Utopie 2021

Mardi 18 janvier 19h

S’il est bien une chose qui semble cruciale à notre époque, c’est de creuser à nouveau des perspectives révolutionnaires, de réfléchir à la question de la Révolution, et, ce faisant, sans doute, de l’imaginer. Mais dans quelle mesure la Révolution, qui ne prend sens que réalisée, a-t-elle besoin d’un imaginaire ? S’en nourrit-elle utilement ? Dépérirait-elle de ne pas être rêvée ? Ou, au contraire, à trop en déterminer virtuellement les contours, ne perdrait-on pas son caractère inouï, sa radicale étrangeté aux catégories, y compris imaginaires, de ce monde qu’elle vient détruire ? En tout état de cause, cet imaginaire, qu’on peut penser plus ou moins nécessaire, il existe bien des manières de contribuer à l’alimenter. L’une d’entre elles, la plus efficace sans doute, est l’utopie.
Puisque le fait d’imaginer, plus ou moins intensément, plus ou moins rationnellement, un monde entier et des relations entre les êtres humains radicalement autres, depuis ses propres fantasmes, rêveries et aspirations, a lieu finalement assez naturellement quand on souhaite la destruction et la disparition du capitalisme et de l’État, on peut faire l’hypothèse que l’utopie a plus ou moins toujours existé. L’utopie, qu’elle prenne la forme du récit, du raisonnement, d’une image, d’une musique, d’un poème ou d’un silence, peut être comprise, en quelque sorte comme la face sensible et affirmative de la négation et du refus du monde présent. Mais que reste-t-il de la négation dès lors que l’affirmation prend ainsi le dessus ?

Au XIXème, ceux que Marx et Engels ont qualifiés de « socialistes utopiques » ont justement transcrit leurs aspirations dans des perspectives politiques, liant ainsi l’utopie et la critique sociale, et luttant parfois pour faire advenir ces sociétés imaginaires qu’ils avaient mûries. Cependant, bien souvent les socialistes utopiques misaient sur une transformation du monde non par la révolution mais par la multiplication de communautés idéales (ce qui s’apparenterait de nos jours à ce qui peut être qualifié de perspective alternativiste), et bien des révolutionnaires de la seconde moitié du XIXème siècle ont critiqué cet aspect réformiste, refusant de séparer l’utopie, le rêve d’un autre monde sans État ni capital, des luttes révolutionnaires au présent. Mais un des dangers de la volonté utopique de transformer le monde par la révolution est de transformer des projections imaginaires d’une autre réalité en propositions, objectifs et programmes politiques. Ce que le XXème siècle a connu et qui peut expliquer en grande partie la disparition de l’utopie autant que des perspectives révolutionnaires, ce sont les pires justifications de mesures autoritaires au nom de l’utopie, d’un « monde à venir », au nom d’un « communisme » à construire et à imposer à la réalité présente, qui, ainsi utilisée, peut ne rien avoir de souhaitable.
Nos aspirations à l’émancipation tendent évidemment vers une révolution anti-autoritaire, où tous les individus seront (ou seraient ?) libres, sans État, argent ou travail, mais définir par avance ce à quoi devrait ressembler le monde d’après le capitalisme et l’État serait, malgré toutes les aspirations libertaires de cette utopie, foncièrement autoritaire. Elle dépasserait le stade de la rêverie, pour entrer dans celui du programme politique. Il serait, de plus, illusoire de considérer que nous avons les clés de compréhension et d’imagination suffisantes pour concevoir un monde à la hauteur de nos aspirations, alors que le capitalisme et l’État sont en permanence des freins à notre imagination et à notre pensée. La Révolution elle-même transformerait (ou transformera ?) profondément les possibilités d’imaginer et de créer, les aspirations des uns et des autres, sans que cela ne puisse être contrôlable ou même anticipable. Le passage unilatéral de l’utopie au programme politique, de l’imagination à son application, ne fait que simplifier le rapport de transformations permanentes et réciproques entre les aspirations – aussi variées qu’il y a d’individus et qui même, sans doute, foisonnent en chacun – et la réalité sociale. En tout état de cause, le rapport entre l’imagination et la lutte a sans doute tout intérêt à être sans cesse réinterrogé.
L’utopie a donc longtemps, pour les raisons et au nom des critiques énoncées plus haut, disparu des textes révolutionnaires, et a plus souvent servi de support, ces dernières années, à des tendances gauchistes, alternos et social-démocrates. Au XXème siècle, l’idée révolutionnaire était si présente dans les esprits, dans l’imaginaire collectif, elle paraissait si tangible, que l’utopie, le fait de mettre par écrit ses espoirs d’un autre monde, n’était absolument pas une évidence, et peut être à raison. C’est en cela qu’Utopie 2021 est un texte important, il paraît dans un contexte où l’imaginaire de la Révolution s’est effritée, où celle-ci ne paraît plus possible, et ce même pour une partie des aires subversives.
Mais Utopie 2021 ne développe pas seulement une utopie : ce livre, composé en trois parties qui se répondent, réfléchit au processus révolutionnaire et se demande comment est-ce qu’une subversion globale de l’existant serait possible ; et aux possibilités d’interventions des révolutionnaires à partir de la situation actuelle.
On propose donc une présentation et une discussion autour de ces thématiques, de l’Utopie, de l’intervention, de la Révolution et de son imaginaire, à partir d’Utopie 2021, et en présence de Léon de Mattis.

