Fermeture hivernale

La bibliothèque est fermée durant la période des vacances de Noël.

Le prochain programme est en préparation et sera annoncé d’ici peu.

Si vous êtes de passage sur Paris exceptionnellement, vous pouvez toujours nous contacter par mail à lesfleursarctiques@riseup.net pour éventuellement récupérer ou déposer des brochures, des livres.

A très bientôt,

LES FLEURS ARCTIQUES

Démontage judiciaire – L’affaire Pierre Rivière

Samedi 10 décembre à 17 h

 

Le 3 juin 1835, Pierre Rivière, un paysan de 20 ans originaire du Calvados, tue à coups de serpe sa sœur, son frère et sa mère enceinte de 6 mois. Suite à une cavale de près d’un mois à pied entre les forêts et les villages voisins, il se fait arrêter et enfermer. Le procureur du roi suggère à Pierre Rivière de justifier son acte par écrit, ce qui le pousse à écrire un Mémoire qui sera une pièce maîtresse d’un procès qui suscitera toutes sortes d’attentions (judiciaires bien sûr, psychiatriques, mais aussi philosophiques avec les travaux d’Arlette Farge et de Michel Foucault entre autres). Durant l’instruction, de longs débats sur sa potentielle aliénation, au moment où il a commis l’acte, et de manière générale, ont lieu pour savoir s ‘il passera ou non en procès, si son état lui permet d’être jugé ou s’il doit être considéré comme irresponsable. Ces débats seront aussi déterminants durant le procès pour savoir s’il sera condamné ou non à mort, peine à laquelle il sera finalement condamné, à la fin d’un long procès, mais avec la possibilité d’un aménagement de peine, 6 des jurés étant finalement favorables à prendre en compte des circonstances atténuantes. Son pourvoi en cassation est rejeté mais Louis Philippe commue sa peine en prison à perpétuité. Pierre Rivière, qui se considérait comme déjà mort, se suicidera le 20 octobre 1840 dans une cellule de la prison de Beaulieu, à Caen.

Cette affaire de parricide, commise par celui qui fut considéré à l’époque comme un monstre, nous intéresse à plus d’un titre. Elle suscite en nous plusieurs interrogations. Quel est ce rejet viscéral mêlé à une fascination qu’il suscite dans la population ? Pourquoi la question de la personnalité du fou a-t-elle pris une telle importance pour l’appareil judiciaire ? Qu’est-ce que ces débats autour de l’irresponsabilité pénale ont d’actuel ? Qu’est-ce que cette affaire nous dit de la famille et de son enfermement pathogène ? De quoi se représentait-il que ce parricide et fratricide allait le délivrer ? Comment Pierre Rivière intègre-t-il le discours du droit (notamment celui de la propriété et de l’héritage) dans l’espèce d’autobiographie qu’il produit à cette occasion ? Ce faisant, le déborde-t-il ou reste-t-il dans ses acceptions ? Qu’est-ce que cela nous dit de la vision singulière que Pierre Rivière a de la société et du droit qui la régit ?

Consultez ou téléchargez les documents réunis à cette occasion ici

Internationalisme et Intervention

Jeudi 1er décembre 2022 à 19h

Discussion autour du soulèvement en cours en Iran organisée par le journal d’agitation Mauvais Sang

Depuis la mort de Mahsa Amini le 16 septembre dernier, des insurrections éclatent un peu partout en Iran. Ces soulèvements, par leur intensité, ont ouvert une brèche de possibilités dans le quotidien de milliers de personnes qui subissent le poids d’un régime théocratique.
Pourtant, en France, rares et timides ont été les manifestations et actions en solidarité avec ces révoltes porteuses d’espoir. Le manque de lien et de solidarités internationalistes nous pèse tous plus que jamais.
Suite à ce constat, le journal d’agitation révolutionnaire Mauvais Sang invite à une discussion publique autour des soulèvements en Iran. Le but serait non seulement de partager des informations, des idées, des analyses de la situation actuelle qui ouvrent beaucoup de questions, mais aussi de réfléchir concrètement et activement à comment intervenir, comment lutter avec des révoltés et des révolutionnaires qui sont loins géographiquement, mais avec qui nous partageons pourtant des aspirations communes.
Un texte est dédié à ce sujet dans le numéro 04 de Mauvais Sang, qui peut servir d’outil d’amorce à la réflexion en amont de la discussion.
Soyons à la hauteur de ce qu’ont ouvert comme possibilités ces femmes qui ont osé affronter l’autorité de la police des moeurs au prix de leur liberté et parfois de leur vie – à la hauteur de ces prisons qui brûlent, de cette rage que l’on voit partout depuis septembre !
Vive la révolution internationale, sans
dictateur ni président !

