Vendredi 20 janvier 19h30
Depuis maintenant quelques années, les milieux militants entre autres se sont saisis d’un nouvel « outil » considéré comme idéal pour résoudre des problèmes (éternels) de communication et de sécurité : « Signal ». Il s’agit d’une application sur téléphone permettant d’envoyer des messages, de faire des conversations de groupes tout en ayant un chiffrage du contenu envoyé. Le recours à cette application s’est notamment vu diffusé à travers diverses formations et brochures sur le thème de l’auto-défense numérique et s’est répandu comme une traînée de poudre dans les aires subversives, devenant aujourd’hui une quai obligation si l’on veut se mettre en lien avec des individus ou des groupes, ou participer à la plupart des initiatives.
Plutôt que de forger notre connaissance par l’expérience et par la lutte, les formations militantes sur l’auto-défense donnent un cours (qui, comme tout cours ayant trait à la surveillance et à la répression, aura toujours un caractère péremptoire et discutable par-rapport à la réalité des transformations des techniques policières), et peu de mauvais élèves se manifestent pour remettre en question un contenu qui devient une doxa de moins en moins discutable. Ne pas avoir installé Signal semble aujourd’hui aberrant lorsque l’on s’organise et l’application est vendue comme un « must have », un indispensable à l’organisation.
Pourtant comme n’importe quel outil technique qui prend ce genre de place et d’importance, depuis le temps que cet usage se diffuse, on peut remarquer qu’il induit le développement de formes d’organisations spécifiques, qu’on ne remet pas en question puisqu’elles émanent de la neutralité d’un outil qui semble adéquat et protecteur et s ‘impose comme nécessaire.
Tout ou presque passe par signal, allant même parfois jusqu’à remplacer les assemblées de luttes. Signal est devenu une sorte de réseau social militant, aux conversations pullulantes avec on-ne-sait-qui dedans… mais à coup sur des flics. Les sujets des luttes en cours sont discutés par Signal et les critiques virulentes ou les débats animés sont remplacés par des pouces sous des messages, un niveau encore en dessous des gauchistes mimant ainsi font les petites marionnettes pour approuver la parole de quelqu’un en assemblée. Mais c’est également l’information qui y circule ; les rendez-vous et réunions publics ou privés (cette distinction tendant dans cet usage de Signal à se confondre) disparaissent au profit de boucles Signal ; il devient préférable de s’envoyer des messages plutôt que de se confronter et de réfléchir ensemble si bien que par exemple certaines personnes qui donnent leur avis dans des groupes se permettent par exemple d’infléchir l’écriture d’un tract tout en n’ayant rien à voir avec la décision de l’écrire, ou en en comprenant pas le sens, voire en s’y opposant. On trouve le même genre de phénomène que dans les assemblées qui font voter bloqueurs et antibloqueurs pour prolonger ou nom l’occupation d’une fac : un démocratisme complètement idéologique vient remplacer et saboter l’auto-organisation. De plus le fonctionnement de cette application permet que des boucles plus restreintes se comportant de fait comme des bureaux politiques décident de ce qui sera diffusé dans des boucles plus larges, reproduisant les pires fonctionnement autoritaires sans aucun garde fou et avec l’alibi pratique de la sécurité et de l’efficacité.
Il est grand temps de réintérroger tout ce que charrient comme pratiques signal et plus largement les outils numériques et réseaux sociaux ! A quels besoins répondent-ils ? Comment faire en sorte qu’ils ne deviennent pas les outils de contrôle des autoritaires ? Comment saboter des prises de pouvoir online ? Mais, plus, largement, qu’avons-nous besoin de dire ou non via des messageries cryptées, qu’avons-nous besoin ou non de partager publiquement, pourquoi ? Ces questionnements de base sont vitaux pour ne pas faire d’un outil une fin en soi qui, par conséquent, finit par tout niveller : quand l’auto-défense numérique devient le but ultime, c’est l’émancipation de tous qui semble bien loin… Au fond, c’est une bien vieille question révolutionnaire, cruciale, qui se repose à nous : comment faire en sorte que certaines exigences d’efficacité ne prennent pas le pas de la critique permanente des mécanismes autoritaires ? Encore faut-il peut-être tout reprendre depuis le début : Signal est-il efficace, en quoi ?
Et enfin, parce qu’un peu de dérision dans les milieux militants fait toujours du bien : comment se défendre face à l’auto-défense numérique ?
C’est à partir de ces réflexions que nous vous proposons de discuter autour de l’utilisation de Signal, et des nouveaux modes d’organisations émergeant avec le numérique.