Contre la politique, y compris celle de la dépolitisation

Vendredi 4 octobre 2019 à 19h

« La Révolution ne se trouve pas entre la gauche et un potager :
elle est ailleurs. »
Fox Mulder

La critique de la politique s’inscrit dans cette longue histoire qui a ré-insufflé un vent révolutionnaire là où des partis « révolutionnaires », des armées « révolutionnaires », des gouvernements « révolutionnaires » puis à nouveaux des partis « révolutionnaires » et leurs armées de militants « révolutionnaires », finissaient par s’imposer comme formes confiscatoires des poussées révolutionnaires, au nom des nécessités d’un pragmatisme de l’efficacité. La rupture avec la forme Parti et la critique du militantisme, fondatrices chez les anarchistes (ce qui n’empêche pas d’avoir à lutter contre des avatars tout aussi nuisibles d’organisations hiérarchiques en leur propre sein), fait l’objet d’une lutte interne aux courants communistes, et forme les courants communistes anti-autoritaires et anti-gestionnaires. Qu’elle creuse la question des travers inhérents à la constitution d’Organisations ou qu’elle s’affine (et s’élargisse) en critique du citoyennisme, on peut considérer qu’une lame de fond déclinée sous mille formes, y compris contradictoires entre elles mais toutes « anti-politique », a contribué à une rupture nécessaire avec la gauche et le gauchisme. Il s’agit donc d’en finir avec la forme Parti, mais aussi avec ses états éventuellement plus mous ou déguisés et mieux adaptés à ce monde comme le réformisme, le républicanisme, le démocratisme et leur jeu des partis politiques, le lobbyisme, le progressisme qui veut nous mener de son pas cadencé vers une démocratique fin de l’histoire, avec les politiques identitaires qui cherchent à nous Organiser en fonction de ce que nous sommes supposés être plutôt que de nos perspectives, avec le programmatisme dans la foulée, entre autres.
Au delà de tout ça, à chaque moment de lutte, dans chaque projet subversif se joue cette tension entre s’installer dans un culte pragmatique de la forme et le confort des compromis (le repos après la bataille, la « victoire » après la lutte, la gestion après la révolution) et laisser l’inventivité confrontative faire son chemin y compris contre ceux qui s’y croiraient installés.
Face à ces écueils mille fois ramenés, préférer la vie à la politique semble pouvoir constituer une boussole salvatrice pour rester dans l’inventivité confrontative.

