Vendredi 29 novembre 19h
Pourquoi faire une discussion sur la morale ?
Quand les possibilités concrètes d’action sont déjà limitées, par des dispositifs économiques, étatiques et sociaux, c’est la morale qui souvent empêche de saisir des perspectives pour ouvrir de nouvelles possibilités. C’est un écran entre soi et d’éventuelles brèches.
La critique de la morale religieuse, mais aussi de la morale bourgeoise, puis des formes de morale qui ont essaimé aussi dans les mouvements révolutionnaires (sous la forme du travaillisme, de son corrélat l’identité mythifiée du travailleur, ) a toujours accompagné les perspectives révolutionnaires.
Repartir de discussions qui ont eu lieu aux Fleurs Arctiques autour des suites de mai 68, de sa récupération et de sa liquidation réactionnaire des années 1980 à aujourd’hui, peut être une manière d’aborder le rapport moral au monde qui s’est mis en place et que l’on retrouve désormais, en train de côtoyer non pas une « idéalisation » de ce monde et de la société, mais plutôt la résignation et l’acceptation de quelque chose qui n’est « pas le pire » : le moindre mal démocratique. Il n’y a en effet guère plus d’enchantement possible du quotidien, et c’est dans cette misère-là que certaines formes de discours, retrouvant de vieilles rhétoriques, puisent de nouvelles forces. C’est une pensée diffuse que nous trouvons d’abord exprimée dans des pensées critiquant 68 et sa « libéralisation des mœurs » qu’on associe alors à la « société de consommation », comme si la critique révolutionnaire de la morale de 68 aboutissait au « néolibéralisme débridé » qu’il faudrait redresser moralement face au risque de la perte de toute valeur (Michéa, Ferry, Clouscard & consorts, avec Finkielkraut et Brückner). Ces pensées prétenduement nouvelles mais profondément réactionnaires et morales associent le discours que tient cette société sur elle-même, les marchandises, à ce que seraient profondément les gens. Dès lors, ce qui apparaît comme étant véritablement critique est en réalité la réactivation terrible de cette forme de morale qui soutient, comme au premier jour, l’autorité, les vieilles valeurs, la fidélité, la famille, le terroir, le travail et le devoir. Ça forme la jeunesse que de serrer un peu les dents et nos régions ont du talents. Drôle de renversement (propre à notre époque ?) que nous voyons alors : la morale qui se donne l’apparence de la critique.
D’un autre côté, les interprétations post-foucaldiennes du pouvoir et de l’autorité comme étant de même nature qu’ils soient au niveau étatique ou au niveau des personnes, aboutissent à réduire la question du pouvoir à celle des rapports inter-personnels et épargnent dès lors l’Etat, ses rouages, les rapports de domination institutionnelle… et la morale. On peut alors se demander si la transformation de la critique dans des formes purement relationnelles et entièrement subjectivisées n’aboutit pas aux mêmes effets qu’un carcan moral : la mortification, l’isolement, la résignation (se résigner à changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde, puisque le problème du pouvoir serait avant tout dans le désir subjectif). Bien évidemment, ce carcan moral qu’on prétend n’appliquer qu’à soi-même est immédiatement imposé aux autres : la morale c’est toujours la répression de soi et des autres.
Ainsi, lors de cette discussion, nous aimerions aborder ce qui nous semble être un trait caractéristique de l’époque : la confusion entre la morale et la critique, comme si la morale pouvait être une alternative pleine de subversion. Nous entendons réaffirmer qu’aucune morale ne sera jamais subversive, qu’elle soit majoritaire ou minoritaire, et quelle que soit la manière dont elle se vit.