Octobre à décembre 2019

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  • Permanences : vendredi de 16h à 19h
  • Ciné-club : un lundi sur deux à 19h
  • Groupes de lecture : dimanche à 16h30

Edito : 

« Faire corps »

 

« Pensez boule », Fourmiz

Corps social ? corps normal ? corps parfait ? corps d’armée ? corbillard !

Le corps social, les Grands Corps de l’Etat, l’armée, la justice, la police, la nation, les petits corps des institutions dans lesquels nous nous trouvons pris et qui maintiennent la cohérence de l’ensemble, la famille, l’entreprise, le couple, l’église, les chapelles, les partis, les communautés, les groupes facebook, les milieux : les occasions proposées à tout un chacun de « faire corps » sont innombrables, et toutes nous invitent à faire partie d’un petit tout en connivence avec le reste, à nous délester des risques du conflit, du doute, des scrupules et de la critique qui pourraient laisser seul pour embrasser le confort d’une cohérence aplanie. « Pensez boule » nous dit-on au fil des heures, des jours et des années, que ce soit à la gloire de la nation ou pour rendre la révolte « plus efficace ». Le confort, d’abandonner le fait de penser et d’agir au corps auquel on se laisse appartenir nous évite toutes sortes de confrontations, avec d’autres comme avec nous-mêmes. Mais il a des conditions d’exercice, des conséquences, un prix, que nous proposons de mesurer au fil des diverses discussions proposées dans ce programme.

Ces corps institués qui soulagent chacun de toutes sortes de complexités sont aussi ce qui constitue et maintient l’existant. C’est donc bien dans les formes de singularités, individuelles comme collectives, dans les refus, les ruptures, à toutes échelles, dans toutes ces dissonances et anomalies que les normes instituées dans tous ces petits et grands corps sacrifient, dans ces singularités délaissées que passe le souffle de la révolte.

Pour commencer par le plus évident, s’il y a bien un corps qui cherche à asseoir et à maintenir sa cohésion, c’est celui de la nation, et ce de manière plus ou moins visible selon les époques. Il se trouve qu’aujourd’hui on assiste à une période de reprise en main de la cohésion nationale, qui s’incarne particulièrement dans la mise en place du SNU, le Service National Universel, amené très bientôt à raviver l’ancien service militaire en remplaçant la « journée d’appel ». L’urgence de réagir à cette perspective d’encasernement de tous les adolescents sous le drapeau, qui semble évidente, peine visiblement à s’exprimer et on peut craindre que cette terrible nouveauté soit très vite installée comme une nouvelle forme de normalité. Nous proposons donc le 9 novembre d’en discuter à la bibliothèque, pour mieux comprendre la nouvelle forme d’embrigadement qui se met en place, comment elle s’agence avec les relents populistes qui montent d’ici ou là et comment elle cherche à réactiver un mythe national toujours vivace. En revenant, entre autres, sur les formes d’insubordinations du passé (par exemple les luttes individuelles et collectives des insoumis au service militaire dans les années 70), on cherchera aussi comment entendre les formes d’insoumission, de refus, d’insubordination qu’elle suscitera, comment les accompagner et leur faire écho. Cette discussion, comme celle autour de la question des frontières (voir plus bas), se présente plutôt comme une séance de travail ouverte, où on pourra se demander ensemble quelles pistes se proposent pour les luttes à venir.

« Faire corps » c’est toujours, quelle que soit l’échelle de la poupée russe sociale dans laquelle on se laisse insérer, instituer les mœurs du groupe en morale à laquelle chacun se retrouvera tenu pour maintenir l’ordre, en deçà de tout esprit critique et de toute pensée singulière, sur-justifier la norme et sanctionner ce qui s’en écarte. C’est ce que nous voudrions explorer le 29 novembre, à travers une discussion qui se propose d’attaquer la morale dans ses aspects les plus évidemment réactionnaires et ouvertement castrateurs, mais aussi d’envisager comment, y compris dans les aires subversives, une morale s’insinue avec les mêmes buts et les mêmes effets : empêcher d’envisager l’inconnu, voire l’impossible, empêcher de penser, de lutter, de refuser, jeter l’infamie sur tous ceux qu’on ne parvient pas à soumettre.

« Faire corps », c’est aussi trier le bon grain de l’ivraie, jouir d’en être, du bon grain, alors que le tri aura réservé un sort bien moins enviable à ceux qu’il rejette, avoir peur aussi sans doute un jour d’en faire partie. C’est pourquoi on propose de discuter le 14 décembre de la question des frontières et de leurs prisons, des luttes qui s’y sont opposées, de la nécessité de voir revivre des initiatives offensives dans une période où « le peuple de France » se construit toujours plus dans le rejet de toute altérité, en même temps que le Capital demande toujours plus de main à exploiter à flux tendu. On parlera des luttes du passé et de celles qui pourraient naître dans le présent, des formes d’intervention qu’on pourrait imaginer pour renforcer les refus qui existent déjà autour des questions migratoires (dans les centres de rétention et aux frontières par exemple).

Et puis « faire corps » c’est aussi l’obéissance que demande tout parti ou groupe même affinitaire dès lors que les certitudes idéologiques pré-pensées prennent la place de l’élaboration commune et que chacun est tenu davantage par la nécessité d’en-être et la peur du rejet que par la libre-association. La période est sans doute propice à tomber dans cet écueil, et bien des groupes, collectifs ou lieux se retrouvent traversés de fonctionnements et de pratiques en contradiction avec le minimum de ce qui devrait les réunir. Chacun peut se retrouver à incarner le maintien d’un ordre dont la nécessité le dépasse (que ce soit la ligne du parti ou la lutte contre les incivilités dans le bus) sans pouvoir se permettre de réaliser les tenants et les aboutissants de ce qui se passe. On peut alors se retrouver enrôlé, à son corps défendant même parfois, dans des rôles de vigiles, d’accusateurs publics, voire de procureurs ou de juges au nom de l’exigence « corporate ». C’est sans doute le moment où la dépolitisation prend le pas sur l’anti-politique, où la conservation de soi prend le pas sur la révolte, où la politique prend le pas sur la vie. La première discussion de ce programme intitulée « contre la politique, y compris celle de la dépolitisation », qui aura lieu le 4 octobre à 19h sera l’occasion de réfléchir à tous ces processus propres à vider de l’intérieur la subversion de toute charge confrontative, en faisant de chacun, à corps perdu, le soldat de ce contre quoi précisément il cherche à lutter.

Le lundi tous les quinze jours à l’occasion du ciné-club et tous les dimanches dans les groupes de lecture, on propose de prendre le temps de discuter autour d’un film, d’un livre ou d’un texte proposé dans le programme ou choisi pour l’occasion par les participants, non pour son identité révolutionnaire certifiée pure de toute complexité, mais au contraire parce qu’il nous semble que des idées et des perspectives diverses peuvent le traverser et enrichir un paysage aujourd’hui tristement appauvri. Pour les groupes de lecture de cette période, on se propose de lire un dimanche sur deux des textes autour de la question du travail et de sa critique, et l’autre dimanche, des textes contre la morale.

Lors des permanences, tous ceux que ça intéresse ou passent par là peuvent venir nous rencontrer, emprunter des livres, proposer des initiatives dans le lieu ou ailleurs, discuter de choses et d’autres ou de choses précises, apporter ce qu’ils veulent, poser les questions qui leurs chantent, il trouveront à la bibliothèque du café, du thé, des livres, des brochures, et du répondant.

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