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Blow Out

Lundi 10 janvier – 19h

Brian de Palma – 1981
VOSTF (USA) – 108’

Un ingénieur du son travaillant pour des films de « série Z » (John Travolta), remis en question par le réalisateur pour sa réutilisation d’une banque sonore répétitive et artificielle, se met en recherche de sons réalistes dont un cri de femme pour une scène de meurtre. Alors qu’il enregistre les bruits nocturnes dans un parc de la ville, une voiture tombe d’un pont à proximité, le son de cet accident se retrouve sur ses bandes, et, parce qu’il sauve la passagère de la noyade, le technicien devient protagoniste de l’intrigue sombre d’un thriller politique, non plus en train de se réaliser sur pellicule, mais en train d’avoir lieu. Ce serait en mixant le son de son film précédent que De Palma aurait conçu le projet de ce scénario qui, tout en jouant avec les stéréotypes du film de genre, traite à la fois de la question de l’assassinat politique qui le fascine depuis l’assassinat de Kennedy, mais aussi de la fabrication d’un film, de la part invisible mais primordiale du son dans la création des émotions chez le spectateur, et plus largement du rapport entre réalisme et réalité, entre ce qui se passe, et ce que la fiction en reconstruit. L’hommage à Blow Up d’Antonioni est rendu explicite par le titre, avec la reprise du principe de la plongée dans la matérialité d’un élément de représentation (l’image pour Blow up, le son pour Blow out) pour y trouver une trace donnant accès peut-être à une réalité autrement inatteignable. En déplaçant l’objet central de l’attention de l’image au son, ce film, saturé de références cinématographiques, ne serait-ce qu’au fameux « cri de Wilhelm » utilisé au premier ou au deuxième degré dans des centaines de films depuis sa fabrication par un ingénieur du son en 1951, dans une sorte d’hommage amoureux au cinéma qui le précède, évoque aussi Conversation Secrète de Coppola et la fascination pour le rapport entre les techniques d’espionnage, de manipulation et de surveillance développées dans l’Amérique de la guerre froide et la construction de la fiction par le cinéma. C’est donc avant tout de cinéma et d’émotion qu’il est question, dans cette quête désespérée et fatale d’une vérité fragile, entraperçue, mais finalement réinjectée dans le circuit de la fabrication de fiction qui la fait presque disparaître.

Programme de la bibliothèque de janvier à mars 2022

Programme

Programme simplifié

Agenda

 