Pourtant refuser la politique n’implique pas d’accepter voire de devancer la dépolitisation en cours.
Car il y a plusieurs manières de se défaire de la politique, Lui préférer le néant, grignoter la politique de l’intérieur à la manière du pays imaginaire de l’Histoire sans fin, en plus d’être bien souvent une autre manière de continuer à faire de la politique (« tout est politique », c’est-à-dire tout peut rapporter politiquement, même la dépolitisation), nous éloigne toujours plus radicalement des luttes et de l’émancipation.
Et en effet, il nous semble essentiel de ne pas abandonner les questions politiques et de tenter de s’y confronter de façon anti-politique. Or, dans cette perspective, proposer des discussions sur des sujets comme la Religion, la Réaction, les frontières, le travail ou la prison, c’est bien, en un sens, refuser les formes de dépolitisations en cours. Car de fait, ici comme ailleurs, on ne parle pas de tout et de n’importe quoi, le sujet des vertus bienfaitrices que les carottes ont sur la vue, la couleur des fesses, et l’amabilité de ceux qui s’en nourrissent n’est et ne sera (sans doute) pas abordé dans les discussions que nous proposons sur les questions de notre temps, par exemple. Que mettons-nous donc derrière les mots « politique », « dépolitisation », « anti-politique » ? Questions complexes s’il en est, puisque se joue ici la singularité de la perspective révolutionnaire et la vivacité des manières de se la poser : le choix de la vie contre la politique en somme. Si aujourd’hui on voit se répandre la perspective mortifère de la dépolitisation, à travers toutes ces formes de repli sur soi, son potager, sa famille, son squat, sa bande affinitaire, sa communauté, ses traditions, de peur des autres, de sécurisation des rapports, et ce au cœur même des milieux les plus militants, c’est que la tentation semble grande de se glisser dans le moelleux d’une époque qui ne cesse de se reproposer comme solution aux problèmes qu’elle pose, et d’en accepter les formes les plus politiques de maintien de l’existant : la dépolitisation qui ne cesse de venir n’est rien d’autre qu’une des positions politiques confortables pour que le monde perdure. Ce climat dépolitisant fleurit dans ce sol meuble où on lutte plus contre la complexité, les « sachants » et la spécialisation que contre l’Etat, où le ressenti devient le départ et l’arrivée de toute pensée, ou l’argument d’autorité (par exemple l’identité) remplace le conflit et l’argumentation, ou être suffit à faire croire qu’on lutte.
A partir d’une réflexion anti-politique contre la hiérarchisation et la spécialisation par exemple, on finit par adopter comme acceptable la perspective de prôner l’autogestion du recyclage des excréments (Cf. Comment composter sa merde sans paniquer, disponible sur le site infokiosques.net), ou encore comment « mur par mur et pierre par pierre » construire dans ce monde de façon autogérée (cf Pierre par pierre – mur par mur sur le même site). Au-delà de l’anecdote, l’essentiel devient de ne pas paniquer, de maîtriser sa vie, ses désirs, ses déchets et son empreinte carbone.
La question ici n’est pas de classer dans un tableau ce qui est politique et ce qui ne l’est pas, ce qui est anti-politique et ce qui est dépolitisé. la question est plutôt de repenser le terme « politique » dans son contexte actuel, de réfléchir à cette étrange oscillation entre antipolitique et dépolitisation, et peut-être par ce biais d’ouvrir des questions comme celle de l’intervention révolutionnaire. L’enjeu, c’est celui de la réanimation d’une rupture forte et anti-politique avec la perspective réformiste, mais aussi celui de la création d’une rupture à la racine avec la dépolitisation en cours qui ne cesse d’être de plus en plus compatible avec les formes actuelles les plus normales de la politique.

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Vidéodrome

David Cronenberg,1984, vostfr (Canada), 88′

Lundi 7 octobre 19h

 


 

« Television is more than reality, reality is less than television » P. Oblivion

Un producteur cynique de films porno cherche de quoi relancer l’excitation d’une clientèle très vite blasée par une profusion de productions lucratives et sans autre intérêt. Suite à un piratage d’ondes, il tombe sur un programme clandestin, Videodrome, qui va attiser sa curiosité jusqu’à l’obsession, bouleverser sa vie, rentrer littéralement en lui jusqu’à ce que la fiction rende la réalité elle-même fantastique, déforme les corps en même temps que la réalité du snuff-movie détruit la fiction. Ce film des débuts de la carrière de Cronenberg n’est pas seulement une explosion d’images fantastiques hybridant le corps et la machine avec une inventivité hallucinante, au service d’une critique acérée et ironique du désir d’image à l’ère télévisuelle. Il met en scène et questionne la manière dont la réalité de la souffrance et de la torture sert les exigences toujours plus intenses d’un désir de fiction que la fiction ne peut satisfaire et comment c’est l’humanité du spectateur-voyeur qui s’y retrouve déstabilisée, hybridée, détruite par cet inverse du « supplément d’âme », cette espèce de « supplément de vérité corporelle » que le désir recherche, sans fin, jusqu’à l’insupportable.

 

Le Tambour

Volker Schlöndorff, 1979, vostfr (Allemagne), 162′

Vendredi 18 octobre 19h

 

