/02/27/marcel-martinet-les-intellectuels-devant-la-revolution/

Aimé Patri, « Philosophie de la police politique. A propos d’A. Koestler et de M. Merleau-Ponty », Masses, n° 7-8, février-mars 1947
https://sinedjib.com/index.php/2021/02/11/aime-patri-philosophie-de-la-police-politique-a-propos-koestler-et-merleau-ponty/

Aimé Patri, « Philosophie de la police politique. A propos d’A. Koestler et de M. Merleau-Ponty », Masses, n° 7-8, février-mars 1947
https://sinedjib.com/index.php/2021/02/11/aime-patri-philosophie-de-la-police-politique-a-propos-koestler-et-merleau-ponty/

Louis Mercier, « L’intellectuel communiste », La Révolution prolétarienne, n° 440, juin 1959
https://sinedjib.com/index.php/2021/03/03/louis-mercier-lintellectuel-communiste/

André Mistral, « Sur le petit commerce marxo-universitaire comme brève réflexion non théorique sur la production marxiste contemporaine », Spartacus, n° 89, février-mars 1978
https://sinedjib.com/index.php/2018

Décodeur

Lundi 14 février 19h

Musha – 1984
VOSTF (Allemagne de l’ouest) – 87’

Berlin, début des années 80, un marginal, compositeur de musique industrielle créé sa musique à partir des sons de la ville qu’il enregistre à l’aide de son enregistreur à cassette. Il va découvrir par hasard que la muzak est utilisée pour maintenir la paix sociale et va alors tenter de trouver les sons qui briseront la normalité.
Photographie néon cyberpunk, musique industrielle, groupes d’extrême-gauche organisés en cellules ou encore alternativisme, tout dans ce film rappelle l’Allemagne contre culturel des années 80. Mais bien plus que ça, il est une tentative de mettre en image et en bande son les questionnements et expérimentations de la scène industrielle de l’époque que ce soit l’utilisation du cut-up ou la recherche du son des vies sacrifiées à la machine et du son de l’émeute, et plus généralement des thématiques déjà abordées dans des ciné-clubs précédant à savoir l’opposition entre musique composée et musique concrète et les liens entre art et révolution.

A serious man

Lundi 7 février 19h

Ethan & Joel Coen – 2009
VOSTF (USA) – 106’

Avec ce film, les frères Coen poursuivent leur exploration satirique de l’absurdité camusienne et nihiliste, après notamment The Barber. Larry Gopnik a une vie de merde, le confort relatif de la classe moyenne pavillonnaire américaine n’y peut rien. Ce protagoniste cherche des réponses, il n’en trouve pas, même auprès des rabbins. Quel est le sens de la vie et de l’existence ? N’a t elle de sens que parce qu’on lui en donne ? Existe-t-il un autre remède que l’humour et le renoncement ? Sont-ce bien, d’ailleurs, des remèdes ? Voila une belle occasion d’aborder la question métaphysique avec un mauvais esprit salutaire.

