Gangs of New-York

Mardi 17 décembre – 19h30

Martin Scorsese
2002 – 167’

Des percussion sourdent sur un rythme guerrier, et résonnent dans ce qui apparaît comme une sorte de caverne où des hommes affairés se préparent au combat. Un piccolo scande le départ du gang irlandais des Dead-Rabbits vers l’affrontement qui l’attend. Finalement, une fois dehors, c’est le quartier des Five Points de New-York qui se dévoile ; le lieu où commencera et se concentrera l’intrigue de ce film. C’est le gang américain des Natives qu’il s’agit d’affronter, selon les anciennes règles traditionnelles du combat, pour déterminer à qui appartient le quartier. Et c’est ainsi que le film commence avec la mort du Prêtre, chef irlandais, tué par le chef américain Bill le boucher, et laissant derrière lui un fils : jeune garçon témoin de la scène et qui se jure de venger son père un jour.
Ce film s’inscrit donc dans le cycle sur le thème de la vengeance ; bien que ce ne soit pas une vengeance très évidente que poursuit le personnage principal Amsterdam, et ce pour deux raisons. Alors qu’il dissimule son identité pour mieux préparer l’assassinat de Bill, il naît en lui des sentiments contradictoires au cours de leur fréquentation. La haine côtoie l’attachement et l’amitié pour l’homme qui a vaincu son géniteur et qui apparaîtrait parfois presque comme un père de substitution pour l’orphelin qui a passé sa jeunesse en maison de correction. Une vengeance qui vacille donc sous l’influence du double-jeu, mais aussi du charisme de Bill qui, s’il est tout sauf aimable, possède tout de même une dérangeante aura de « mâle dominant » et quelque chose d’étrangement noble dans son respect qu’il tient envers son ennemi vaincu. Ce qui évoque les propos de Zarathoustra : « Vous ne devez avoir d’ennemis que haïssable mais non pas d’ennemis à mépriser. Vous devez être fiers de vos ennemis : alors les succès de votre ennemi sont aussi vos succès ». Cette figure de l’ennemi que l’on ne doit pas mépriser pour donner sens à sa vengeance et au conflit concerne directement Amsterdam et représente pour lui une occasion possible de grandir, sera-t-il assassin rancunier et hypocrite ayant intériorisé son infériorité face à Bill, ou bien adversaire qu’il affronte sur un pied d’égalité ?
Finalement, la seconde raison pour laquelle la vengeance d’Amsterdam n’est pas évidente est le contexte politique où elle se poursuit. Ce film raconte l’évènement historique des Draft Riots (Emeutes de la conscription) où des émeutes sans précédent dans l’histoire des États-Unis ravagent New-York du 13 au 16 juillet 1863. Il pose alors la question de la différence entre une guerre de gangs, et une guerre d’États. Car si l’on peut être d’avis que l’État n’est rien de plus qu’une bande d’hommes armés, il demeure de facto une impossibilité de construire une histoire et un sens au conflit lorsque celui-ci méprise au dernier degré les hommes et leurs vies, lesquelles ne valent pas plus que 300$. C’est le sens même de la vengeance et de son histoire qui est rendu impossible dans le carnage et les massacres de la répression d’État.

A partir de Valence, discussions sur les mouvements sociaux post-catastrophes naturelles