Ce film de Volker Schlöndorff adapte en 1979 le roman de Günter Grass paru en 1959. Un enfant né en 1927 en Allemagne va refuser de grandir et poser un regard hyper lucide, subversif et acéré sur le monde dans lequel il refuse s’intégrer et littéralement d’évoluer. Le tambour qui lui a été offert pour ses 3 ans et le cri perçant qu’il pousse à la face des adultes et du monde tel qu’il va dans le contexte de la montée du nazisme et de la 2ème guerre mondiale vont remplacer la parole et exprimer son refus radical de se mêler à ses semblables, au point qu’il sera surnommé « le Tambour ». L’acteur extraordinaire David Bennent va jouer ce personnage hors du commun, adulte bloqué dans le corps d’un enfant de 3 ans, de manière absolument sidérante, avec cette souffrance renvoyée sans médiation à la famille, au monde, à l’Histoire qui la cause et cette détermination absolue à ne pas s’y résoudre qui nous renvoient à une forme de révolte fondamentale. La voix off nous fait partager ce regard de l’enfance déterminée à ne pas devenir adulte, et cette rupture avec le monde, mettant en évidence à quel point la société exige une connivence permanente avec ses codes, ses présupposés et ses perspectives. Et son cri et le roulement de tambour qui l’accompagnent nous transpercent bien au-delà du film et de l’histoire extraordinaire qu’il raconte.

Hulk

Ang Lee, 2003, vostfr (USA), 140′

Lundi 4 novembre 19h

Boom… Boom… Boom… Ce n’est pas le cœur de Bruce Banner qui fait ce bruit sourd et inquiétant, similaire à celui d’un volcan trop longtemps endormi toquant aux portes de la terre, C’est bien le cœur de Hulk, la bête, le monstre. Cette « abomination » verte à la taille proportionnelle à l’ampleur de sa colère est l’incarnation d’une rage et d’une violence sans mesure contenue dans un simple être humain, Bruce Banner, donc. Ce dernier, petit scientifique en herbe s’intéressant de très près à la question de la régénération des tissus du corps humain, va bientôt devenir le centre d’intérêt des plus hautes sphères de l’appareil militaire. D’abord pour ses travaux, avec cette porosité quasi fusionnelle qu’à toujours la science avec l’Etat, puis pour lui même, car l’armée voit en lui la clef de l’arme ultime, le fantasme du Super Soldat invincible.

Bruce Banner, lorsqu’il s’énerve, lorsque sa colère éclate, laisse place à Hulk, le colosse presque muet, que tous essayent d’attraper et d’emprisonner. Personne ne comprend cette bête inhumaine, pas même Bruce Banner, qui pourtant s’acharne à essayer de trouver l’origine de sa naissance dans son passé.

Il essayera, tout au long du film, de lutter contre le père et le militaire, deux figures autoritaires qu’une complexité certaine éloigne de la simple figure caricaturale, avec toujours la problématique suivante : Se défaire de l’autorité, lutter contre, et sans jamais se laisser ingérer, le normaliser, intégrer à la bonne marche du monde. Hulk semble alors se rapprocher pour nous d’une figure qui n’est pas sans nous rappeler la guerre sociale, toujours tiraillée entre rupture et connivence, luttant contre un monde qui l’aspire de toute part, pour la liberté.

Au delà du fait que les mouvements de Hulk ressemblent à ceux de King Kong, ce film est projeté dans le cadre de notre cycle au long cours de films de Kaiju, nous souhaitons rapprocher ce grand monstre vert de ses cousins japonais, porteurs d’un monde nouveau dans leurs cœurs inatteignables, que ce monde essaiera toujours d’engloutir, mais qui seront évidemment plus grands que la vague.

Contre le service militaire 2.0, contre l’encasernement, pour l’insoumission

Samedi 9 novembre 19h

« Il n’y aura pas d’insoumis, au sens pénal du terme, il n’y aura que des jeunes ayant échoué – à un moment de leur trajectoire – à comprendre le plein sens des valeurs d’égalité et de fraternité, passagers clandestins d’une société à l’amélioration et à la générosité de laquelle ils apparaitront comme ayant renoncé. »