Histoire de l’antiracisme, entre luttes révolutionnaires et récupération

Vendredi 4 février 19h

Si on peut, sans trop s’avancer, affirmer que le racisme est un fléau très ancien, le fait d’affirmer explicitement qu’on s’oppose au racisme à travers le terme « anti-racisme » est plutôt récent. Ce n’est que depuis la deuxième moitié du XXème siècle qu’on se dit « anti-raciste ». Dans le contexte français, la lutte contre le racisme est inséparables des politiques migratoires et des configurations coloniales. Dans les années 50, l’État français fait immigrer en masse des ressortissants de ses colonies d’Afrique du nord, dans le seul but d’exploiter une main d’œuvre dont la résistance est rendue difficile par une précarité extrême, une répression meurtrière et le désintérêt voir l’instrumentalisation de la part des représentants auto-déclarés des luttes d’indépendances nationales. A partir des années 70, plusieurs drames vont se retrouver médiatisés et mettre en lumière les différents problèmes auxquels la plupart des immigrés sont alors confrontées au quotidien, tels que l’incendie à Aubervilliers d’un bâtiment insalubre dans lequel 5 immigrés trouvent la mort, et plusieurs meurtres qui commencent à être qualifiés de « racistes » dans les cités de la banlieue parisienne au début des années 80. Le basculement vers une politique « d’immigration zéro » et la mise en place du regroupement familial à la même période font alors émerger la question de l’intégration de populations jusqu’ici tenues à l’écart.
Du côté des luttes, alors que le communisme de Parti et de syndicats reste centré sur la figure de l’ouvrier national (le Parti Communiste Français n’hésitant pas à affirmer des positions franchement racistes), les années 70 vont voir émerger différents collectifs de lutte plus au moins auto-organisés, que ce soit sur les questions du travail, du logement, et plus tardivement, des papiers, qui vont s’opposer à cette figure mythologisée, et vont contraindre la gauche à se positionner sur la question.
Va émerger de cette transformation de la gauche, entre autres, une conception paternaliste de l’antiracisme, qui s’oppose moralement au racisme tout en défendant une conception de l’intégration qui va avec la validation du tri des migrants, à la fois de la part de l’État et chez ses relais dans les luttes elles-mêmes (de Rocard avec son fameux « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde » à SOS Racisme, officine initiée par le PS à l’issue de la marche des beurs en 1983).
Depuis, l’antiracisme moral de la gauche continue à s’affronter de fait avec les formes de luttes concrète autour des questions migratoires (travail, logement, contrôle et répression du séjour irrégulier aux frontières et à l’intérieur du territoire, enfermement administratif….)
Ces questions se polarisent avec la montée d’un racisme assumé à droite (« le bruit et l’odeur » de Chirac…) et à l’extrême droite qui poursuivent les représentations coloniales d’une infériorité raciale qui justifierait la domination et l’exploitation d’une main d’œuvre immigrée dont on a, en même temps, ouvertement besoin.
Cette thématique traverse de fait les luttes sur le logement, les conditions de travail et les droit sociaux (comme par exemple les luttes autour des foyers Sonacotra dans les années 70, des régularisations en 1981, de luttes de sans-papier en 1996) qui luttent de fait sur la question du racisme sans nécessairement en faire leur sujet central – ce qui est plutôt réservé aux récupérateurs, qui ont tout intérêt à placer au centre de leurs perspectives un simple changement de mentalité, en lieu et place d’un changement radical des rapports sociaux. A l’inverse, les conditions produites par les formes de politiques d’intégration mise en place depuis les années 1970 ont permis l’émergence d’un antiracisme aux revendications bourgeoises et racialistes (représentation politique et médiatique, reconnaissances officielle, réformisme sécuritaire) qui instrumentalise notamment la question policière tout en se désintéressant de la question migratoire.
Nous nous demanderons que faire de cette histoire des luttes, de ce qui les a traversé, des contradictions qui s’y sont exprimées, alors que le racisme est toujours là, et se retrouve même à polariser les débats de la période électorale, qu’il sert toujours d’appui aux politiques xénophobes, alors qu’une nouvelle proposition d’ « antiracisme politique », fondé sur la validation du concept de race, affirme s’opposer à l’antiracisme moral de la gauche, et que la crise migratoire s’approfondit, ainsi que les tentatives désespérées pour échapper au contrôle, à l’encampement et au tri des migrants aux portes de l’Europe (voire à l’utilisation comme monnaie d’échange diplomatique…),
Il est clair que, aujourd’hui comme par le passé, lutter contre les racistes et contre le racisme est vital et qu’aucune perspective émancipatrice ne peut se désintéresser des questions liées aux migrations et aux frontières. Il est donc particulièrement nécessaire de réfléchir ensemble à la manière dont on peut et veut lutter sur ces questions.

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Cube

Lundi 24 janvier – 19h

Vincenzo Natali – 1997
VOSTF (USA) – 90’

Six personnes, jusqu’alors inconnues les unes des autres, se retrouvent enfermées dans un étrange labyrinthe en trois dimensions : une suite de cubes ayant chacun six ouvertures, une à chaque face. Tout l’enjeu sera pour eux de trouver le chemin vers la sortie en naviguant à tâtons dans ce dédale de pièces cubiques dont certaines se révèlent être des pièges mortels.
Nous les suivrons à travers leur parcours et leurs crises, de panique comme de paranoïa, chercher désespérément la sortie et le sens de ce voyage dans cet espace, métaphore de notre monde.
Le questionnement – présent tout au long du film – autour de la raison d’être de ce lieu nous amène à une réflexion autour du projet capitaliste et du sens des dispositifs qu’il produit.