Jeudi 12 décembre – 19h30

Le 29 octobre 2024, la région de Valence est touchée par des pluies diluviennes. La région, asséchée et bétonnée, n’absorbe pas l’eau qui continue de tomber et qui fait déborder de leurs lits les cours d’eau. Des ponts, des trains, des maisons, des voitures, tout est emporté par les torrents de boue. A la sortie de la catastrophe, on compte les morts, on cherche les disparus. Plus de 260 morts recensés pour l’instant, mais encore de nombreux disparus et des corps qui continuent régulièrement d’être trouvés sous les décombres ou dans les voitures emportées.
Face à une catastrophe comme celle-là, la réaction d’un état est souvent de déclencher un plan de catastrophe naturelle. Il y a quelques années, nous avions déjà organisé une discussion pour critiquer ce concept (voir le texte « Il n’y a pas de catastrophes naturelles »). En effet, pour chaque catastrophe dite « naturelle », incendie, inondations, canicules, tsunami, ouragan, pandémie, séisme, éruption, il y a des causes et des conséquences humaines et politiques. De façon caricaturale mais aussi très concrète, un même typhon ne touchera pas de la même façon une personne qui vit dans un bidonville construit en zone inondable et une personne qui vit dans une maison secondaire en hauteur de la ville, construite en dur et qui a les moyens de partir. Accoler la notion de « naturel » à la catastrophe sert juste à dépolitiser la question. L’État et le capitalisme n’auraient aucune responsabilité et ce serait seulement un hasard de la Nature. Qui aurait pu prédire la crise climatique ? C’est une fatalité qu’il faut accepter.
Cependant, suite à de nombreuses catastrophes, ceux qui sont les premiers touchés par les destructions font souvent face à la violence du pouvoir. L’armée est là pour s’assurer que les magasins ne soient pas pillés, que les institutions ne soient pas attaquées. Le quotidien est renversé et des solidarités naissent dans la panique et l’angoisse, et il faut s’assurer que ces liens ne se retournent pas contre le pouvoir qui ne traite ces catastrophes que d’un point de vue comptable et qui mesure combien il devra débourser pour éviter un mouvement de colère.
Dans la région de Valence, dès le lendemain des inondations, de nombreuses manifestations ont eu lieu, certaines comptant des centaines de milliers de personnes dans les rues, alors que beaucoup d’habitants pointaient du doigt le système d’alerte public défaillant, les gens ayant été prévenus beaucoup trop tard de la dangerosité de la situation. Le gouverneur de la région, le chef du gouvernement, le roi et la reine d’Espagne se sont fait accueillir avec des jets de boue. Des affrontements avec la police qui protège l’hôtel de ville ont éclatés. La lutte est sortie de l’apathie pacificatrice du deuil national et de l’unité nationale.
A partir de ce qu’il se passe à Valence, mais aussi en réfléchissant à d’autres exemples historiques, nous essaierons de réfléchir aux mouvements sociaux qui parfois explosent suite à une catastrophe dite « naturelle », et qui parfois n’émergent pas. Nous essaierons de réfléchir à ce qu’ils sont, ce qu’ils pourraient être, ce à quoi ils s’affrontent, et ce qui les freine et les éteint.

Groupe de lecture autour des entretiens avec Jean Oury

Dimanche 1 & 8 décembre – 16h30

Nous terminerons en groupe de lecture la projection du Sous-bois des insensés (entretiens avec le psychiatre Jean Oury) débutée lors du précédent programme pour la discussion qui avait eu lieu suite à cet appel :

Parmi l’héritage révolutionnaire de 1968, et plus largement des luttes et contributions critiques des années 50 aux années 70, on peut s’intéresser, dans une perspective anti-autoritaire, à tout ce qui s’est inventé au sein des courants de la psychothérapie institutionnelle et de l’anti-psychiatrie. En effet, l’aliénation sociale et médicale concentrée dans les espaces psychiatriques et asilaires, quand elle est attaquée, peut nous indiquer des possibilités émancipatrices qui nous concernent tous, au-delà du champ de la folie et de la psychiatrie. Le rapport d’assujettissement du patient diagnostiqué par le corps médical et rendu patient passif, les rapports d’exclusion et de marginalisation vis-à-vis des normes qui circulent dans les familles, les écoles, au travail, se font échos des aliénations qui nous traversent tous et que nous cherchons à combattre. Dans la recherche de ce commun de la critique théorique et pratique, entre la psychothérapie institutionnelle, l’anti-psychiatrie et plus largement la perspective révolutionnaire, on propose de prendre en considération, depuis aujourd’hui, les outils inventés au sein de la psychothérapie institutionnelle pour enrayer les mécanismes bien vite en place de l’institutionnalisation, de la bureaucratisation, de la centralisation, des spécialisations et donc plus largement de l’aliénation qui passe par ces différents canaux. Qu’est-ce que ces outils peuvent apprendre aux pratiques et espaces militants, et plus largement à la question du comment on s’organise sans et contre (les) structures de pouvoir ? Aussi, comment est-ce que la perspective révolutionnaire peut s’articuler avec la prise en compte des fragilités psychiques et des parfois nécessaires relations soignantes ? Nous proposons d’ouvrir ce champ de réflexion à partir d’un premier support : Le sous-bois des insensés, entretiens avec Jean Oury, qui en appellera sans doute d’autres. Cette discussion jalonnera peut-être le début d’un cycle ?

La piel que habito

Lundi 2 décembre – 19h30

Pedro Almodóvar
2011 – 117’

Robert Ledgard, incarné par Antonio Banderas, est un illustre chirurgien plastique qui essaie, par tous les moyens, d’inventer une nouvelle peau.
Véritable cuirasse idéale, résistante aux brûlures et aux piqûres d’insectes, la recherche de cette peau est son obsession maladive. Pour cela, il est prêt à tout, et se livre à diverses expérimentations sur sa cobaye Vera, une femme qu’il séquestre dans un manoir.
Véritable réécriture de Frankenstein ou du mythe de Pygmalion le film nous invite à réfléchir la question de la création, de la vengeance, de la monstruosité, de la toute-puissance, de l’objectification du corps féminin, de la transgression des normes de genre et des relations d’emprise et de pouvoir (thème déjà abordé notamment lors de la projection du film Mary Reilly). Construit comme un puzzle aux accents baroques des giallo italiens, le film se dénoue peu à peu, dans toute son horreur.