Bonne année sous Omicron, et surtout bonne santé, pris dans la vague ascendante de la catastrophe gestionnaire en cours. La perte de contrôle sanitaire de l’épidémie étant désormais certaine, on nous abreuve de magouilles sémantiques et grammaticales pour nous faire accepter la dite « surmortalité » inévitable et nous faire croire que ce qu’il y a à éviter n’est plus la contamination mais les dommages terribles que feraient risquer la fermeture des écoles et des entreprises, et que ce qu’il y a à soigner c’est l’économie et pas nous, tout en verrouillant les moyens de contrôle et de répression nettement améliorés durant cet épisode pandémique.
La bibliothèque s’est toujours efforcée d’être précautionneuse avec ce virus, et on a toujours porté une grande attention à ne pas devenir un lieu de contamination affinitaire, Durant plusieurs période de pic épidémique, on a préféré reporter nos activités, non pas par adhésion aux mesures de gestion, mais parce qu’on est persuadés qu’il est possible de se battre contre l’État et d’éviter autant qu’on le peut la diffusion du virus. La gestion a ses raisons qui ne sont pas les nôtres, elle a confiné une fois, puis déconfiné, puis nous a contraint à travailler avec le virus sous couvre-feu. La situation actuelle, sans confinement ni restriction de déplacement ne nous semble pas plus souhaitable que celle des débuts de la pandémie : c’est toujours à nos dépends que le pouvoir de l’État s’exerce, et ce qu’il cherche c’est l’optimisation des conditions de notre exploitation.
Alors pourquoi proposer un nouveau programme, alors que la circulation du virus est aujourd’hui exponentielle, et que nos moyens de nous en protéger sont restreints ? Tout simplement parce que si l’État cherche à toujours mieux nous exploiter et nous faire obéir, ce que nous cherchons nous c’est des perspectives pour le détruire, et nous savons que ce n’est pas depuis un extérieur illusoire que la conflictualité peut se mener. Il est maintenant clair que le capitalisme sans virus n’est plus qu’une triste utopie, et, alors qu’on passe nos journées avec le virus, dans les transports, au travail, dans les queues des pharmacies pour se faire tester jours après jours, il serait absurde d’attendre un avenir meilleur pour poursuivre nos activités. On fera donc avec, en s’efforçant d’aérer, de trouver des FFP2 à proposer à ceux qui viennent nous voir, de faire savoir si des cas se déclarent et de prendre les dispositions nécessaires, bref, de ne pas se comporter en radicaux du libéralisme indifférents à la vie des autres, à notre petite échelle.

On propose donc plusieurs discussions publiques, un ciné-club tous les quinze jours, des groupes de lecture hebdomadaires, ainsi que des permanences où il possible de venir nous rencontrer, emprunter des livres, se procurer les publications diverses que nous diffusons, parler de choses et d’autres. On commence le 18 janvier en invitant Léon de Mattis pour une présentation d’Utopie 2021, on invite aussi Nedjib Sidi Moussa le 18 février pour s’interroger sur les pistes qui s’ouvrent à nous pour résister au manichéisme. On essaiera aussi le 4 février de revenir sur l’histoire de l’antiracisme et des tensions autour de cette question, prise entre les luttes auto organisées et autonomes et les formes multiples de récupération par l’État et par la gauche. On propose aussi le 11 mars de discuter autour de la traduction que nous publions d’un texte écrit par des anarchistes au cours des émeutes de Ferguson aux États Unis, Another word for « White Ally » is coward, qui nous semble porté par une intense volonté d’en découdre avec l’État et tout ce qui freine la subversion. Enfin nous nous interrogerons le 25 mars sur ces nouvelles formes de militantisme entreprenarial qui pullulent aujourd’hui et, de Extinction Rebellion à Akira, prétendent à une subversion sans auto organisation.

Que ce soit lors de ces discussions, des permanences le mardi de 14h à 17h, des groupes de lecture le dimanche à 16h30, ou des ciné-clubs, n’hésitez pas à venir, vous ne serez soumis à aucun pass militant, aucun prérequis ni aucune politesse ne sont requis à part la volonté sincère de participer à ce qui s’élabore, y compris de manière contradictoire !

 

La rumeur était donc vraie !

Les Fleurs Arctiques ont viré un raciste.

C’est une drôle de soirée que l’on vient de passer à la bibliothèque, ce vendredi 17 décembre 2021, à l’occasion d’une discussion sur la question du Grand Soir et la critique du léninisme. Tout a commencé très normalement. Malgré le refus de publication de notre programme sur PLI sous prétextes de « coups de pressions » imaginaires, « contre des groupes » imaginaires aussi, plusieurs personnes se sont déplacées et la discussion a été intéressante. Mais une des personnes présentes a particulièrement marqué la soirée et, donnant enfin une raison d’être à la mauvaise réputation que certains cherchent à tout prix à nous coller… nous nous sommes retrouvés à devoir la dégager du lieu et à l’inciter fermement à ne plus jamais revenir. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous écrivons ces quelques lignes, ainsi que pour prévenir les camarades et compagnons qu’ils peuvent, comme nous, se retrouver face à un antisémite fier de l’être qui n’assume cette position qu’après des heures de discussion durant laquelle il se garde bien de faire part de ses obsessions, même si ce qu’il exprime n’est pas si anodin.