Utopie 2021

Mardi 18 janvier 19h

S’il est bien une chose qui semble cruciale à notre époque, c’est de creuser à nouveau des perspectives révolutionnaires, de réfléchir à la question de la Révolution, et, ce faisant, sans doute, de l’imaginer. Mais dans quelle mesure la Révolution, qui ne prend sens que réalisée, a-t-elle besoin d’un imaginaire ? S’en nourrit-elle utilement ? Dépérirait-elle de ne pas être rêvée ? Ou, au contraire, à trop en déterminer virtuellement les contours, ne perdrait-on pas son caractère inouï, sa radicale étrangeté aux catégories, y compris imaginaires, de ce monde qu’elle vient détruire ? En tout état de cause, cet imaginaire, qu’on peut penser plus ou moins nécessaire, il existe bien des manières de contribuer à l’alimenter. L’une d’entre elles, la plus efficace sans doute, est l’utopie.
Puisque le fait d’imaginer, plus ou moins intensément, plus ou moins rationnellement, un monde entier et des relations entre les êtres humains radicalement autres, depuis ses propres fantasmes, rêveries et aspirations, a lieu finalement assez naturellement quand on souhaite la destruction et la disparition du capitalisme et de l’État, on peut faire l’hypothèse que l’utopie a plus ou moins toujours existé. L’utopie, qu’elle prenne la forme du récit, du raisonnement, d’une image, d’une musique, d’un poème ou d’un silence, peut être comprise, en quelque sorte comme la face sensible et affirmative de la négation et du refus du monde présent. Mais que reste-t-il de la négation dès lors que l’affirmation prend ainsi le dessus ?

Au XIXème, ceux que Marx et Engels ont qualifiés de « socialistes utopiques » ont justement transcrit leurs aspirations dans des perspectives politiques, liant ainsi l’utopie et la critique sociale, et luttant parfois pour faire advenir ces sociétés imaginaires qu’ils avaient mûries. Cependant, bien souvent les socialistes utopiques misaient sur une transformation du monde non par la révolution mais par la multiplication de communautés idéales (ce qui s’apparenterait de nos jours à ce qui peut être qualifié de perspective alternativiste), et bien des révolutionnaires de la seconde moitié du XIXème siècle ont critiqué cet aspect réformiste, refusant de séparer l’utopie, le rêve d’un autre monde sans État ni capital, des luttes révolutionnaires au présent. Mais un des dangers de la volonté utopique de transformer le monde par la révolution est de transformer des projections imaginaires d’une autre réalité en propositions, objectifs et programmes politiques. Ce que le XXème siècle a connu et qui peut expliquer en grande partie la disparition de l’utopie autant que des perspectives révolutionnaires, ce sont les pires justifications de mesures autoritaires au nom de l’utopie, d’un « monde à venir », au nom d’un « communisme » à construire et à imposer à la réalité présente, qui, ainsi utilisée, peut ne rien avoir de souhaitable.
Nos aspirations à l’émancipation tendent évidemment vers une révolution anti-autoritaire, où tous les individus seront (ou seraient ?) libres, sans État, argent ou travail, mais définir par avance ce à quoi devrait ressembler le monde d’après le capitalisme et l’État serait, malgré toutes les aspirations libertaires de cette utopie, foncièrement autoritaire. Elle dépasserait le stade de la rêverie, pour entrer dans celui du programme politique. Il serait, de plus, illusoire de considérer que nous avons les clés de compréhension et d’imagination suffisantes pour concevoir un monde à la hauteur de nos aspirations, alors que le capitalisme et l’État sont en permanence des freins à notre imagination et à notre pensée. La Révolution elle-même transformerait (ou transformera ?) profondément les possibilités d’imaginer et de créer, les aspirations des uns et des autres, sans que cela ne puisse être contrôlable ou même anticipable. Le passage unilatéral de l’utopie au programme politique, de l’imagination à son application, ne fait que simplifier le rapport de transformations permanentes et réciproques entre les aspirations – aussi variées qu’il y a d’individus et qui même, sans doute, foisonnent en chacun – et la réalité sociale. En tout état de cause, le rapport entre l’imagination et la lutte a sans doute tout intérêt à être sans cesse réinterrogé.
L’utopie a donc longtemps, pour les raisons et au nom des critiques énoncées plus haut, disparu des textes révolutionnaires, et a plus souvent servi de support, ces dernières années, à des tendances gauchistes, alternos et social-démocrates. Au XXème siècle, l’idée révolutionnaire était si présente dans les esprits, dans l’imaginaire collectif, elle paraissait si tangible, que l’utopie, le fait de mettre par écrit ses espoirs d’un autre monde, n’était absolument pas une évidence, et peut être à raison. C’est en cela qu’Utopie 2021 est un texte important, il paraît dans un contexte où l’imaginaire de la Révolution s’est effritée, où celle-ci ne paraît plus possible, et ce même pour une partie des aires subversives.
Mais Utopie 2021 ne développe pas seulement une utopie : ce livre, composé en trois parties qui se répondent, réfléchit au processus révolutionnaire et se demande comment est-ce qu’une subversion globale de l’existant serait possible ; et aux possibilités d’interventions des révolutionnaires à partir de la situation actuelle.
On propose donc une présentation et une discussion autour de ces thématiques, de l’Utopie, de l’intervention, de la Révolution et de son imaginaire, à partir d’Utopie 2021, et en présence de Léon de Mattis.

