Programme de septembre à décembre à la bibliothèque des Fleurs Arctiques

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Pendant ce programme à la bibliothèque des Fleurs Arctiques, nous discuterons de la mobilisation du 10 septembre et de ses suites, de l’époque et de ce qu’elle charrie, de la post-modernité à ses critiques le plus souvent réactionnaire, des affects et de la démagogie et de la question de la discipline.

Nous discuterons également de l’affaire de Bruay en Artois dans le cadre d’un démontage judiciaire.

Nous projetterons lors du ciné-club : Les chiens ne portent pas de pantalon, True Grit, Le règne animal, Mother, Les chambres rouges et Starry eyes.

Les permanences auront lieu le mardi de 16h30 à 18h30.

Les groupes de lecture auront lieu le dimanche à 16h30

Starry Eyes

Lundi 15 décembre – 19h30

Kevin Kölsch
2014 – 98’

Jusqu’où peut on aller pour obtenir la célébrité et le succès? C’est la question basique que pose ce film, mais ce n’est pas de façon basique qu’il y répondra. Avec son petit job de merde, Sarah, qui souhaite percer à Hollywood se retrouve confrontée à une opportunité qu’elle ne peut pas refuser comme disait Don Corleone… On explorera donc la thématique chère à ce cine club du pacte avec le diable, 10 ans avant The Substance, 50 ans après Rosemary’s Baby.

Discipline quand tu nous tiens

Vendredi 12 décembre – 19h30

Suite à un groupe de lecture sur Surveiller et punir de Foucault qui aura lieu durant ce programme, on se propose de réfléchir aux implications politiques de ce qu’est la discipline dans notre situation contemporaine. Que signifie l’émancipation à l’aune d’un ordre politique dont la capacité d’intégration, de digestion et de recyclage de « ses » éléments récalcitrants n’a jamais été aussi forte ? Comment parvenir à faire rupture avec l’existant lorsque celui-ci prétend intérioriser cette possibilité même ? En témoigne actuellement la confusion permanente qui s’opère entre des postures étiquetées ou proclamées « radicales » et leur réalité en acte qui se traduit par un manque cruel d’engagement politique au nom d’un libéralisme social-démocrate où l’on prétend pouvoir tout être à la fois : vont alors bon train les contradictions patentes où l’on dit qu’il n’est pas contradictoire de voter et d’être anarchiste ; qu’il n’est pas contradictoire d’être libertaire, autonome ou révolutionnaire, et de flirter avec la gauche ; etc. On peut garder tous les possibles à la fois, et apparemment c’est cela être radical. Cette soi-disant radicalité désigne alors le caractère illimité de cette totalité de possibles virtuels tous déjà acquis de manière très discursive, là où elle devrait désigner au contraire une limite inatteignable pour l’existant, un au-delà de l’horizon et non pas une collection de lignes de fuite en trompe l’œil. Il apparaît par ailleurs que le pendant de cette radicalité pensée comme mosaïque idéale est une tendance à confiner l’action et la pratique concrète à des questions purement techniques et stratégiques qui toutes répondent à la seule question de l’efficacité : « comment donner à nos actions un maximum d’effet ? » ; ce qui constitue par là le pinacle des préoccupations disciplinaires, lesquelles ont initialement vu le jour dans le giron de l’armée et de ses exercices de déplacement collectif. Il est manifestement très difficile de faire rupture de nos jours et l’omniprésence de la discipline n’y est pas pour rien : parce que la discipline, ce n’est rien d’autre que l’exacte inverse de l’autonomie. C’est décupler ses possibilités, son intelligence et ses ressources d’autant plus qu’on s’assujettit profondément à cela-même qui va nous structurer, et par là épuiser tous nos potentiels alors qu’on extériorise dans une structure, une institution, une norme sociale, le principe même qui nous donne forme. Cet assujettissement profond qui occulte toute perspective potentiellement et réellement révolutionnaire a pour corollaire de donner la possibilité de manger à tous les rateliers. Il y a là comme une loi de proportionnalité qui s’observe : plus on abandonne au monde et à la société nos moyens d’être et de lutter, plus nos possibilités fleurissent, décorrélées des réels dommages qu’elles pourraient infliger ; à l’inverse, s’engager réellement, c’est nécessairement refuser de se garder des possibilité de par exemple faire carrière, la possibilité de s’aménager un petit futur mondain, de se garder un back-up plan par sécurité, et parier sur les potentiels inconnus de l’avenir. En outre, on pourra se demander comment comprendre la différence entre auto-discipline et autonomie, puisque cette dernière est souvent à notre époque associée à de la maîtrise et à du contrôle de soi et des autres ?