Le Service National Universel, SNU, arrive bientôt dans la réalité de notre quotidien. Aujourd’hui plus que jamais, les pubs pour l’armée sous ses diverses formes poussent sur les abribus, sur les panneaux publicitaires, et dans les « salons de l’étudiant », l’armée est présentée comme une solution au désœuvrement et à l’échec scolaire, un environnement sain où l’on va pouvoir prouver sa valeur à soi et à la société tout en faisant le Bien. Une propagande éculée est vomie à nouveau dans une sauce modernisée, avec inclusivité et anti-racisme (sur les affiches seulement, on imagine…) pour les besoins du moment. Et plus le temps passe, plus l’armée devient à nouveau normale, acceptable, voire potentiellement désirable, elle qui, depuis les années 90, avait fini par perdre globalement son aura auprès de tout un chacun, processus finalement clôt avec la fin du service militaire obligatoire. Le bidasse viril se traînant dans la boue ne faisait plus recette. Et voilà que le processus inverse se déroule sous nos yeux, favorisé par les aspirations médiatiquement manufacturées au repli patriotique et protectionniste post-attentats, il prend forme avec une rapidité déroutante, en même temps que se développe par tous les bouts du champ politique institutionnel le recours aux valeurs moisies du populisme et du nationalisme que personne ne peut considérer de nos jours (si ça a jamais été le cas) comme « des idées de droite ».

Ce retour en force prétend pourtant à la nouveauté : ce « projet de société », comme l’appelle l’Etat, se propose comme un « compromis », un parfait équilibre atteint entre la précédente et relativement insignifiante Journée d’Appel (qui, avec les cours d’éducation civique, a quand même maintenue la place de l’armée dans nos vies, avec cet égalitarisme formidable qui l’a généralisée à toute la population) et le bon vieux service militaire. Au menu de la caserne 2.0, on apprendra dès l’adolescence la cohésion de groupe, l’union nationale, le respect de la patrie, de ses symboles, à être éco-responsable et, bien sûr, le souci partagé de la défense de la nation.

Ce serait une énorme erreur que de ne pas se préoccuper de cette question au plus vite. Les textes de lois sont prêts, votés, des batteries de tests on été effectués sur environ 2000 volontaires de toute la France. Dans les textes, on hésite encore sur la durée, un mois, deux semaines, on s’interroge sur la législation précise, mais une chose est sûre : le service militaire 2.0 passera, dusse-t-il être revu en cours de route ; et quelle que soit sa durée, ça commencera à la fin du collège et chacun sera fortement incité à « l’engagement civique » auprès de l’armée pour la vie.

Si sa durée reste pour l’instant bien inférieure à celle de l’ancien service, le projet du SNU prend des proportions très inquiétantes et le présente comme une institution sociale très centrale qui deviendrait un passage obligé et nécessaire en lien étroit avec la scolarité et pourrait devenir aussi une étape dans l’obtention du permis de conduire. En effet, le lien entre école, nation et forces répressives (police, justice et maintenant armée) ne fait que se renforcer un peu plus, poursuivant le fil réactionnaire des vertus « éducatives » du vieux service militaire : l’école prépare à la citoyenneté, de plus en plus ouvertement liée à l’armée, et à l’Ordre plus généralement. Le SNU s’inscrit dans une continuité avec l’école où le petit citoyen en devenir intègrera la nécessité militaire. D’ailleurs c’est au SNU que sera probablement confié la tâche de contrôler l’acquisition du « socle commun de connaissances » post-brevet.

Quelle que soit sa potentielle forme définitive, le SNU, c’est aussi un élément dans cette fascination nouvelle et sidérante pour l’armée, la nation, la France, le résultat du matraquage idéologique post-attentat qui curieusement, et de façon désolante, a l’air de marcher beaucoup plus que ce qu’on aurait pu imaginer. C’est le moment ou jamais de renouveler la critique du sale discours de la France-défenseuse-des-valeurs-occidentales et dernier-rempart-contre-la-barbarie.

Alors pourquoi ce projet rencontre-t-il si peu d’opposition ?

L’histoire anti-militariste, celle des désertions, du refus de l’armée et de la guerre, l’importance qu’a pu avoir le mouvement de l’insoumission contre le service militaire dans les années 70 n’est pourtant pas si ancienne ; l’armée, ses guerres ainsi que les formes offensives et subversives de pacifisme et de refus qui s’y sont opposé sont encore bien fraîches dans les mémoires.