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Blow Out

Lundi 10 janvier – 19h

Brian de Palma – 1981
VOSTF (USA) – 108’

Un ingénieur du son travaillant pour des films de « série Z » (John Travolta), remis en question par le réalisateur pour sa réutilisation d’une banque sonore répétitive et artificielle, se met en recherche de sons réalistes dont un cri de femme pour une scène de meurtre. Alors qu’il enregistre les bruits nocturnes dans un parc de la ville, une voiture tombe d’un pont à proximité, le son de cet accident se retrouve sur ses bandes, et, parce qu’il sauve la passagère de la noyade, le technicien devient protagoniste de l’intrigue sombre d’un thriller politique, non plus en train de se réaliser sur pellicule, mais en train d’avoir lieu. Ce serait en mixant le son de son film précédent que De Palma aurait conçu le projet de ce scénario qui, tout en jouant avec les stéréotypes du film de genre, traite à la fois de la question de l’assassinat politique qui le fascine depuis l’assassinat de Kennedy, mais aussi de la fabrication d’un film, de la part invisible mais primordiale du son dans la création des émotions chez le spectateur, et plus largement du rapport entre réalisme et réalité, entre ce qui se passe, et ce que la fiction en reconstruit. L’hommage à Blow Up d’Antonioni est rendu explicite par le titre, avec la reprise du principe de la plongée dans la matérialité d’un élément de représentation (l’image pour Blow up, le son pour Blow out) pour y trouver une trace donnant accès peut-être à une réalité autrement inatteignable. En déplaçant l’objet central de l’attention de l’image au son, ce film, saturé de références cinématographiques, ne serait-ce qu’au fameux « cri de Wilhelm » utilisé au premier ou au deuxième degré dans des centaines de films depuis sa fabrication par un ingénieur du son en 1951, dans une sorte d’hommage amoureux au cinéma qui le précède, évoque aussi Conversation Secrète de Coppola et la fascination pour le rapport entre les techniques d’espionnage, de manipulation et de surveillance développées dans l’Amérique de la guerre froide et la construction de la fiction par le cinéma. C’est donc avant tout de cinéma et d’émotion qu’il est question, dans cette quête désespérée et fatale d’une vérité fragile, entraperçue, mais finalement réinjectée dans le circuit de la fabrication de fiction qui la fait presque disparaître.