Mauvais Sang

Bullet Ballet

Lundi 28 novembre 19h30

Shin’ya Tsukamoto – 1998
VOST (Japon) – 87’

Dans la filmographie de Tsukamoto, Bullet Ballet arrive juste après Tokyo Fist qui clôt sa trilogie de Tokyo. On retrouve un noir et blanc que le réalisateur n’avait pas utilisé depuis Tetsuo, ici plus contrasté et artistique, mais le film parait aussi plus calme que les deux précédents, moins violent, plus mélancolique, plus proche du film noir et sans éléments fantastiques. Encore incarné par le réalisateur, le personnage principal est ici aussi un salary man à la personnalité peu affirmée, qui se fait écraser, tromper, agresser, et qui dérive peu à peu dans l’autodestruction. Suite à une tragédie il va goûter à la destruction elle-même et par là-même retrouver une pulsion de vie. Dans cette guerre qui se transforme vite en lutte pour la survie, il va retrouver goût à l’existence sans s’éviter de regarder en face le nihilisme. Le film n’a pas pas peur non plus d’être parfois remarquablement beau, et pas seulement d’un point de vue esthétique. Ici c’est toujours le métal qui fascine, en l’occurrence, les armes à feu.

Contre culture

Vendredi 16 décembre 19h30

Ce qui compose la culture aura tôt fait de nous intéresser. Ce qui ressort culturellement d’une époque, d’une période historique, ce qui la compose artistiquement et intellectuellement, donne à penser puisque cette culture est aussi l’une des choses contre laquelle immanquablement un épisode révolutionnaire se heurte, de milles manières. Depuis les années 50, et plus particulièrement autour des années 70, on ne compte pas le nombre de mouvements contestataires allant des hippies aux punks en passant par les blousons noirs qui ont contribué à ce que l’époque post Mai 68 charriait de remise en question et de subversion de l’ordre bourgeois et de la domination culturelle établie. Ces mouvements culturels accompagnant les épisodes subversifs (parfois y survivant) ont formé ce qu’on appelle des contre-cultures. Des codes, des normes, des musiques, des styles, faits pour faire des doigts d’honneur plus pour moins prononcés selon les cas au rigorisme et au puritanisme ambiant, à la bienséance et aux codes moraux de la bourgeoisie. Devant ce fait sortent les habituelles mille et une questions impliquées par la perspective révolutionnaire, qui pourraient peut-être avoir comme fondement la suivante, pour la faire simple : le terrain culturel et contre-culturel est-il un terrain sur lequel l’intervention est judicieuse, dans la perspective de contribuer à l’existence et à l’épanouissement émancipateur de la révolution ? Les problématiques culturelles sont elles les nôtres, à une échelle plus grande que celle de nos goûts musicaux respectifs ?
La question de ce qui fait consensus et de ce qui ne le fait pas, de ce qui est majoritaire et de ce qui est marginal, attire à elle comme un aimant toutes les tendances politiques qui s’en emparent chacune avec leur angle d’attaque. On voudra chez certains intégrer la culture à la lutte, pour la remplacer et faire de la Révolution la nouvelle culture de l’époque. Ailleurs, on se penchera plutôt vers une optique contestataire, relevant un par un des défauts de la culture, afin de réussir à la réformer et la faire correspondre à telle ou telle chapelle idéologique. Ailleurs encore, on refusera le sujet en bloc, décrétant que musique et autres arts sont dissociés du terrain de la politique, vains et bourgeois, jusqu’à peut-être chercher à exterminer les intellectuels comme durant les Khmers rouges. Ces différents angles et leurs oppositions sont importants à traiter, puisqu’ils impliquent des lectures historiques des épisodes de luttes parfois contradictoires, et des manières d’intervenir potentiellement en conflit les unes avec les autres. De la manière de comprendre l’influence du mouvement punk ou des radios pirates sur les années 70, découlera aussi (avec un brin de conséquence), les questionnements actuels, les analyses politiques et les axes d’attaque contre ce monde. En effet, il est possible de voir ces mouvements contre culturels comme partie prenante d’une subversion diffuse, comme il est aussi possible de les envisager comme les germes de la culture dominante future, ce qui change beaucoup de choses dans la lecture des forces de subversion actuelles et de leur importance.
La contre-culture marginale participe-t-elle à l’intégration de la subversion ? Que penser alors de son caractère subversif ? Qu’est-ce qu’implique la volonté de gagner le terrain culturel, ou de chercher à le détruire, et d’en empêcher les expressions parfois sauvages ? C’est pour mettre en débat toutes ces questions, dont les réponses ne pourront que se trouver à la lumière des mouvements révolutionnaires passés, présents et futurs, que nous organisons cette discussion aux Fleurs Arctiques.