Il est indispensable d’agir contre le SNU, contre l’armée, contre la nation.

Être offensif contre ce projet, contre l’Etat qui joue ici un gros coup sur la bataille de la normalisation, est nécessaire, si nous prétendons nous battre contre ce monde, contre l’Etat et le pouvoir. D’ailleurs ne pourrait-on pas voir aussi le SNU comme un des éléments d’une batterie de mesures stratégiques et contrinsurrectionnelle en réponse au mouvement des Gilets Jaunes ?

On ne propose pas ici de réactiver des initiatives vaines et para-humanitaires du passé comme « food not bomb », ni de critiquer le SNU avec la nostalgie réformiste de la journée d’appel, mais de réfléchir ensemble aux moyens à notre disposition pour lutter, aujourd’hui, contre l’armée, la cohésion nationale et la patrie, et cette forme particulière de propagande qui cherche à s’immiscer dans la vie de tout un chacun, dans une perspective réellement anti-autoritaire et révolutionnaire.

Parce que « voir du pays » ne peut pas nous faire accepter l’armée, on pourra réfléchir ensemble le 9 novembre au SNU, commencer à en déjouer la propagande, à en comprendre les enjeux d’Etat dans l’époque actuelle dans la perspective d’en détruire les fondements et les présupposés.

 

The Lobster

Yorgos Lanthimos, 2015, vostfr (Grèce),119′

Lundi 18 novembre 19h

L’amour peut être ce qui violemment nous donne envie de nous révolter, il peut être la goutte d’eau nous faisant prendre conscience que, décidément, ça n’est pas et ça ne sera pas dans ce monde que nous pourrons explorer librement des désirs, des singularités, des rapports à l’altérité. Des amants souffriront cruellement au matin de devoir aller travailler, et feront, peut-être, le choix de rester au lit, de lutter contre tous les ersatz de passion et contre tous les réveils impératifs.

Ou alors, cette tension de la révolte que nous pouvons partager dans l’amour comme dans l’amitié, ou comme dans toute forme de relation cherchant à rencontrer un autrui, et non pas une représentation (la femme, le marié, le père, la réussite sociale…), peut être étouffée, rendue inaudible par un carcan moral et un dispositif social validant les moeurs, en interdisant d’autres. C’est ce que filme jusque dans ses retranchements les plus sombrement absurdes le réalisateur Yorgos Lanthimos dans The Lobster : toute personne n’ayant pas « trouvé l’amour » (comme on trouve un métier, une maison, une chemise) est envoyé dans une véritable colonie maritale, harem dont le pacha est la société qui se satisfait de l’ordre en se faisant l’entremetteur des personnes. Si le célibat demeure au bout de 45 jours, l’échec aboutit à la transformation en animal. Ceux qui ne se conforment pas à la civilisation et à ses relations prescrites seront définitivement mis au ban. Nous suivons alors l’histoire de David dans le camp, qui sera changé en homard s’il ne trouve pas une concubine avant la date de péremption de la dite normalité.

 

La morale est une idée vieille en europe

Vendredi 29 novembre 19h

Pourquoi faire une discussion sur la morale ?

Quand les possibilités concrètes d’action sont déjà limitées, par des dispositifs économiques, étatiques et sociaux, c’est la morale qui souvent empêche de saisir des perspectives pour ouvrir de nouvelles possibilités. C’est un écran entre soi et d’éventuelles brèches.

La critique de la morale religieuse, mais aussi de la morale bourgeoise, puis des formes de morale qui ont essaimé aussi dans les mouvements révolutionnaires (sous la forme du travaillisme, de son corrélat l’identité mythifiée du travailleur, ) a toujours accompagné les perspectives révolutionnaires.