Les Chambres rouges

Lundi 1er décembre – 19h30

Pascal Plante
2023 – 118’

Les Chambres rouges est un film glaçant qui n’a besoin d’aucune scène de violence pour terrifier. On y retrouve la pesanteur de la perversion et la puissance possédante et depossédante de l’obsession. Le voyeurisme qui accompagne les affaires judiciaires les plus sordides est ici la toile de fond d’une rencontre troublée et troublante entre deux femmes chacune perdue à sa manière. Les «red rooms», légende urbaine de l’ère d’internet, ces live streams mettant en scène la torture, le meurtre, le suicide ou le viol d’êtres humains, ne sont au fond que la réactivation des questionnements sur les dits «snuff movies». Ici on s’intéressera à la réception plus qu’à la commission dans ce chef d’œuvre récent, froid et psychologique.

Démontage judiciaire : L’affaire de Bruay en Artois

Vendredi 28 novembre – 19h30

Saboter la machine judiciaire implique de comprendre comment fonctionnent ses rouages quand elle s’exerce, comment elle peaufine ses engrenages pour mieux nous broyer. Alors il nous a semblé pertinent de proposer des occasions de pratiquer ensemble des démontages, en se donnant le loisir d’accorder collectivement toute notre attention à des déconstructions aussi méticuleuses que possible d’affaires judiciaires précises, passées ou actuelles, pour mieux se préparer à affronter la justice et la répression quand nous nous retrouvons contraint de le faire. Chaque affaire est singulière, et toutes ou presque pourront nous intéresser, qu’elles aient défrayé la chronique, marqué l’Histoire ou qu’elles participent d’un fonctionnement quotidien d’une justice toujours trop près de la vie de tout un chacun, et on espère que comprendre ces affaires spécifiques nous permettra d’en savoir plus sur le fonctionnement de l’ensemble du dispositif, et de trouver comment s’y opposer. Concrètement, on propose un rendez- vous régulier et public (une fois par programme) pour plonger ensemble dans une affaire choisie préalablement selon les propositions ou occasions, et sur laquelle ceux et celles qui voudront le faire se seront penché en amont, à partir des documents et informations qu’on peut réunir selon les cas, pour restituer aux autres à la fois la construction de l’accusation et la stratégie de défense choisie ainsi que la manière dont elle s’est élaborée. On pourra ensuite tous discuter à partir de ces éléments, en s’inspirant des formes de prises en charge collective des défenses qui se sont développées dans les suites de mai 68, par exemple, mais sous une forme « désactualisée », hors des enjeux immédiats d’une défense réelle en cours. Pas besoin de connaissances spécifiques préalables, bien sûr, pour participer, d’autant plus que le point de vue que nous choisirons d’adopter c’est celui de tous ceux et touts celles qui peuvent se retrouver face aux tribunaux et qui ne sont pas prêts à laisser la machine judiciaire les broyer, et pas celui des spécialistes ou relais de la justice auquel trop souvent le champ libre est laissé, parce que tout est fait pour nous conduire à le leur abandonner. Il s’agirait donc au contraire de s’habituer à ne plus déserter le champ de l’élaboration collective, et de chercher à donner un sens concret à la notion de défense collective.
En 1972, une jeune fille de mineurs est retrouvée dénudée et assassinée. Le notaire de la ville, notable bourgeois à la moralité douteuse va très vite être présumé coupable du crime avec sa maîtresse. Il sera pourtant libéré faute de preuves convaincantes, et un ami de la jeune fille, fils de mineur lui aussi, va avouer le crime. Si ce cold case finalement sans résolution, puisque le jeune homme rétractera ses aveux quelques temps plus tard et sera lui aussi libéré, nous intéresse, c’est moins pour les méandres judiciaires qui aboutissent à la libération des deux accusés successifs, que parce que la GP, groupe maoïste alors nombreux et incarné ou soutenu par de nombreuses figures intellectuelles comme Sartre, Glucksman ou Maurice Clavel. Avec Serge July et François Ewald à la manœuvre, la GP décide de surfer sur l’émotion que suscite l’affaire et sur le mécontentement populaire face à une justice inefficace pour mener combat contre la « justice de classe », au nom d’une « justice populaire » digne de M le maudit. Ils se déplaceront sur place et organiseront un « procès populaire » du notaire, investi comme coupable idéal de ce qui devient un « meurtre de classe », en en faisant le représentant d’une bourgeoisie dégénérée, immorale (il est de notoriété publique que le notaire est libertin) qui assassine sauvagement le prolétariat. Le jeune homme qui avoue le crime est quant à lui innocenté par le « tribunal du peuple » auto institué au nom du fait qu’un prolétaire ne peut pas en assassiner un autre. Des articles de la Cause du peuple appellent au lynchage du notaire et certains proches du groupe maoïste, comme Sartre, s’en distancieront à cette occasion. Ce sera l’occasion de parler anti-judiciarisme et de mieux comprendre cette intervention à prétention révolutionnaire sous la forme d’une « justice populaire » qui cherche des coupables et se veut plus efficace et plus politiquement « juste » que la Justice au point d’accentuer ses travers et de reconduire finalement le même système de pouvoir.