The Art of self-defense

Lundi 12 décembre 19h30

Riley Stearns – 2019
VOST (USA) – 104’

Dans la continuité de notre interrogation autour du lien entre violence et masculinité, nous proposons un film au ton plus noir, mais tout aussi comique : The Art of Self-defense de Riley Stearns. Une nuit, Casey, jeune comptable introverti est passé à tabac par un groupe de motards. Pour surmonter le traumatisme – et, plus fondamentalement, la peur des autres –, il décide de devenir la personne qu’il redouterait le plus et s’inscrit dans un dojo dont le sensei, très charismatique, l’initie à l’art de l’ « auto-défense ». Il découvre bien vite à ses dépens que l’art martial est moins défensif qu’il le croyait…

Kaiju

Vendredi 2 décembre 19h30

Qu’est-ce que des kaijus, ces gros monstres apocalyptiques tirés de films japonais post attaques nucléaires, ont à nous dire ce de monde et des possibilités révolutionnaires ? Nous pourrons nous poser la question avec des participants à la revue apériodique anarchiste Des Ruines, à l’occasion de cette présentation du dossier portant sur ces créatures extradordinaires présent dans le numéro 3-4 que nous diffusons par ailleurs à la bibliothèque. Quand s’emparer du sujet du nucléaire du point de vue de l’intervention révolutionnaire semble complexe et hors de notre portée immédiate (ce qui se discute régulièrement à la bibliothèque), restent encore et heureusement les projections imaginaires, évocatrices, à portée mythique, qui peuvent parfois permettre de voir de la subversion là où la raison n’y parvient pas. Profitons de cette présentation pour poursuivre les réflexions sur le rapport au foisonnement de l’imagination qu’ont condamné dans l’histoire tant de stals et de maîtres à penser de la révolution autoritaire, ce qui pourra peut-être amener de nouvelles réflexions quant au pourquoi du cinéma dans une perspective révolutionnaire, puisque les ciné-clubs et leurs cycles se poursuivent à la bibliothèque, et qu’ils nourrissent indéniablement nos soifs de révolte et nos critiques de ce monde.