Repartir de discussions qui ont eu lieu aux Fleurs Arctiques autour des suites de mai 68, de sa récupération et de sa liquidation réactionnaire des années 1980 à aujourd’hui, peut être une manière d’aborder le rapport moral au monde qui s’est mis en place et que l’on retrouve désormais, en train de côtoyer non pas une « idéalisation » de ce monde et de la société, mais plutôt la résignation et l’acceptation de quelque chose qui n’est « pas le pire » : le moindre mal démocratique. Il n’y a en effet guère plus d’enchantement possible du quotidien, et c’est dans cette misère-là que certaines formes de discours, retrouvant de vieilles rhétoriques, puisent de nouvelles forces. C’est une pensée diffuse que nous trouvons d’abord exprimée dans des pensées critiquant 68 et sa « libéralisation des mœurs » qu’on associe alors à la « société de consommation », comme si la critique révolutionnaire de la morale de 68 aboutissait au « néolibéralisme débridé » qu’il faudrait redresser moralement face au risque de la perte de toute valeur (Michéa, Ferry, Clouscard & consorts, avec Finkielkraut et Brückner). Ces pensées prétenduement nouvelles mais profondément réactionnaires et morales associent le discours que tient cette société sur elle-même, les marchandises, à ce que seraient profondément les gens. Dès lors, ce qui apparaît comme étant véritablement critique est en réalité la réactivation terrible de cette forme de morale qui soutient, comme au premier jour, l’autorité, les vieilles valeurs, la fidélité, la famille, le terroir, le travail et le devoir. Ça forme la jeunesse que de serrer un peu les dents et nos régions ont du talents. Drôle de renversement (propre à notre époque ?) que nous voyons alors : la morale qui se donne l’apparence de la critique.

D’un autre côté, les interprétations post-foucaldiennes du pouvoir et de l’autorité comme étant de même nature qu’ils soient au niveau étatique ou au niveau des personnes, aboutissent à réduire la question du pouvoir à celle des rapports inter-personnels et épargnent dès lors l’Etat, ses rouages, les rapports de domination institutionnelle… et la morale. On peut alors se demander si la transformation de la critique dans des formes purement relationnelles et entièrement subjectivisées n’aboutit pas aux mêmes effets qu’un carcan moral : la mortification, l’isolement, la résignation (se résigner à changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde, puisque le problème du pouvoir serait avant tout dans le désir subjectif). Bien évidemment, ce carcan moral qu’on prétend n’appliquer qu’à soi-même est immédiatement imposé aux autres : la morale c’est toujours la répression de soi et des autres.

Ainsi, lors de cette discussion, nous aimerions aborder ce qui nous semble être un trait caractéristique de l’époque : la confusion entre la morale et la critique, comme si la morale pouvait être une alternative pleine de subversion. Nous entendons réaffirmer qu’aucune morale ne sera jamais subversive, qu’elle soit majoritaire ou minoritaire, et quelle que soit la manière dont elle se vit.

Les fils de l’homme

Alfonso Cuarón, 2006, vostfr (USA), 110′

Lundi 2 décembre 19h

Le film se déroule à Londres dans un futur peu lointain, voire possible et envisageable, ravagé par les pandémies, la guerre et le terrorisme. Les camps et les cages de réfugiés se multiplient aux abords des métropoles, on parque les êtres humains comme des bêtes et l’armée est omniprésente.

A force de pandémies, l’humanité est devenue stérile, plus aucun enfant ne naît, c’est donc vers l’extinction que l’on s’achemine avec mélancolie. L’être humain le plus jeune sur Terre est mort assassiné le 16 novembre 2027, et l’on rapporte dans tous les médias à travers le monde le meurtre de celui que l’on appelait « baby Diego ». Âgé de dix-huit ans, il était la plus jeune personne sur Terre et le dernier enfant né recensé. Dans cette dystopie où le suicide et la délation sont vivement encouragés par le pouvoir et où la guerre et le dénuement font rage partout, le personnage principal, un ancien militant résigné, devenu morose employé de bureau, se retrouve, malgré lui, embarqué avec les Poissons, un groupe armé militant pour les sans-papiers. Si le film est bercé par une absurdité mélancolique profonde, il n’est dénué ni d’espoir ni d’humour, ni d’une certaine profondeur dans la mise en place d’une dystopie dont la nature même constitue une critique forte du monde en présence.