Programme de la bibliothèque de janvier à mars 2022

Programme

Programme simplifié

Agenda

 

Bonne année sous Omicron, et surtout bonne santé, pris dans la vague ascendante de la catastrophe gestionnaire en cours. La perte de contrôle sanitaire de l’épidémie étant désormais certaine, on nous abreuve de magouilles sémantiques et grammaticales pour nous faire accepter la dite « surmortalité » inévitable et nous faire croire que ce qu’il y a à éviter n’est plus la contamination mais les dommages terribles que feraient risquer la fermeture des écoles et des entreprises, et que ce qu’il y a à soigner c’est l’économie et pas nous, tout en verrouillant les moyens de contrôle et de répression nettement améliorés durant cet épisode pandémique.
La bibliothèque s’est toujours efforcée d’être précautionneuse avec ce virus, et on a toujours porté une grande attention à ne pas devenir un lieu de contamination affinitaire, Durant plusieurs période de pic épidémique, on a préféré reporter nos activités, non pas par adhésion aux mesures de gestion, mais parce qu’on est persuadés qu’il est possible de se battre contre l’État et d’éviter autant qu’on le peut la diffusion du virus. La gestion a ses raisons qui ne sont pas les nôtres, elle a confiné une fois, puis déconfiné, puis nous a contraint à travailler avec le virus sous couvre-feu. La situation actuelle, sans confinement ni restriction de déplacement ne nous semble pas plus souhaitable que celle des débuts de la pandémie : c’est toujours à nos dépends que le pouvoir de l’État s’exerce, et ce qu’il cherche c’est l’optimisation des conditions de notre exploitation.
Alors pourquoi proposer un nouveau programme, alors que la circulation du virus est aujourd’hui exponentielle, et que nos moyens de nous en protéger sont restreints ? Tout simplement parce que si l’État cherche à toujours mieux nous exploiter et nous faire obéir, ce que nous cherchons nous c’est des perspectives pour le détruire, et nous savons que ce n’est pas depuis un extérieur illusoire que la conflictualité peut se mener. Il est maintenant clair que le capitalisme sans virus n’est plus qu’une triste utopie, et, alors qu’on passe nos journées avec le virus, dans les transports, au travail, dans les queues des pharmacies pour se faire tester jours après jours, il serait absurde d’attendre un avenir meilleur pour poursuivre nos activités. On fera donc avec, en s’efforçant d’aérer, de trouver des FFP2 à proposer à ceux qui viennent nous voir, de faire savoir si des cas se déclarent et de prendre les dispositions nécessaires, bref, de ne pas se comporter en radicaux du libéralisme indifférents à la vie des autres, à notre petite échelle.

On propose donc plusieurs discussions publiques, un ciné-club tous les quinze jours, des groupes de lecture hebdomadaires, ainsi que des permanences où il possible de venir nous rencontrer, emprunter des livres, se procurer les publications diverses que nous diffusons, parler de choses et d’autres. On commence le 18 janvier en invitant Léon de Mattis pour une présentation d’Utopie 2021, on invite aussi Nedjib Sidi Moussa le 18 février pour s’interroger sur les pistes qui s’ouvrent à nous pour résister au manichéisme. On essaiera aussi le 4 février de revenir sur l’histoire de l’antiracisme et des tensions autour de cette question, prise entre les luttes auto organisées et autonomes et les formes multiples de récupération par l’État et par la gauche. On propose aussi le 11 mars de discuter autour de la traduction que nous publions d’un texte écrit par des anarchistes au cours des émeutes de Ferguson aux États Unis, Another word for « White Ally » is coward, qui nous semble porté par une intense volonté d’en découdre avec l’État et tout ce qui freine la subversion. Enfin nous nous interrogerons le 25 mars sur ces nouvelles formes de militantisme entreprenarial qui pullulent aujourd’hui et, de Extinction Rebellion à Akira, prétendent à une subversion sans auto organisation.

Que ce soit lors de ces discussions, des permanences le mardi de 14h à 17h, des groupes de lecture le dimanche à 16h30, ou des ciné-clubs, n’hésitez pas à venir, vous ne serez soumis à aucun pass militant, aucun prérequis ni aucune politesse ne sont requis à part la volonté sincère de participer à ce qui s’élabore, y compris de manière contradictoire !

 

La rumeur était donc vraie !

Les Fleurs Arctiques ont viré un raciste.