Subversion

Vendredi 25 novembre 19h30

La subversion semble une notion complexe à définir aujourd’hui, puisque cette dernière est sans cesse utilisée que ce soit par les fafs, la droite, l’État, la gauche, les gauchistes et les révolutionnaires et son sens se disperse galvaudé de part et d’autre. L’État désigne comme subversif tout ce qui peut lui nuire allant des illuminés de Daesh aux vieux croulants putchistes. Les fascistes et l’extrême-droite se pensent subversifs par transgression de la morale, qui ne rompt en aucun cas avec ce monde mais cherchant à rendre majoritaire les conceptions les plus réactionnaires et autoritaires possible. Cette transgression à contrario de ce que l’on désignerait comme subversion passe souvent par le symbolique, la surface de ce que la subversion attaque à la racine. Il y a donc bien deux notions à séparer, celle de la transgression, dont le rapport à l’existence ne consiste peut-être qu’en le contourner, le détourner là où la subversion serait ce qui (semble) faire rupture ou même parfois seulement s’énonce comme tel.
Alors que faire ? Abandonner la subversion à ces aléas ? Comment alors laisser place à ce qui met des bâtons dans les roues de l’ordre du monde, l’ordre actuel, mais aussi tout ordre futur, quelque utopique qu’il puisse être ? Comment cesser d’être attentifs à ce qui met des grains de sables dans une machine qu’on cherche à détruire, comment ne pas voir que ces grains de sables inattendus peuvent y parvenir bien mieux qu’un arsenal théorique même 100% révolutionnaire, comment nommer ces pratiques diffuses radicalement contre l’Etat et le capitalisme dont la permanence montre à quel point tant qu’il y aura de la contrainte et de l’exploitation, l’aspiration à les subvertir ne cessera de s’exprimer ?
La subversion dont il sera donc question ici est bien la subversion par rapport à l’ordre établi, par rapport au monde. Il est clair qu’au cours de l’histoire les révolutionnaires se sont souvent appuyées sur cette dernière soit comme un horizon, une énigme ou une quête qu’il faudrait résoudre (comment subvertir ? Comment être subversif ? Qu’y-a-t-il de subversif à cette époque) ou alors à la traîne de celle-ci essayant sans cesse de la rattraper, de l’intégrer ou de la capter. Par ailleurs, si la subversion se trouve être un sujet de discussion sérieux entre une partie des révolutionnaires, sur son importance ou sa primauté, d’autres en revanche ne la considèrent pas qu’elle mérite d’être prise en considération ni dans l’analyse du capitalisme et de l’État ni comme plaies éventuelles de ceux-ci qu’il faudrait élargir. De nombreuses tendances marxistes, notamment léninistes passent à la trappe la question de la subversion ou de la marge par soucis d’efficacité ou d’unité du Prolétariat, ou pour préserver la possibilité d’une stabilité post révolutionnaire de type étatique, qui n’aurait plus à être subvertie. Glaçant. La question est également de savoir si la subversion fait lutte en soi, car maints actes sont subversifs mais peuvent rester limités à l’institution ou au cadre qu’ils subvertissent.
Le retour du religieux à la fois sur le devant de la scène politique mais aussi sa diffusion s’étendant ces dernières années semble reposer plus que jamais cette question de la subversion dont on peut dire qu’un des avatars les plus simples (de part la clarté de l’acte ou du propos) à comprendre est le blasphème. La subversion pose également la question de l’art, où le problème est bien plus complexe à comprendre puisqu’il prend racine dans une institution qui aura tôt fait de récupérer ce sens de subversion (ou tout ce qui est subversif qu’il soit art ou non) pour en faire un mantra et un objectif des artistes jusqu’à trouver l’absence même d’art subversif.
La subversion ne se limite pourtant pas à ces deux exemples, et elle peut être ce vers quoi nous tendons dans un moment de lutte qui commence à se scléroser dans ses propres habitudes.
La subversion est-elle être centrale dans la production de nos analyses et perspectives d’intervention au sein des luttes ? La subversion est-elle vaine en dehors d’un mouvement ? La subversion en toute occasion est-elle une attaque à ce monde ?

Conspirationnisme : Qu’est-ce qui se cache derrière de quoi est-il le nom ?