Mother

Lundi 17 novembre – 19h30

Bong Joon Ho
2009 – 128’

Lorsqu’une jeune fille est assassinée dans une petite ville de Corée du Sud, Yoon Do-joon, un adolescent harcelé à cause de son handicap, est accusé et enfermé.
Commence alors, pour sa mère, une longue enquête pour trouver le meurtrier et tenter d’innocenter son fils, à tout prix. Le film qui emprunte au genre du « whodunnit » (« qui l’a fait ? ») suit les pérégrinations et les rencontres qu’elle dessine au sein d’une campagne étrange, véritable métonymie du pays. Un certain malaise s’immisce peu à peu et imprègne toutes les sphères de la société coréenne : policières, judiciaires, familiales. À travers des accents glauques et monstrueux, le film interroge, en filigrane, notre rapport à l’altérité, à la maladie et au déni.

Jusqu’où iront-ils pour plaire ?

Discussion sur la démagogie

Vendredi 7 novembre – 19h30

Aujourd’hui, d’Houria Bouteldja à LFI en passant par Frédéric Lordon, tout le spectre de la gauche populiste n’en pince que pour la question des « affects » (entendus comme bas-instincts, ou passions). Il faudrait trouver ce qui mobilise, qu’importe le rationnel, qu’importe si au final ce qu’on mobilise ce sont des « affects » de faf. Pour Lordon par exemple, l’idée est de concurrencer l’extrême-droite sur son terrain car cette dernière fait rêver et fantasmer, en utilisant justement ses affects. De là se dessine une obsession pour la « proposition pulsionnelle » du fascisme, les foules, les hooligans… et une critique d’un « matérialisme étriqué » qui ne prendrait pas en compte ces « pulsions » là.
Lordon par exemple propose alors un « matérialisme étendu » d’un « communisme intégral » qui s’attacherait à savoir comment mobiliser la nation, les racines, la religion …
Pour ce versant de la gauche, cela donne la défense de la nation française pour plaire aux natios, la défense du religieux pour draguer les croyants, la défense des racines pour draguer les « fâchés mais pas fachos », la défense du Frexit et de la sortie de l’euro pour plaire aux électeurs d’Asselineau et de Philippot peut-être et puis même pourquoi pas la race, l’endogamie et autres concentrés réactionnaires…
Et pourquoi pas ? Si « les foules » le veulent !
Ce mode de réflexion démagogique sur la question de la mobilisation des affects ou des pulsions des individus se retrouve malheureusement bien plus largement que dans cette sphère politique qui ne pue que le rance.
Elle s’est invitée de manière partielle dans les aires à prétention subversive. On voit souvent poindre textes, théories ou réflexions néo-léninistes centrés sur la massification, la propagande et la bataille culturelle ou la composition, indiquant qu’il ne faudrait pas aller à l’encontre de ce qui peut « fédérer » les gens, même si l’élément qui fédère à toujours été un ennemi de l’émancipation (comme le nationalisme au drapeau français, au discours crypto-conspirationniste sur les élites, à la religion, au sentiment communautaire, aux rapports pacifiés avec la gauche…)
A croire qu’il faudrait se demander ce qui « fonctionne » le plus, comme un marketeux de la Défense ou un directeur stratégie de campagne électorale, et se baser sur cela pour intervenir dans la réflexion théorique ou la pratique.
Dans les faits, cela donne une absence criante de critique antinationaliste ou antireligieuse et d’opposition à une gauche qui, si elle a toujours été affligeante, a bien fini sa mutation vers un populisme toujours plus abject.
Si nous sommes d’accord avec le constat qu’aujourd’hui, l’affirmation explicite des perspectives révolutionnaires semble battre de l’aile, il n’est pas question pour nous de nous demander ce qui «plaît » le plus, ce qui mais plutôt de faire vivre nos perspectives émancipatrices et conflictuels.
S’il y a des désirs et des instincts vers lesquels il faut se tourner, ne serait-ce pas ceux qui visent à mettre à bas ce monde d’exploitation et de discipline plutôt que ce qui le fait tenir debout ?