Avant que la discussion prévue ne débute, la dite personne commence à nous demander si on ne pense pas qu’on peut renverser l’État depuis l’intérieur des institutions. Face à son insistance sur ce sujet et à ses questions étrangement intrusives pour faire parler les personnes présentes, nous essayons d’en savoir un peu plus, au moins de quel genre de collectif il vient, ou s’il a participé à des luttes… Tout ça reste vain et il reste très évasif, oscillant entre celui qui ne connaît rien (« je débute », « Vous devez mieux savoir que moi »…) et celui qui est au courant de tout (« je sais bien ce qu’est ce lieu, il y a eu des embrouilles, que dis-je, des échauffourées »). A « échauffourées », notre détecteur à keuf se déclenche (si si, celui qu’on planque sous les canapés). A part ça, la discussion est vivante, il y a quelques désaccords, principalement entre lui et le reste de l’assemblée. Il passe par ailleurs le plus clair de la discussion à essayer de nous faire parler sans jamais trop se prononcer, le détecteur est donc tentée de rabattre son aiguille sur la partie journaflic-préparant-un-dossier-sur-l’ultra-gauche de son cadran. Et il commence à dire des choses de plus en plus fumeuses, de plus en plus déplaisantes, comme l’affirmation de l’existence d’un « ordre racial de la suprématie blanche chez Macron », qu’il faudrait combattre par la discrimination positive. Il est rapidement un peu piteux et à cours d’arguments.

Subitement, il se lève et se rapproche de la porte, en disant que, de toutes façons, on n’est pas d’accord. On continue à discuter, en essayant de creuser un peu pour comprendre ce qu’il pense, car tout ça ne nous semble pas bien clair. On sent aussi qu’il a quelque chose au bord des lèvres, et ça n’a pas l’air d’être « Ni dieu, ni maître ». Sur le pas de la porte, il craque, redevient fier pour nous dire qu’il est « bouteldjiste ». On lui fait alors remarquer qu’il aurait pu nous le dire avant, que ça ressemble drôlement à une espèce de piège. On lui demande s’il ne trouve pas que Les Blancs, les Juifs et nous est un livre un peu antisémite quand même… Il ne répond pas… Fait la moue… Et nous dit : « Je sais pas, en même temps, je me pose des questions… Par rapport à la judéophobie d’État… » puis il se reprend « Euh judéophilie d’État, tout ça ». Et c’est là qu’il prononcera avec un sourire triomphant insupportable cette phrase qui lui fera regagner une certaine confiance en lui en contraste avec son attitude pendant les 3 heures précédentes : « Ouais, je pense qu’il y a un problème avec les juifs ». Nous l’avons donc fait partir.

 

Voilà, la rumeur était donc vraie : nous, bibliothèque des Fleurs Arctiques, avons viré quelqu’un en lui disant de ne plus revenir parce qu’il n’était pas d’accord avec nous. En l’occurrence, il s’agissait d’un antisémite.

Nique les racistes.

Démontage judiciaire : le procès de Marinus Van der Lubbe pour l’incendie du Reichstag

Vendredi 10 décembre à 19h

 

Saboter la machine judiciaire implique de comprendre comment fonctionnent ses rouages quand elle s’exerce, comment elle peaufine ses engrenages pour mieux nous broyer. Alors il nous a semblé pertinent de proposer des occasions de pratiquer ensemble des démontages, en se donnant le loisir d’accorder collectivement toute notre attention à des déconstructions aussi méticuleuses que possible d’affaires judiciaires précises, passées ou actuelles, pour mieux se préparer à affronter la justice et la répression quand nous nous retrouvons contraint de le faire. Chaque affaire est singulière, et toutes ou presque pourront nous intéresser, qu’elles aient défrayé la chronique, marqué l’Histoire ou qu’elles participent d’un fonctionnement quotidien d’une justice toujours trop près de la vie de tout un chacun, et on espère que comprendre ces affaires spécifiques nous permettra d’en savoir plus sur le fonctionnement de l’ensemble du dispositif, et de trouver comment s’y opposer. Concrètement, on propose un rendez- vous régulier et public (une fois par programme) pour plonger ensemble dans une affaire choisie préalablement selon les propositions ou occasions, et sur laquelle ceux et celles qui voudront le faire se seront penché en amont, à partir des documents et informations qu’on peut réunir selon les cas, pour restituer aux autres à la fois la construction de l’accusation et la stratégie de défense choisie ainsi que la manière dont elle s’est élaborée. On pourra ensuite tous discuter à partir de ces éléments, en s’inspirant des formes de prises en charge collective des défenses qui se sont développées dans les suites de mai 68, par exemple, mais sous une forme « désactualisée », hors des enjeux immédiats d’une défense réelle en cours. Pas besoin de connaissances spécifiques préalables, bien sûr, pour participer, d’autant plus que le point de vue que nous choisirons d’adopter c’est celui de tous ceux et touts celles qui peuvent se retrouver face aux tribunaux et qui ne sont pas prêts à laisser la machine judiciaire les broyer, et pas celui des spécialistes ou relais de la justice auquel trop souvent le champ libre est laissé, parce que tout est fait pour nous conduire à le leur abandonner. Il s’agirait donc au contraire de s’habituer à ne plus déserter le champ de l’élaboration collective, et de chercher à donner un sens concret à la notion de défense collective ».