Du tract à la traque…

Appel à soutenir quatre inculpé-e-s le 15 octobre 2024, arrêté-e-s à la suite d’un tractage dans une agence Pôle Emploi début 2023

Le 15 octobre 2024 à 13h30 aura lieu au tribunal de Nanterre, 18e chambre, le procès de quatre camarades arrêtés en 2023 au début du mouvement contre la réforme des retraites. Ils comparaîtront pour les chefs d’accusation de violences sur PDAP (sans ITT), de dégradations légères commises en réunion et de refus de signalétique pour 2 d’entre eux. Ce qu’il y a derrière ces chefs d’accusation qui tombent à la pelle au quotidien, et surtout lors des moments de luttes et de révoltes – ce sont des accusations qui n’ont pas arrêté de pleuvoir pendant l’année 2023, des prémices du mouvement contre la réforme des retraites aux suites de la répression des émeutes autour de la mort de Nahel Merzouk, et qui continuent leur train en 2024 – , c’est la répression pro-active d’une simple action de tractage dans l’agence Pôle Emploi de Nanterre, à la suite d’un appel de l’AG Autonome qui tentait de s’organiser dans les premiers mois de l’année 2023, en vue d’élargir la contestation contre la réforme des retraites à une critique de la mise au travail. En effet, le contexte était celui des réformes du passage de Pôle Emploi en France Travail qui commençaient à s’amorcer, avec leurs cortèges de dispositifs de contrôle (tels que celui, encore en phase de test actuellement, mais qui devrait se généraliser et s’officialiser dès janvier 2025, de mise au travail obligatoire 15H par semaine des RSAstes et de certains chômeurs).
Le 15 février 2023, au Pôle Emploi de Nanterre, c’est la gendarmerie nationale qui organisait une journée de recrutement, alors même que la préfecture de Paris, le ministre de l’intérieur et les différents corps de police semblaient être au taquet pour enrayer le mouvement social naissant. Un tract avait été écrit et diffusé contre cette journée de recrutement (à relire ci-joint, ainsi que le tract d’appel à rejoindre l’AG autonome). À la lecture des dossiers des inculpés, on peut constater que, du point de vue de la police, tous les ingrédients étaient là pour que leur montent à la tête mille et un scénarios dignes des séries policières les plus navrantes : la filature était en réalité installée dès les abords de la sortie de la gare RER Nanterre – Ville où avait publiquement donné rendez-vous l’AG autonome, et la dizaine de personnes rassemblées ce matin-là avait été suivie dans Nanterre jusqu’à l’agence. Une fois la machine à filaturer et à anticiper enclenchée, tout n’a été qu’une suite rocambolesque d’augmentation des moyens policiers, civils et en uniforme, dans une véritable fuite en avant du dispositif : alors que les militants étaient dispersés après leur action, vaquant peut-être chacun au reste de leurs journées respectives, quatre ont été retrouvés dans des situations chacune très singulières, avec le privilège d’être arrêtés seuls et par surprise, jusqu’à presque deux heures après l’action ! L’un sera mis en joue, l’autre plaqué contre une vitre d’un magasin de pompes funèbres, et l’une sera même arrêtée dans le métro à Place de Clichy par une dizaine de policiers de Paris, à plusieurs kilomètres du lieu du « crime ». Tous seront mis en garde à vue au commissariat de Nanterre pour une trentaine d’heures. Le Pôle Emploi de Nanterre et un baqueux en civil se porteront partie civile, mais on sent progressivement à la lecture du dossier que l’affaire est progressivement désinvestie et que tout retombe un peu : n’était-ce pas…qu’un tractage ?

Toujours est-il que les quatre inculpés sont ressortis avec une convocation à un procès ultérieur, qui a depuis été reporté au 15 octobre 2024. Tous ont choisi de garder le silence en garde à vue et ont pensé leur défense de manière collective.

Soyons présents au tribunal lors de leur audience :

Ce mardi 15 octobre à 13h30
à la 18e chambre du Tribunal Judiciaire de Nanterre
179 avenue Joliot-Curie à Nanterre
RER A Nanterre – Préfecture

Et continuons à bien plus que tracter, à critiquer les dispositifs de travail et les dispositifs policiers (surtout lorsqu’ils marchent main dans la main), et surtout ne nous laissons pas faire tous seuls face à la justice !