Vendredi 18 novembre 19h30

Les théories du complot sont au moins aussi vieilles que l’antisémitisme. Certaines ont même été mobilisées comme hypothèses et politiques génocidaires d’Etat, tel que sous le régime nazi. D’autres formes de théories du complot ont permis la permanence de climats de terreur : il y a eu un complot hitléro-trotskyste permanent aux yeux du régime stalinien face à un complot judéo-bolchévique aux yeux des nazis et de l’extrême-droite, il y a eu complot rouge aux Etats-Unis durant le maccarthysme, puis vert dans les années 90… C’est que la suspicion d’un complot permanent s’enracine toujours dans un point de vue paranoïaque du pouvoir, du contrôle, de la flicaille et de la traque, puisque comploter a, en effet, toujours été une pratique d’Etats ou de proto-Etats. Mais, tout comme les Etats, tout comme le pouvoir de la police, de la justice, de la surveillance, tout comme tout, les complots ont des limites. Ce sont ces limites-là que les adeptes de théories du complot dénient complètement, faisant du monde entier et des actes humains un vaste complot orchestré… ce qui ne peut qu’aboutir à dénier toute possibilité de révolte, de spontanéité, de ruptures, et on a déjà vu dans le passé ce type de raisonnement se retourner contre des luttes et des mouvements. Oui, le gouvernement italien dans les années 1970 a bel et bien eu des liens avec l’extrême-droite organisant certains attentats… mais, commencer à réduire l’entièreté de l’autonomie italienne à cela, c’est devenir l’ennemi du mouvement. Oui, des flics infiltrés dans des mouvements sociaux, ça existe… mais basculer dans le raisonnement (sans doute provoqué par de la stupeur) faisant de tous les mouvements sociaux des projets policiers, c’est de même devenir l’ennemi de ces mouvements. A chaque fois, c’est prendre un morceau de réel (souvent un morceau policier et étatique) pour la totalité. Et alors il ne reste plus rien pour penser l’autonomie, la subversion et la liberté !
Depuis quelques années, de plus en plus de constructions de type théories du complot naissent en marge de pouvoirs d’Etat, à travers internet et d’autant plus via les réseaux sociaux, jusqu’à s’exprimer, notamment depuis la pandémie de covid, dans des manifestations et dans des discours de défiance vis-à-vis de certaines politiques d’Etat. Cette intériorisation de points de vue de l’Etat de la part d’individus qui ne participent pourtant pas au maintien de l’ordre pose question, et nous aimerions, lors d’une première discussion publique consacrée à ce phénomène diffus et pluriel (dont il est nécessaire de saisir la matrice commune), comprendre à quel point est-ce qu’on peut penser une spécificité du «complotisme» au XXIème siècle. Puisqu’absolument rien d’émancipateur ne peut émaner d’une vision du réel hyper-rationalisante, réductrice et paranoïaque, les perspectives révolutionnaires porteuses d’espoir d’émancipation doivent à un moment ou un autre s’y confronter, d’autant plus depuis que des thèses complotistes se diffusent dans des mouvements sociaux. Qanon, Chemtrails, 11 septembre 2001 et franc-maçons… il nous faudra nous pencher sur l’apparition de toutes ces théories fumeuses.
Les critiques du complotisme émises par les institutions incarnant la Raison, les Lumières et la Connaissance font évidemment l’impasse sur tout un domaine de questions qui nous intéressent : quels sont les liens entre ces théories du complot ayant émergé en ligne, en marge, et l’existence de lieux de pouvoir, de séparations entre ceux qui pensent, disent, parlent, «cultivent», et ceux qui triment ? Qu’est-ce qui, dans le capitalisme géré par des Etats, offre un terreau à ces thèses paranoïaques ? Quel rôle jouent ces théories du complot dans l’actuel climat d’impuissance ?