Pour la première de ces séances qui aura lieu le vendredi 10 décembre, on a choisi de se pencher sur le procès de Marinus Van der Lubbe, militant conseilliste condamné à mort pour « incendie criminel couplé à une tentative de renverser le gouvernement » pour avoir incendié le Reichstag à Berlin la nuit du 27 au 28 février 1933, juste après la nomination d’Hitler à la chancellerie. En plus d’une étude de l’affaire elle- même (dans laquelle ses 4 co-inculpés, tous militants du Parti communiste, ont été relaxés), c’est la place historique qui a été donnée à ce procès au fil du temps et des enjeux politiques, et la manière dont il a été relu, parfois jusqu’à la manipulation, par l’Etat nazi d’abord mais aussi par les démocraties de l’après-guerre et par le Parti communiste, les uns cherchant à le réduire à un coup de folie ou à accréditer la thèse d’un complot des nazis eux-mêmes. Nous chercherons donc à comprendre comment la « vérité judiciaire » s’est construite et comment elle a été déformée et transformée au gré des besoins politiques et idéologiques des uns ou des autres, toujours dans la perspective de vider l’acte de son sens et de sa portée subversive.

 

Bibliographie indicative ayant servi à préparer cette discussion  :

Comprendre le nazisme, Johann Chapoutot, Editions Tallandier, 2018. Chapitre 5 : « L’échec des divisions blindées du droit. Les procès politiques du nazisme, Leipzig 1933, Berlin 1944 ».

Marinus van der Lubbe, Carnets de route de l’incendiaire du Reichstag, C. Reeve et Y. Pagès dir., ed. Verticales/Le Seuil (Paris), mars 2003

Marinus van der Lubbe et l’incendie du Reichstag, Nico Jassies, ed. Antisociales (Paris), novembre 2004, trad du néerlndais (1999)

Lettre de Prudhommeaux à Rüdiger du 10 novembre 1959, in Nico Jassies, Marinus van der Lubbe et l’incendie du Reichstag, ed. Antisociales (Paris), novembre 2004, p. 157

Marinus van der Lubbe, prolétaire ou provocateur ? brochure-manifeste du Comité hollandais pour la défense et la réhabilitation de M. Van der Lubbe, ed. du Semeur (Falaise), octobre 1933

27 février 1933 : le Reichstag brûle ! L’acte individuel de Marinus Van der Lubbe, février 2019 – https://rebellyon.info/27-fevrier-1933-le-Reichstag-brule-L-acte-15451

Ces sourds qui ne veulent pas entendre

S. Massiah et A. Del Rey – 2012
France – 52’

Mardi 23 novembre 19h

Ce film documentaire, sorti en 2012, traite de la question des implants cochléaires. Réalisé par un collectif de sourds et d’entendants, il propose un autre regard que celui du corps médical sur cette technologie, apparue dans les années 80 aux États-Unis, promettant de « réparer » les sourds, leur redonnant l’ouïe. Depuis quelques années, des thérapies géniques prétendent pouvoir reconstituer l’audition pour certaines formes surdités. Tout problème doit pouvoir trouver une solution dans la technologie, et si une technologie existe pour le « résoudre », alors elle doit être utilisée. On n’arrête pas le progrès ! Sauf que. Sauf qu’être sourd, ce n’est pas simplement une condition auditive, c’est aussi, dans certains cas, une langue, la langue des signes. Sauf que chercher à «réparer» les sourds pour les rendre entendant est toujours un point de vue normatif qui considère qu’il vaut mieux ne pas vivre que de vivre sourd, surtout si l’on ne parle pas. Sauf qu’il y a beaucoup de personnes pour qui ces implants ne fonctionnent pas. Sauf que même quand on apprend à oraliser, à entendre avec des implants, on ne devient pas pour autant entendant. Sauf que des sourds s’y opposent et défendent l’accès à la langue des signes dans l’éducation des enfants sourds.