 

Liens vers les tracts distribués lors de l’action :Retour ligne automatique
https://sansnom.noblogs.org/archives/15645Retour ligne automatique
https://paris-luttes.info/IMG/pdf/a_imprimer_tract_ag_autonome_8_2-2.pdf

 

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Programme de la bibliothèque pour octobre et novembre 2024

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Pendant ce programme à la bibliothèque des Fleurs Arctiques, nous discuterons de pourquoi et comment en finir avec la gauche, et de la psychothérapie institutionnelle.

Nous projetterons lors du ciné-club : Happy together et Clean, Shaven

Les permanences auront lieu le jeudi de 16h à 18h.

Les groupes de lecture auront lieu le dimanche à 16h30, sauf les 10 et 17 novembre, où nous vous invitons à participer à l’élaboration du prochain programme.

Nous vous invitons également à une soirée de soutien/projection de nanar à la bibliothèque le samedi 16 novembre !

Élaboration du prochain programme de la bibliothèque

Les dimanches 10 et 17 novembre à 16h30, à la place du groupe de lecture habituel, nous reprenons la proposition d’inviter tous ceux qui le souhaitent à participer à l’élaboration collective du prochain programme des Fleurs Arctiques, comme cela a déjà pu se faire par deux fois l’an passé. Idées de film à projeter, voire de cycles de ciné-clubs, propositions de sujets de discussions, de démontages judiciaires, de thématiques de groupes de lecture, envies d’y réfléchir à plusieurs… Echangeons nos différentes aspirations quant à ce qui peut se passer au sein d’une bibliothèque pour la révolution.

Happy Together

Mardi 8 octobre – 19h30

Wong Kar-wai – 1997
VOST (Hong-Kong) – 96’

Ho Po-wing et Lai Yiu-Fai sont deux amants originaires de Hong Kong. Voulant vivre l’aventure ensemble, ils partent en voyage en Argentine avec le rêve de voir les chutes d’eau d’Iguacu, mais leur relation, déjà tumultueuse, s’érode. Ils se séparent et restent bloqués à Buenos Aires, faute d’argent. Fai, hanté par cette relation, tente difficilement de gagner un peu d’argent en travaillant pour revenir rapidement à Hong Kong alors que Po-Wing a une vie plus mouvementée et s’attire les soucis en chaîne. Se recroisant fréquemment sous les lampadaires de Buenos Aires, les deux amants se retrouvent, dans un espoir de tout recommencer à zéro… Peuvent-ils encore être heureux ensemble ?
Happy Together raconte l’histoire d’un amour que personne n’arrive à terminer, qu’aucune souffrance n’achève. Un amour dont personne ne semble réussir à vivre sans. Le film explore les thématiques de la rupture, de la possessivité, des regrets et du ressentiment, du mensonge mais également de la tendresse, du désir, de la réconciliation, de l’intime connaissance de l’autre, comme lors des magnifiques scènes de tango entre les deux amants. Il parle aussi de l’exil, des migrations, du voyage, des individus trimballés ou confinés chez eux ou à l’autre bout du monde, harassés par le travail, le manque d’argent et les normes. Le film ne fait jamais une emphase particulière sur l’homosexualité de Po-Wing et de Fai mais montre, au contraire, l’universalité des joies et des problèmes que rencontrent les humains dans leurs relations amoureuses.
Dans une cinématographie sublime, Wong Kar-wai, dont nous avions déjà projeté Les Anges Déchus en avril dernier, nous invite dans un émouvant voyage au cœur de la complexité de vivre et se dire l’amour.

En finir VRAIMENT avec la gauche

Vendredi 11 octobre – 19h30

Pourquoi et comment en finir avec la gauche ?