Le règne animal

Lundi 3 novembre – 19h30

Thomas Cailley
2023 – 127’

Dans un futur proche, une épidémie d’étrangeté se répand à travers la population mondiale : les uns et les autres commencent à se transformer en animaux anthropomorphes, en en adoptant autant des traits physiques que des désirs et traits de caractère. Les Etats tentent de gérer ces mutations en utilisant les outils habituels du contrôle : fichage, surveillance, parquage et encampement… A certains égards, nous pouvons proposer ce film dans le cycle sur les kaijus : on voit le pouvoir mis à mal par un débordement qu’il échoue à endiguer. Mais au lieu de regarder de grandes villes et infrastructures dégommées par de grands monstres (ce qui est un des grands plaisirs du ciné-club des Fleurs Arctiques), c’est à travers la vie d’un père et de son fils adolescent partis dans le sud de la France que l’on assiste à cette belle fable cinématographique et lyrique sur une des fins possibles de l’humanité. La disparition de l’humanité par transformation en monstres tous irréductiblement singuliers, même pas catégorisables en nouvelles espèces animales ! Comme quand on regarde Mad Max, on se met à désirer l’apocalypse et la grande bascule dans un monde enfin autre. Le rapport au non-humain, à l’animal et au monstrueux sont ici traités avec une grande finesse et beaucoup de poésie, en même temps qu’Emile traverse toute l’étrangeté et la sauvagerie de l’adolescence. Le règne animal est aussi un grand film sur ce qui, dans l’adolescence, peut faire gripper la machine à normaliser qui, ici, se manifeste autant dans la police que dans la vie de village qui s’arme contre les mutants.

Sortir des sables mouvants

Vendredi 10 octobre – 19h30

je ne sais quoi de vague et de flottant, une mer houleuse et pleine de naufrages, traversée de temps en temps par quelque blanche voile lointaine ou par quelque navire soufflant une lourde vapeur ; le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous deux à la fois, et où l’on ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris.
Alfred de Musset,
La confession d’un enfant du siècle