C’est une drôle de soirée que l’on vient de passer à la bibliothèque, ce vendredi 17 décembre 2021, à l’occasion d’une discussion sur la question du Grand Soir et la critique du léninisme. Tout a commencé très normalement. Malgré le refus de publication de notre programme sur PLI sous prétextes de « coups de pressions » imaginaires, « contre des groupes » imaginaires aussi, plusieurs personnes se sont déplacées et la discussion a été intéressante. Mais une des personnes présentes a particulièrement marqué la soirée et, donnant enfin une raison d’être à la mauvaise réputation que certains cherchent à tout prix à nous coller… nous nous sommes retrouvés à devoir la dégager du lieu et à l’inciter fermement à ne plus jamais revenir. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous écrivons ces quelques lignes, ainsi que pour prévenir les camarades et compagnons qu’ils peuvent, comme nous, se retrouver face à un antisémite fier de l’être qui n’assume cette position qu’après des heures de discussion durant laquelle il se garde bien de faire part de ses obsessions, même si ce qu’il exprime n’est pas si anodin.

Avant que la discussion prévue ne débute, la dite personne commence à nous demander si on ne pense pas qu’on peut renverser l’État depuis l’intérieur des institutions. Face à son insistance sur ce sujet et à ses questions étrangement intrusives pour faire parler les personnes présentes, nous essayons d’en savoir un peu plus, au moins de quel genre de collectif il vient, ou s’il a participé à des luttes… Tout ça reste vain et il reste très évasif, oscillant entre celui qui ne connaît rien (« je débute », « Vous devez mieux savoir que moi »…) et celui qui est au courant de tout (« je sais bien ce qu’est ce lieu, il y a eu des embrouilles, que dis-je, des échauffourées »). A « échauffourées », notre détecteur à keuf se déclenche (si si, celui qu’on planque sous les canapés). A part ça, la discussion est vivante, il y a quelques désaccords, principalement entre lui et le reste de l’assemblée. Il passe par ailleurs le plus clair de la discussion à essayer de nous faire parler sans jamais trop se prononcer, le détecteur est donc tentée de rabattre son aiguille sur la partie journaflic-préparant-un-dossier-sur-l’ultra-gauche de son cadran. Et il commence à dire des choses de plus en plus fumeuses, de plus en plus déplaisantes, comme l’affirmation de l’existence d’un « ordre racial de la suprématie blanche chez Macron », qu’il faudrait combattre par la discrimination positive. Il est rapidement un peu piteux et à cours d’arguments.

Subitement, il se lève et se rapproche de la porte, en disant que, de toutes façons, on n’est pas d’accord. On continue à discuter, en essayant de creuser un peu pour comprendre ce qu’il pense, car tout ça ne nous semble pas bien clair. On sent aussi qu’il a quelque chose au bord des lèvres, et ça n’a pas l’air d’être « Ni dieu, ni maître ». Sur le pas de la porte, il craque, redevient fier pour nous dire qu’il est « bouteldjiste ». On lui fait alors remarquer qu’il aurait pu nous le dire avant, que ça ressemble drôlement à une espèce de piège. On lui demande s’il ne trouve pas que Les Blancs, les Juifs et nous est un livre un peu antisémite quand même… Il ne répond pas… Fait la moue… Et nous dit : « Je sais pas, en même temps, je me pose des questions… Par rapport à la judéophobie d’État… » puis il se reprend « Euh judéophilie d’État, tout ça ». Et c’est là qu’il prononcera avec un sourire triomphant insupportable cette phrase qui lui fera regagner une certaine confiance en lui en contraste avec son attitude pendant les 3 heures précédentes : « Ouais, je pense qu’il y a un problème avec les juifs ». Nous l’avons donc fait partir.

 

Voilà, la rumeur était donc vraie : nous, bibliothèque des Fleurs Arctiques, avons viré quelqu’un en lui disant de ne plus revenir parce qu’il n’était pas d’accord avec nous. En l’occurrence, il s’agissait d’un antisémite.

Nique les racistes.

Démontage judiciaire : le procès de Marinus Van der Lubbe pour l’incendie du Reichstag

Vendredi 10 décembre à 19h

 