Les sourds, depuis l’émergence de la LSF (langue des signes française), au 18ème siècle, ont connu l’interdiction de leur langue (considérée comme incapable d’exprimer les subtilités de la pensée) suite au congrès de Milan en 1880 opposant les gestualistes et les oralistes. Ce n’est que depuis les années 1970-80 que des sourds se revendiquent Sourds. L’approche cherchant à faire disparaître la langue et la culture héritée d’un rapport essentiellement visuel au monde, n’est donc pas nouvelle. Seulement, si avant c’était davantage par l’éducation et la rééducation pour apprendre à parler, (aussi parce que «au début était le verbe», pas le signe pour les religieux), ce qui a traumatisé de nombreux sourds, interdits d’utiliser leur langue à l’école, c’est aujourd’hui d’avantage par une médicalisation de l’oreille que la société pense rendre ces sourds intégrable au monde (du travail bien sûr).

Venez donc le 23 novembre à 19h pour réfléchir ensemble à cette question, et plus largement au mythe du Progrès, au pouvoir de la religion et de la science sur les corps, et à toutes les questions qui émergeront après ce documentaire.

Norme et révolution

Vendredi 3 décembre 19h

 

Avec le mouvement de mai 68 s’est développée de manière diffuse dans les luttes et dans les milieux universitaires une critique de la norme suivie d’une analyse des marges, des exclus, des laissés-pour-compte de la société. L’idée posée par cette critique est que le marginal est subversif et qu’il ouvrirait en se mettant en lutte une faille dans la norme et par extension dans la société, et que c’est dans cette faille que nous pourrions nous engouffrer pour la remettre en question, la réformer ou la détruire, suivant les perspectives. Ainsi le genre, la famille, le travail, l’identité, autant de catégories et de concepts normatifs piliers de la société, se sont vus mis à mal par ces révoltes, en pratique et en théorie, et, en opposition, les tendances réactionnaires de ce monde tentent toujours de réhabiliter, de défendre et d’asseoir ces normes. Ont suivis au mouvement des chômeurs, les luttes contre les CRA (Centre de Rétention Administratif, c’est-à-dire les prisons pour sans-papiers) et bien d’autres, que nous pouvons peut-être lire aujourd’hui comme symptomatiques de cet héritage de mai 68, qui est aussi venu briser les habituels standards militants, partisans et syndicaux, rigides, classiques et mortifères et permettre l’ouverture de différents champs de luttes. Mais cette critique vivifiante de la norme soulève par ailleurs d’autres questions quand le mouvement global de la critique libertaire se tourne vers l’abandon des perspectives révolutionnaires de destruction concrète de l’Etat et du Capital. En effet cette critique de la norme a pu, au fil du temps et dans un mouvement étrange de la pensée, se substituer à l’élaboration d’une perspective large et radicale en concentrant les efforts politiques sur des questions toujours plus auto-centrées, toujours plus axées sur les relations interpersonnelles et les formes de dominations qui peuvent s’y trouver, toujours moins larges. La critique de l’Etat et la volonté collective de le détruire se voient effacées sous celle de la part d’Etat que l’on trouverais en chacun de nous, et ainsi la révolution est reléguée au rang des totalitarismes défaits par l’Histoire en même temps que l’URSS, et les perspectives ne peuvent alors plus se concevoir avec ambition. Cette focalisation de la question de la norme peut également amener la cristallisation de toutes les questions et de toutes les pratiques autour d’elle, accompagnant le développement des idées bien démocrates de contre-norme, de contre-culture, de contre-pouvoir (citoyen, partisan et militant). Tout ceci pourrait être désigné comme la « post-modernité ». La critique de celle-ci et de la pensée de la norme qu’elle porte tombe bien souvent dans des critiques complètement réactionnaires, et ce de deux manières. Soit lorsque cette critique est formulée par certains courants de la droite et l’extrême droite, soit lorsqu’elle est faite par des révolutionnaires qui veulent faire table rase de cette critique de la norme et du caractère subversif qu’elle peut avoir. Ce refus de la subversion chez certains révolutionnaires critiques de cette notion, en plus de faire l’impasse sur ce que peut avoir de révolutionnaire la subversion liée de la norme, retombent de fait dans des conceptions de la Révolution d’avant 68, comme si tout ce qui avait été pensé à ce moment-là était à jeter puisqu’il a engendré cette post-modernité qui abandonne la Révolution. Puisque se pose alors le besoin de critiquer cet abandon des perspectives révolutionnaires au profit de l’obsession totale pour la question de la norme, il nous faut veiller également à ne pas voir cette critique retomber dans un classicisme réactionnaire qui nous mènerait à une impasse historique, à la défense du non-marginal, du non-subversif, et pour finir du normatif. Pour participer ensemble à cet important débat d’époque qui est la place des perspectives révolutionnaires dans les luttes, pour faire exister nos contradictions si précieuses, pour questionner les formes que peut prendre cet héritage de mai 68, pour critiquer le progrès et la réaction, pour critiquer la Norme, l’Etat et le capitalisme (et peut-être pour certains.. la Révolution) retrouvons nous le 3 décembre aux Fleurs Arctiques.

