Vendredi 12 décembre – 19h30
Suite à un groupe de lecture sur Surveiller et punir de Foucault qui aura lieu durant ce programme, on se propose de réfléchir aux implications politiques de ce qu’est la discipline dans notre situation contemporaine. Que signifie l’émancipation à l’aune d’un ordre politique dont la capacité d’intégration, de digestion et de recyclage de « ses » éléments récalcitrants n’a jamais été aussi forte ? Comment parvenir à faire rupture avec l’existant lorsque celui-ci prétend intérioriser cette possibilité même ? En témoigne actuellement la confusion permanente qui s’opère entre des postures étiquetées ou proclamées « radicales » et leur réalité en acte qui se traduit par un manque cruel d’engagement politique au nom d’un libéralisme social-démocrate où l’on prétend pouvoir tout être à la fois : vont alors bon train les contradictions patentes où l’on dit qu’il n’est pas contradictoire de voter et d’être anarchiste ; qu’il n’est pas contradictoire d’être libertaire, autonome ou révolutionnaire, et de flirter avec la gauche ; etc. On peut garder tous les possibles à la fois, et apparemment c’est cela être radical. Cette soi-disant radicalité désigne alors le caractère illimité de cette totalité de possibles virtuels tous déjà acquis de manière très discursive, là où elle devrait désigner au contraire une limite inatteignable pour l’existant, un au-delà de l’horizon et non pas une collection de lignes de fuite en trompe l’œil. Il apparaît par ailleurs que le pendant de cette radicalité pensée comme mosaïque idéale est une tendance à confiner l’action et la pratique concrète à des questions purement techniques et stratégiques qui toutes répondent à la seule question de l’efficacité : « comment donner à nos actions un maximum d’effet ? » ; ce qui constitue par là le pinacle des préoccupations disciplinaires, lesquelles ont initialement vu le jour dans le giron de l’armée et de ses exercices de déplacement collectif. Il est manifestement très difficile de faire rupture de nos jours et l’omniprésence de la discipline n’y est pas pour rien : parce que la discipline, ce n’est rien d’autre que l’exacte inverse de l’autonomie. C’est décupler ses possibilités, son intelligence et ses ressources d’autant plus qu’on s’assujettit profondément à cela-même qui va nous structurer, et par là épuiser tous nos potentiels alors qu’on extériorise dans une structure, une institution, une norme sociale, le principe même qui nous donne forme. Cet assujettissement profond qui occulte toute perspective potentiellement et réellement révolutionnaire a pour corollaire de donner la possibilité de manger à tous les rateliers. Il y a là comme une loi de proportionnalité qui s’observe : plus on abandonne au monde et à la société nos moyens d’être et de lutter, plus nos possibilités fleurissent, décorrélées des réels dommages qu’elles pourraient infliger ; à l’inverse, s’engager réellement, c’est nécessairement refuser de se garder des possibilité de par exemple faire carrière, la possibilité de s’aménager un petit futur mondain, de se garder un back-up plan par sécurité, et parier sur les potentiels inconnus de l’avenir. En outre, on pourra se demander comment comprendre la différence entre auto-discipline et autonomie, puisque cette dernière est souvent à notre époque associée à de la maîtrise et à du contrôle de soi et des autres ?