Saboter la machine judiciaire implique de comprendre comment fonctionnent ses rouages quand elle s’exerce, comment elle peaufine ses engrenages pour mieux nous broyer. Alors il nous a semblé pertinent de proposer des occasions de pratiquer ensemble des démontages, en se donnant le loisir d’accorder collectivement toute notre attention à des déconstructions aussi méticuleuses que possible d’affaires judiciaires précises, passées ou actuelles, pour mieux se préparer à affronter la justice et la répression quand nous nous retrouvons contraint de le faire. Chaque affaire est singulière, et toutes ou presque pourront nous intéresser, qu’elles aient défrayé la chronique, marqué l’Histoire ou qu’elles participent d’un fonctionnement quotidien d’une justice toujours trop près de la vie de tout un chacun, et on espère que comprendre ces affaires spécifiques nous permettra d’en savoir plus sur le fonctionnement de l’ensemble du dispositif, et de trouver comment s’y opposer. Concrètement, on propose un rendez- vous régulier et public (une fois par programme) pour plonger ensemble dans une affaire choisie préalablement selon les propositions ou occasions, et sur laquelle ceux et celles qui voudront le faire se seront penché en amont, à partir des documents et informations qu’on peut réunir selon les cas, pour restituer aux autres à la fois la construction de l’accusation et la stratégie de défense choisie ainsi que la manière dont elle s’est élaborée. On pourra ensuite tous discuter à partir de ces éléments, en s’inspirant des formes de prises en charge collective des défenses qui se sont développées dans les suites de mai 68, par exemple, mais sous une forme « désactualisée », hors des enjeux immédiats d’une défense réelle en cours. Pas besoin de connaissances spécifiques préalables, bien sûr, pour participer, d’autant plus que le point de vue que nous choisirons d’adopter c’est celui de tous ceux et touts celles qui peuvent se retrouver face aux tribunaux et qui ne sont pas prêts à laisser la machine judiciaire les broyer, et pas celui des spécialistes ou relais de la justice auquel trop souvent le champ libre est laissé, parce que tout est fait pour nous conduire à le leur abandonner. Il s’agirait donc au contraire de s’habituer à ne plus déserter le champ de l’élaboration collective, et de chercher à donner un sens concret à la notion de défense collective ».

Pour la première de ces séances qui aura lieu le vendredi 10 décembre, on a choisi de se pencher sur le procès de Marinus Van der Lubbe, militant conseilliste condamné à mort pour « incendie criminel couplé à une tentative de renverser le gouvernement » pour avoir incendié le Reichstag à Berlin la nuit du 27 au 28 février 1933, juste après la nomination d’Hitler à la chancellerie. En plus d’une étude de l’affaire elle- même (dans laquelle ses 4 co-inculpés, tous militants du Parti communiste, ont été relaxés), c’est la place historique qui a été donnée à ce procès au fil du temps et des enjeux politiques, et la manière dont il a été relu, parfois jusqu’à la manipulation, par l’Etat nazi d’abord mais aussi par les démocraties de l’après-guerre et par le Parti communiste, les uns cherchant à le réduire à un coup de folie ou à accréditer la thèse d’un complot des nazis eux-mêmes. Nous chercherons donc à comprendre comment la « vérité judiciaire » s’est construite et comment elle a été déformée et transformée au gré des besoins politiques et idéologiques des uns ou des autres, toujours dans la perspective de vider l’acte de son sens et de sa portée subversive.

 

Bibliographie indicative ayant servi à préparer cette discussion  :

Comprendre le nazisme, Johann Chapoutot, Editions Tallandier, 2018. Chapitre 5 : « L’échec des divisions blindées du droit. Les procès politiques du nazisme, Leipzig 1933, Berlin 1944 ».

Marinus van der Lubbe, Carnets de route de l’incendiaire du Reichstag, C. Reeve et Y. Pagès dir., ed. Verticales/Le Seuil (Paris), mars 2003

Marinus van der Lubbe et l’incendie du Reichstag, Nico Jassies, ed. Antisociales (Paris), novembre 2004, trad du néerlndais (1999)

Lettre de Prudhommeaux à Rüdiger du 10 novembre 1959, in Nico Jassies, Marinus van der Lubbe et l’incendie du Reichstag, ed. Antisociales (Paris), novembre 2004, p. 157

Marinus van der Lubbe, prolétaire ou provocateur ? brochure-manifeste du Comité hollandais pour la défense et la réhabilitation de M. Van der Lubbe, ed. du Semeur (Falaise), octobre 1933

27 février 1933 : le Reichstag brûle ! L’acte individuel de Marinus Van der Lubbe, février 2019 – https://rebellyon.info/27-fevrier-1933-le-Reichstag-brule-L-acte-15451