Démontage judiciaire : L’affaire de Bruay en Artois

Vendredi 28 novembre – 19h30

Saboter la machine judiciaire implique de comprendre comment fonctionnent ses rouages quand elle s’exerce, comment elle peaufine ses engrenages pour mieux nous broyer. Alors il nous a semblé pertinent de proposer des occasions de pratiquer ensemble des démontages, en se donnant le loisir d’accorder collectivement toute notre attention à des déconstructions aussi méticuleuses que possible d’affaires judiciaires précises, passées ou actuelles, pour mieux se préparer à affronter la justice et la répression quand nous nous retrouvons contraint de le faire. Chaque affaire est singulière, et toutes ou presque pourront nous intéresser, qu’elles aient défrayé la chronique, marqué l’Histoire ou qu’elles participent d’un fonctionnement quotidien d’une justice toujours trop près de la vie de tout un chacun, et on espère que comprendre ces affaires spécifiques nous permettra d’en savoir plus sur le fonctionnement de l’ensemble du dispositif, et de trouver comment s’y opposer. Concrètement, on propose un rendez- vous régulier et public (une fois par programme) pour plonger ensemble dans une affaire choisie préalablement selon les propositions ou occasions, et sur laquelle ceux et celles qui voudront le faire se seront penché en amont, à partir des documents et informations qu’on peut réunir selon les cas, pour restituer aux autres à la fois la construction de l’accusation et la stratégie de défense choisie ainsi que la manière dont elle s’est élaborée. On pourra ensuite tous discuter à partir de ces éléments, en s’inspirant des formes de prises en charge collective des défenses qui se sont développées dans les suites de mai 68, par exemple, mais sous une forme « désactualisée », hors des enjeux immédiats d’une défense réelle en cours. Pas besoin de connaissances spécifiques préalables, bien sûr, pour participer, d’autant plus que le point de vue que nous choisirons d’adopter c’est celui de tous ceux et touts celles qui peuvent se retrouver face aux tribunaux et qui ne sont pas prêts à laisser la machine judiciaire les broyer, et pas celui des spécialistes ou relais de la justice auquel trop souvent le champ libre est laissé, parce que tout est fait pour nous conduire à le leur abandonner. Il s’agirait donc au contraire de s’habituer à ne plus déserter le champ de l’élaboration collective, et de chercher à donner un sens concret à la notion de défense collective.
En 1972, une jeune fille de mineurs est retrouvée dénudée et assassinée. Le notaire de la ville, notable bourgeois à la moralité douteuse va très vite être présumé coupable du crime avec sa maîtresse. Il sera pourtant libéré faute de preuves convaincantes, et un ami de la jeune fille, fils de mineur lui aussi, va avouer le crime. Si ce cold case finalement sans résolution, puisque le jeune homme rétractera ses aveux quelques temps plus tard et sera lui aussi libéré, nous intéresse, c’est moins pour les méandres judiciaires qui aboutissent à la libération des deux accusés successifs, que parce que la GP, groupe maoïste alors nombreux et incarné ou soutenu par de nombreuses figures intellectuelles comme Sartre, Glucksman ou Maurice Clavel. Avec Serge July et François Ewald à la manœuvre, la GP décide de surfer sur l’émotion que suscite l’affaire et sur le mécontentement populaire face à une justice inefficace pour mener combat contre la « justice de classe », au nom d’une « justice populaire » digne de M le maudit. Ils se déplaceront sur place et organiseront un « procès populaire » du notaire, investi comme coupable idéal de ce qui devient un « meurtre de classe », en en faisant le représentant d’une bourgeoisie dégénérée, immorale (il est de notoriété publique que le notaire est libertin) qui assassine sauvagement le prolétariat. Le jeune homme qui avoue le crime est quant à lui innocenté par le « tribunal du peuple » auto institué au nom du fait qu’un prolétaire ne peut pas en assassiner un autre. Des articles de la Cause du peuple appellent au lynchage du notaire et certains proches du groupe maoïste, comme Sartre, s’en distancieront à cette occasion. Ce sera l’occasion de parler anti-judiciarisme et de mieux comprendre cette intervention à prétention révolutionnaire sous la forme d’une « justice populaire » qui cherche des coupables et se veut plus efficace et plus politiquement « juste » que la Justice au point d’accentuer ses travers et de reconduire finalement le même système de pouvoir.

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