Sound Of Noise

Ola Simonsson et Johannes Stjärne Nilsson – 2010
VOSTF (Suède) – 102’

Mardi 7 décembre 19h

On n’est pas là pour jouer de la flûte.

Deux percussionnistes décident de rassembler une équipe de musiciens pour mettre à exécution un projet d’attentat musical en utilisant la ville comme instrument, et en semant le désordre là où ils passent. Le policier chargé de l’affaire, quant à lui allergique à la musique, est déterminé à retrouver ce groupe, et ainsi le silence. Sound of Noise cherche les limites de la musique, transforme tout en instrument potentiel, et en profite pour subvertir par l’art ce qui se trouve sur son chemin.
Ce film continue la réflexion sur les liens entre art et révolution initiée avec la projection de Cecil B. Demented.

Selfie, avoir 16 ans à Naples

Agostino Ferrente – 2019
VOSTF (Italie) – 77’

Mardi 14 décembre 19h

Un jeune de 16 ans est tué sous les balles de la police, dans le quartier de Traiano à Naples, en Italie, sous le contrôle des flics et de la mafia, la Camorra. Deux ans après, un réalisateur cherche à rencontrer des jeunes qui l’ont connu. Le film documentaire alterne entre deux parties. D’une part des entretiens avec une dizaine de jeunes du quartier de Traiano, filmé par le réalisateur, où l’on sent son regard très extérieur à leur monde. D’autre part, des images tournées par deux de ces jeunes pendant une année. En effet, il propose à deux d’entre eux, Alessandro et Pietro, de faire un film. Pendant un an, ces deux meilleurs amis se filment régulièrement eux-mêmes, parlent de leurs vies, de leurs angoisses, de leurs corps, de leur amitié, de leurs rêves. Ils parlent aussi de leur film, de ce qu’ils veulent ou pas y montrer. Ils filment leur quotidien fait d’ennui et de travail dans un monde qui semble figé, condamné.

« A bas le Grand Soir, vive la révolution ! »

Vendredi 17 décembre à 19h

 

Quand déconstruirons-nous le léninisme diffus qui s’insinue jusque dans les discours et pratiques anti autoritaires ?