Pourquoi ?
La question est bien plutôt de se demander pourquoi la question se pose encore aujourd’hui. On est maintenant bien loin de 68 et de ce moment où une partie des aires révolutionnaires s’est enkystée dans une représentation d’elle-même comme contre-pouvoir jusqu’à devenir une gauche qui cherche et mérite le pouvoir. On est loin aussi de la dite « vague rose » de 81 qui a emporté dans cette perspective de conquête et d’en finir avec la Droite une partie de ceux qui cherchaient dix ans plus tôt la conflictualité et la subversion, certains s’installant bien à l’aise dans cette victoire électorale, derrière Mitterrand qui pour sa part n’avait rien d’un soixante-huitard avec son passé proche de l’extrême droite, et n’a jamais prétendu à aucune conflictualité autre que celle de gagner les élections, d’autres se sont retrouvés alors dans une situation schyzophrénique avec un calcul à trop de bandes pour être autre chose qu’un alibi (on participe au pouvoir mais en fait c’est pour le subvertir de l’intérieur et en fait on est du côté de ceux qui voudront renverser le pouvoir qu’on incarne).
Depuis ces époques où, si on ignore tout des débats historiques entre révolutionnaires, on pouvait peut-être encore parler d’ambiguïté, d’illusion, puis de trahison (la fameuse trahison de 83…), la gauche a gouverné, non seulement la France mais aussi l’Europe, elle a mis en place les politiques qui se poursuivent actuellement en terme de politique migratoire (instauration des centres de rétention, chantage à l’intégration qui justifie le tri des migrants parce qu’« on ne peut pas accueillir toute la misère du monde »), et en terme de mise au travail avec le RMI sous conditions, les diverses réformes de l’Unedic, elle a modernisé et agrandi les prisons et créé les QHS, elle a « rétabli l’ordre » colonial en tirant sur les kanaks en Nouvelle Calédonie, pour ne citer que quelques exemples frappants. Elle a aussi bien sûr gouverné avec la droite et certainement favorisé la montée de l’extrême droite par calcul électoraliste. On n’a rien sans rien et on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.
Mieux encore : comme c’est quand même « la gauche », elle a cherché par tous moyens à garder un pied dans les luttes, à travers ses relais divers, sa « gauche de la gauche » toujours prête à devenir Gauche Plurielle, Nupes ou Front populaire, ses syndicats qui se retroussent les manches pour faire cesser les mouvements sociaux au moment opportun, ses relais associatifs qui maintiennent l’ordre et la bonne humeur dans les banlieues, ses grands frères…
Elle a impulsé le gigantesque thinktank de l’adaptation aux évolutions du capitalisme, avec les élèves de Foucault qui concoctent le Plan d’Aide au Retour à l’Emploi, avec ses sociologues/criminologues qui affinent la sécurité et la répression pro-active, avec ses politiques de préventions et son contrôle social à grande échelle.
Les politiques mises en place par la gauche suivent leur cours, améliorées par des gouvernements d’experts, ou de droite, peut-être bientôt d’extrême droite, sans rupture. Ça roule. Mais cette gauche s’est objectivement délitée. Le PS, garant de ses capacités à gouverner, est désormais fantômatique. Le PC n’est plus qu’un ramassis de vieux réacs qui font la promotion du pâté Enaff et des contrôles aux frontières. Ses « forces vives » récemment quasi victorieuses aux législatives sont menées par un ex socialiste qui éructe contre les tchétchènes, se présente comme un homme providentiel aux accents populistes, diffuse à tout va racisme et antisémitisme.
On aurait pu penser que cette agonie à laquelle on assiste depuis trop longtemps aurait pu laisser la place libre pour que la conflictualité se déchaîne des leviers qui l’entravent inlassablement et que cette Autonomie qui s’est construite tant bien que mal hors de la gauche et contre elle depuis les années 70 apporte suffisamment d’entrain pour que, une fois les chaînes rompue, un vent de lutte se lève enfin. Or il n’en est rien, et les aires qui se disent aujourd’hui encore « autonomes » ne se souviennent même plus que cette autonomie, c’est contre la gauche qu’elle voulait se construire. Aujourd’hui plus que jamais, alors qu’il faudrait mettre le dernier coup de pelle à une gauche exsangue, une bonne partie des aires qui se veulent subversives choisissent plutôt d’activer la réanimation du cadavre, de faire vivre les syndicats, de voter et surtout de faire voter parce que c’est quand même moins pire un gouvernement de gauche, et même de se faire le relais des vieilles rengaines populistes, racistes, intégrationnistes qui ont été le pire de ces aires politiques.

Comment ?
Ce qu’on voudrait se demander d’abord c’est comment on est arrivé à cette situation où la politique du « moins pire » est portée en étendard par les aires à prétention révolutionnaire. De là pourra peut-être enfin s’ouvrir cette question vitale : comment en finir avec la gauche, et avec elle, en finir avec les perspectives de contrôle des luttes et de leurs devenir, pour nourrir enfin des perspectives révolutionnaires vivantes. C’est aussi se demander comment lutter sous et contre une gauche qui se retrouve paradoxalement autant aux portes du pouvoir que l’extrême-droite. A ce « comment ? » là ne répondra aucune recette miracle, c’est bien pour cette raison qu’il faut ouvrir la question et en discuter largement. Cette soirée a comme perspective d’y contribuer.