Si l’air du temps s’avère difficilement respirable jusqu’à ce qu’une poussée révolutionnaire vienne balayer ce smog fait de travaillisme, d’exploitation, de judiciarisme, de pouvoir, de seum, de développement personnel, d’obéissance et de dominations imbriquées, il appartient à ceux qui aspirent à un vent émancipateur de comprendre de quoi cet étouffement est fait, plus précisément, qu’est-ce qui en cause l’épaisseur ici et maintenant. On s’attache à en discuter régulièrement ici quand on parle de la postmodernité, en essayant aussi de comprendre pourquoi les critiques de cette époque virent souvent à la Réaction. On voudrait aujourd’hui poursuivre ces questionnements en se demandant d’où vient le fait que, alors que, comme tous les révolutionnaires, on vient après plusieurs générations qui ont élaboré autour de cette question, on a aujourd’hui une impression d’évoluer dans un vide conceptuel déroutant. Les dites « grandes hypothèses » ont fait leur temps (et tant mieux) sans pour autant que le champ ouvert soit investi par des perspectives confrontatives et émancipatrices. On se demande si ce qui semblait encore tenir debout comme analyses à poursuivre ou auxquelles se confronter n’était pas que des restes en cours d’érosion, désormais impalpables, et c’est bien souvent le pire qui perdure encore. L’extrême gauche se plaît à ventiler du folklore tankie, l’anarchisme devient un cosplay compatible avec l’appel au vote, on peut désirer « l’ordre moins le pouvoir » sans se souvenir que Proudhon est une raclure misogyne et antisémite, tout en portant l’anti racisme et le féminisme en boutonnière, et surtout on dirait qu’il n’y a plus de sol sur lequel marcher, courir, lancer des pavés, lutter.
Beaucoup de camarades et compagnons plus expérimentés semblent penser que le niveau des réflexions et des pratiques politiques a chuté drastiquement ces quinze dernières années. De fait, les structures formelles et informelles qui permettaient à des individus parfois en désaccord sur les tactiques et parfois sur le fond de discuter, débattre, parfois s’embrouiller (de façon féconde, ou non), et surtout tracer de nouvelles perspectives de luttes et de solidarité offensive semblent toutes avoir été détruites, par à-coups, par la répression, ainsi que par des militants arrivés plus récemment, et n’ayant pour la plupart pas connu ces espaces et formes d’organisation, ni profité de l’atmosphère de transmission pratique et théorique des plus expérimentés dont les générations précédentes bénéficiaient. C’est aussi une certaine forme d’internationalisme qui se perd lorsque tout semble rivé à gauche sur des problématiques franco-françaises, s’expliquant par un retour de la gangrène nationaliste, particulariste, raciste et racialiste à gauche. Comment ces espaces de réflexion et d’organisation anti-autoritaires sont-ils tombées ? Que s’est il passé ? Pourquoi le niveau théorique a t il chuté ? Pourquoi les pratiques courageuses ont elles quasiment disparues ? Comment ce qui constituait une force anti-politique qui faisait trembler le pouvoir (et que celui-ci appelait la « mouvance anarcho-autonome ») a t il cessé de mettre l’ordre public à mal au profit des partis politiques et des syndicats (abandonnant ainsi le principe fondamental de l’autonomie), au profit d’une pseudo-guerre définie comme culturelle ; idée gramsciste passée dans le creuset de l’extrême droite puis revenue à gauche avec l’essor des influenceurs/streamers et autres petites stars pathétiques de la contestation, défendant des théories (parfois nouvelles parfois anciennes) qui ne s’attaquent plus ni à l’État, ni au capital (qui, par ailleurs, les finance et les chapeaute). Les « c’était mieux avant », la nostalgie tendanciellement réactionnaire d’un passé toujours déjà lui même insatisfaisant, ne nous satisferont pas, cherchons ensemble à comprendre cette époque qui semble vouloir à tout prix nous empêcher de lutter, avec la complicité du pouvoir et donc de la gauche du pouvoir. Comment sortir du sable mouvant de l’apathie et de la dépolitisation ? Cherchons des pistes.

True Grit

Lundi 6 octobre – 19h30

Joel et Ethan Coen
2010 – 110’

Le désert américain sans foi ni loi, un marshall dur et sans pitié qui part dans un road-trip à la poursuite de hors-la-loi coupables d’un lâche assassinat qui se réfugient dans une réserve indienne inaccessible  : une histoire de traque où la justice est évincée par la vengeance et où les représentants de l’ordre ne sont pas très différents des bandits qu’ils poursuivent dans une Amérique aux institutions balbutiantes : un western. Les frères Coen reprennent là un premier True Grit (Cent Dollar pour un sheriff) de 1969, chef d’œuvre du genre, mettant en scène John Wayne dans le rôle du marshall inflexible, vraiment courageux, finalement ému par la quête de vengeance d’un très jeune garçon dont le père a été assassiné. L’hommage rendu au film d’origine et par delà au genre lui-même va jusqu’à des clins d’œil comme la reprise textuelle d’un célèbre faux raccord, caractéristique annexe du genre. Chez les frères Coen, le duo formé par le vieux marshall borgne à la peau dure et cette fois l’adolescente beaucoup plus déterminée que son âge, son genre et son statut social ne pourrait le laisser présager va interroger davantage et différemment la question de la ténacité, du « courage véritable », du prix à accepter de payer quand on se met en jeu corps et âme. Si on propose de regarder ensemble ce film c’est, au-delà du plaisir romanesque du genre, pour questionner cette question de l’engagement, de ce qu’on engage, jusqu’à quel point, question qui nous semble aujourd’hui primordiale, alors que la mesure et la limitation des risques semble devenue la boussole du Capital mais aussi trop souvent celle des milieux militants, jusqu’à invalider toute possibilité de réelle conflictualité.