On aimerait se demander si un rapprochement entre les phénomènes religieux et les différents complotismes de maintenant peut avoir un sens. Il semble y avoir quelque chose de l’ordre d’une mystique amour-haine de l’Etat dans les lectures complotistes : de la défiance et en même temps de la fascination ont l’air de motiver toutes les entreprises de quête du «caché» qui aboutissent toujours à la mise en scène d’un pouvoir omnipotent et omniscient – remplissant le rôle d’un Dieu. Les théories du complot n’ont-elles pas quelque chose à voir avec les mythes et avec les fonctions sociales de ceux-là ? Sont-elles en passe de devenir des mythes mobilisateurs, comme les mythes religieux et les mythes nationaux, si nous ne faisons rien pour empêcher cette floraison puante ? Cet étrange mimétisme «amoureux» de l’Etat permet, en creux de la formulation de thèses complotistes, de sédimenter des groupes politiques en sectes. Le complotisme renforce ainsi inévitablement le sectarisme en politique, autant qu’il permet des alliances entre les groupes, sur fond de schémas de pensée complotistes communs. Ainsi, dans des manifestations «antivax» on peut voir des personnes convaincues que le covid est issu d’un complot nazi côtoyer des adeptes du complot juif mondial. D’autre part, des Partis politiques tentent en effet de capter la fonction «mobilisatrice» de ces théories nées parfois dans la solitude et la misère sociale et affective d’un face-à-face avec un écran d’ordinateur. Le Comité Invisible et sa plateforme promotionnelle Lundi Matin essayent depuis un an d’attirer dans leurs rangs et dans leur perspective politique les complotismes, via des articles proposant que la peur soit un dénominateur commun révolutionnaire…tout en se gardant bien évidemment de continuer à séduire un autre lectorat, cette fois-ci «anti-complotiste». Cet oecuménisme de la vérité toute relative était exposé au moment même où paraissait l’anonyme Manifeste Conspirationniste. Il nous semble nécessaire de combattre une telle proposition politique (qui présente les complotismes comme des endroits d’intervention révolutionnaire), en réaffirmant que la peur lorsqu’elle se cristallise socialement n’a jamais conduit politiquement et historiquement qu’à de la lâche impuissance, ou bien pire, qu’à de la répression et de la terreur.
Ce type d’opération politique, qui tente donc de faire fructifier les complotismes afin de les ramener à soi, fait l’impasse sur une réflexion que nous pensons essentielle : celle portant sur le rapport aux délires paranoïaques et sur le rapport à une altérité délirante. Cette discussion peut être propice à creuser des réflexions déjà entamées à la bibliothèque, sur la question du soin, car il est indéniable, depuis la pandémie de covid, que de plus en plus de personnes sont confrontées, dans leurs cercles proches, à des relations avec des schémas de pensée complotistes et délirants qu’il s’agit alors non plus de comprendre du pur point de vue de l’analyse politique, mais du point de vue du soin. Questions délicates, complexes, que nous aimerions ouvrir sans aucune prétention à détenir la moindre vérité pratique, puisque les situations sont alors toujours très singulières. Qu’est-ce qu’une théorie du complot assouvit comme besoins, désirs, fantasmes et peurs ?
Ces questions-là peuvent, enfin, nous amener à questionner l’histoire des théories révolutionnaires du point de vue de ce péril de réduction du réel : le marxisme orthodoxe et son économicisme ne peuvent-ils pas avoir quelque chose de proto-complotiste, en supposant en permanence les lois du capital «derrière» tous les actes humains ? Quel rôle le situationnisme a-t-il joué et joue-t-il encore dans la confusion entre fiction et réalité dont hérite l’appelisme ? Que reste-t-il de la possibilité d’une autonomie si l’on croit en un complot judéo-maçonnique qui dirige le monde ?
Echangons idées, pistes et lectures sur cette vaste problématique, car, malheureusement, tant que des révolutions ne viendront pas grandement perturber le réel, les théories du complot continueront sans doute à se cristalliser pour le pire, dans des pratiques sociales anti-émancipatrices comme dans des terreurs délirantes individuelles.
Il n’y a pas d’arrières-mondes, la triste réalité crève les yeux.

American Honey

Lundi 14 novembre 19h30

Andrea Arnold – 2016
VOST (USA) – 163’

Dans le long métrage American Honey, Andrea Arnold suit le parcours d’une adolescente « Star » qui fugue de chez elle, fuyant un foyer familial (white) trash. Elle rencontre le beau Jake (joué par le beau Shia Leboeuf). Avec lui et un groupe de jeunes, elle sillonne les Etats-Unis, faisant du porte à porte pour vendre des magazines. Ce road-movie intimiste, sans fard ni glamour mais sans cynisme, représente une quête d’émancipation qui se heurte parfois à la dure réalité des suburbs états uniens, du travail et du pouvoir. Mais la route est propice aux rêves, à l’espoir à l’amitié et à l’amour…