Après l’effondrement du bloc de l’est, un courant de pensée anti-totalitaire s’est affirmé et reconfiguré, poursuivant par certains aspects les critiques émancipatrices du militantisme et de la forme Parti en cours depuis les années 60, mais infusant aussi l’idéologie dominante en se diffusant plus largement et en s’hybridant avec un désaveu de toute perspective révolutionnaire carrément droitière, héritière de la guerre froide. Ce courant de pensée s’est notamment incarné dans ce que l’on a appelé les « nouveaux philosophes », composé d’anciens soixante-huitard conquis à la défense de la social-démocratie. La peur de la Révolution et de la transformation radicale que cette dernière implique a alors pris largement le pas sur l’idée d’en finir avec ce monde. Aujourd’hui le terme de « Révolution » n’est plus très en vogue, voire même un peu cringe, les derniers à l’employer sont certains anti-autoritaires, et les reliquats (ou tristes résurgences) des différents communistes de parti (trotskistes ou staliniens) qui n’ont apparemment pas encore été étouffés sous leurs propres magouilles et ambitions autoritaires. Ce « dégoût » (qui va parfois jusqu’au refus) des perspectives révolutionnaires dans les aires subversives et anti-autoritaires consonne harmonieusement avec un certain nihilisme libéral ambiant caractéristique de cette époque post-moderne. Ce qui est appelé nihilisme ici, c’est précisément la fin des « grandes hypothèses », la défiance vis-à-vis des perspectives larges, comme celle de la Révolution (et effectivement, l’horizon du « Grand Soir » repoussé à plus tard s’est incarné en injonction d’acceptation de l’existant), mais cette défiance semble aujourd’hui emporter avec elle toute perspective d’émancipation collective, voire l’horizon relativement minimal de la destruction de toute forme de pouvoir. Ce qu’il reste, ce sont des pratiques, qui se réduisent hélas bien souvent à du folklore, mais la promesse de la fin de ce monde semble se tarir. Ce qui va être alors opposé à la Révolution par les anti-autoritaires, c’est « l’insurrection », la « révolte » ou même…rien (le développement personnel). Ce qui peut étonner dans cet état de fait, ce n’est pas la place donnée à ces deux notions, qui, comme l’émeute, n’ont objectivement rien de contradictoire avec la Révolution, bien au contraire, c’est plutôt le fait de les utiliser pour conjurer toute perspective révolutionnaire. On peu peut-être même dire qu’il faudrait se méfier de ceux qui utiliseraient l’un de ces trois termes contre les deux autres (par exemple révolution contre révolte et insurrection). Ce discours, en plus de contribuer à l’enfouissement de l’horizon révolutionnaire et à favoriser un repli sur soi, est d’autant plus inquiétant qu’il ne permet pas la curiosité, le rattachement à l’histoire des révolutionnaires et éloigne radicalement la possibilité de comprendre les enjeux qui ont agité communistes et anarchistes, les luttes dans lesquels ils se sont engagés (comme par exemple contre ceux qui voulaient prendre le pouvoir dans et grâce à la Révolution, comme dans toutes les phases révolutionnaires, en Russie en 1917, en 68 et après). Pire encore, cela entérine de fait la conception de la Révolution sous le prisme du Parti. La Révolution serait autoritaire, elle serait forcément viciée, sa réussite la vouerait à l’échec, à la prise du pouvoir d’un petit nombre sur les acteurs de celle-ci, elle serait intrinsèquement vouée à l’autoritarisme et au « léninisme ».
Cette situation déjà problématique se complique d’un paradoxe : ce refus de la Révolution au profit de l’insurrection ou du néant n’évacue pas des pratiques qu’on pourrait qualifier de léniniste, parfois même au contraire l’autoritarisme des pratiques à le champs libre pour prendre le dessus, y compris dans les aires qui justement refusent la Révolution au nom de l’anti-autoritarisme, ça fait chic. Comme souvent l’idéologie rend aveugle et loin de lutter contre des tendances réelles, les laisse perdurer et s’installer dans le confort du déni. Même si le léninisme en tant que référence positive n’est plus dans les lèvres de grand monde (quoiqu’on commence à le revoir surgir comme position politique assumée, dans quelques groupuscules néo-maoïstes et sur un site comme ACTA par exemple) ces pratiques n’ont pour autant pas disparu, et des camarades, des compagnons et autres « subversifs » se retrouvent dans des positions de pouvoir, à donner des directives, à décider de qui est à sa place et de qui ne l’est pas, à brider les tentatives subversive qui ne seraient pas validées par la ligne politique en reconstituant, en toute informalité, des hiérarchies pyramidales imaginaires voire même en reconstituant de véritables bureaux politiques, parfois sans même s’en rendre compte. L’absence de tensions révolutionnaire ne créerait-elle pas le terreau favorable à l’émergence de ce néo-léninisme diffus permettant toutes sortes de prises de pouvoir formelles et informelles ?
Qu’est-ce qui finalement fait le léninisme, un discours, des pratiques ou les deux ? Est-ce que c’est un concept dépassé, lié à un révolutionnaire du début du XXème siècle ou bien au contraire le léninisme ne désignerait-il pas plutôt un arsenal de pratiques, théorisées par Lénine ou par d’autres, qui correspondent plus largement à une tendance tenace à mettre à profit les rapports de pouvoir si facilement présent dès lors qu’on se relie à d’autres pour intervenir (et même dans la perspective de l’insurrection pensée comme conjuration de la Révolution) ? L’insurrection serait-elle le remède miracle à toute avant-garde, promettant une spontanéité sans dieux ni maîtres ? Qu’en est-il dans ce cas du blanquisme et de l’exemple plus récent de l’appellisme ? Pourquoi l’insurrection serait-elle exempte de toute volonté de contrôle, de gestion ? Une visée révolutionnaire conséquente ne consisterait-elle pas justement à s’attacher à démonter les pratiques léninistes qui se construisent au sein des luttes pour prendre la tête de la Révolution ? C’est à toutes ces questions que nous vous invitons à réfléchir et à discuter le 17 décembre à la bibliothèque des Fleurs Arctiques.