La question de l’auto-organisation dans le mouvement des sans papiers de 1996

Samedi 14 décembre 19h

La discussion sur les frontières initialement prévue le 14 décembre est reportée au prochain programme. Elle est remplacée par une séance de travail préparatoire à ce vaste sujet. Nous allons réfléchir aux formes qu’ont pu prendre les luttes de migrants et en particulier à la question de l’auto-organisation des acteurs de ces luttes, avec ou sans papiers, en discutant à partir d’un film intitulé La Ballade des sans-papiers (1996, Samir Abdallah et Raffaele Ventura, 90 mn).

Ce film, tourné sur le moment, retrace le début de cette phase de lutte, de l’occupation de l’église Saint Ambroise par le collectif qui s’appellera ensuite « de Saint Bernard » jusqu’à leur expulsion de l’église Saint Bernard. Il reste focalisé sur ce collectif qui est à la fois le premier et le plus médiatisé, ce qui est déjà en soi discutable, dans la mesure où il passe sous silence beaucoup des problématiques et conflits internes de ce mouvement dans lequel beaucoup d’autres collectifs se sont créés sur cette lancée, avec des perspectives et des enjeux différents (collectifs fermés ou ouverts par exemple, cherchant à obtenir des papiers pour leurs membres ou « pour tous », revendiquant éventuellement des critères de régularisation qui seront ensuite repris dans les lois Chevènement par la gauche plurielle et sont toujours en place aujourd’hui). Le film laisse aussi de côté tous les acteurs « avec papiers » de cette lutte qui ont cherché leurs propres formes d’auto-organisation dans une lutte contre les frontières qui concerne tout un chacun, et sont intervenus en critiquant la position de soutien. Son visionnage sera donc un point de départ intéressant à la fois pour se faire une idée de cette période relativement lointaine vu d’aujourd’hui, et pour poser un regard critique sur les diverses positions qui ont pu s’y exprimer et dont ce film choisit ou pas de rendre compte.

 

25th hour

La projection de 25th hour, initialement prévue lundi 16 décembre est  déplacée vendredi 13 à 19h

Spike Lee, 2002, vostfr (USA),134’

 

Dans ce film de Spike Lee sorti en 2002 et réalisé à partir du roman de David Benioff 24 heures avant la nuit (titre parfois repris pour le film lors de distributions francophones), on suit pas à pas l’errance festive d’un homme sous le coup d’une lourde condamnation pour trafic de stupéfiants dont la liberté sous caution prend fin 24 heures plus tard. Ce qu’il va faire de ce dernier jour de liberté avant son incarcération, le goût et le dégoût d’une vie dont il est contraint d’extraire une intensité sans durée, l’hypothèse de ne pas accepter d’y retourner et de partir en cavale, toutes ces émotions et sensations complexes vont être filmées par Spike Lee dans une urgence contemplative magnifique, renforcées par l’athmosphère principalement nocturne du film et le huis-clos temporel dans lesquel on se retrouve enfermé avec lui. Comme dans le poème L’Evadé de Boris Vian, la prison est l’horizon qui impose la question de l’urgence de vivre, et qui pose très fondamentalement la question du rapport à cette liberté que la société nous refuse, de son impossibilité réelle dans ce monde qui n’empêche pas que nous soyons aimantés dans nos choix, nos plaisirs, nos envies et nos refus par l’aspiration à la vivre malgré tout, quitte à constater la vanité des bribes qu’on parvient à en arracher. C’est aussi la question de ce qu’on vit avant cet autre rendez-vous véritablement inéluctable qu’est la mort qui est figuré ici par le retour en cellule, et ce qu’on choisit d’en faire. Si le livre est écrit en 2001, avant l’attentat du World Trade Center, Spike Lee va ajouter au film une dimension de méditation mélancolique en faisant de Ground Zero un décor omniprésent de son film et de l’errance de son personnage.

Ce qui travaille ce film, c’est finalement la question de savoir où trouver la force de combattre le nihilisme inhérent à la conscience de la finitude de la condition humaine, comme à l’expérience des formes sociales qui nous empêchent de vivre le temps qu’il nous reste, pour enfin cesser de survivre en attendant.