Samedi 9 novembre 19h
« Il n’y aura pas d’insoumis, au sens pénal du terme, il n’y aura que des jeunes ayant échoué – à un moment de leur trajectoire – à comprendre le plein sens des valeurs d’égalité et de fraternité, passagers clandestins d’une société à l’amélioration et à la générosité de laquelle ils apparaitront comme ayant renoncé. »
Le Service National Universel, SNU, arrive bientôt dans la réalité de notre quotidien. Aujourd’hui plus que jamais, les pubs pour l’armée sous ses diverses formes poussent sur les abribus, sur les panneaux publicitaires, et dans les « salons de l’étudiant », l’armée est présentée comme une solution au désœuvrement et à l’échec scolaire, un environnement sain où l’on va pouvoir prouver sa valeur à soi et à la société tout en faisant le Bien. Une propagande éculée est vomie à nouveau dans une sauce modernisée, avec inclusivité et anti-racisme (sur les affiches seulement, on imagine…) pour les besoins du moment. Et plus le temps passe, plus l’armée devient à nouveau normale, acceptable, voire potentiellement désirable, elle qui, depuis les années 90, avait fini par perdre globalement son aura auprès de tout un chacun, processus finalement clôt avec la fin du service militaire obligatoire. Le bidasse viril se traînant dans la boue ne faisait plus recette. Et voilà que le processus inverse se déroule sous nos yeux, favorisé par les aspirations médiatiquement manufacturées au repli patriotique et protectionniste post-attentats, il prend forme avec une rapidité déroutante, en même temps que se développe par tous les bouts du champ politique institutionnel le recours aux valeurs moisies du populisme et du nationalisme que personne ne peut considérer de nos jours (si ça a jamais été le cas) comme « des idées de droite ».
Ce retour en force prétend pourtant à la nouveauté : ce « projet de société », comme l’appelle l’Etat, se propose comme un « compromis », un parfait équilibre atteint entre la précédente et relativement insignifiante Journée d’Appel (qui, avec les cours d’éducation civique, a quand même maintenue la place de l’armée dans nos vies, avec cet égalitarisme formidable qui l’a généralisée à toute la population) et le bon vieux service militaire. Au menu de la caserne 2.0, on apprendra dès l’adolescence la cohésion de groupe, l’union nationale, le respect de la patrie, de ses symboles, à être éco-responsable et, bien sûr, le souci partagé de la défense de la nation.
Ce serait une énorme erreur que de ne pas se préoccuper de cette question au plus vite. Les textes de lois sont prêts, votés, des batteries de tests on été effectués sur environ 2000 volontaires de toute la France. Dans les textes, on hésite encore sur la durée, un mois, deux semaines, on s’interroge sur la législation précise, mais une chose est sûre : le service militaire 2.0 passera, dusse-t-il être revu en cours de route ; et quelle que soit sa durée, ça commencera à la fin du collège et chacun sera fortement incité à « l’engagement civique » auprès de l’armée pour la vie.
Si sa durée reste pour l’instant bien inférieure à celle de l’ancien service, le projet du SNU prend des proportions très inquiétantes et le présente comme une institution sociale très centrale qui deviendrait un passage obligé et nécessaire en lien étroit avec la scolarité et pourrait devenir aussi une étape dans l’obtention du permis de conduire. En effet, le lien entre école, nation et forces répressives (police, justice et maintenant armée) ne fait que se renforcer un peu plus, poursuivant le fil réactionnaire des vertus « éducatives » du vieux service militaire : l’école prépare à la citoyenneté, de plus en plus ouvertement liée à l’armée, et à l’Ordre plus généralement. Le SNU s’inscrit dans une continuité avec l’école où le petit citoyen en devenir intègrera la nécessité militaire. D’ailleurs c’est au SNU que sera probablement confié la tâche de contrôler l’acquisition du « socle commun de connaissances » post-brevet.
Quelle que soit sa potentielle forme définitive, le SNU, c’est aussi un élément dans cette fascination nouvelle et sidérante pour l’armée, la nation, la France, le résultat du matraquage idéologique post-attentat qui curieusement, et de façon désolante, a l’air de marcher beaucoup plus que ce qu’on aurait pu imaginer. C’est le moment ou jamais de renouveler la critique du sale discours de la France-défenseuse-des-valeurs-occidentales et dernier-rempart-contre-la-barbarie.
Alors pourquoi ce projet rencontre-t-il si peu d’opposition ?
L’histoire anti-militariste, celle des désertions, du refus de l’armée et de la guerre, l’importance qu’a pu avoir le mouvement de l’insoumission contre le service militaire dans les années 70 n’est pourtant pas si ancienne ; l’armée, ses guerres ainsi que les formes offensives et subversives de pacifisme et de refus qui s’y sont opposé sont encore bien fraîches dans les mémoires.
Il est indispensable d’agir contre le SNU, contre l’armée, contre la nation.
Être offensif contre ce projet, contre l’Etat qui joue ici un gros coup sur la bataille de la normalisation, est nécessaire, si nous prétendons nous battre contre ce monde, contre l’Etat et le pouvoir. D’ailleurs ne pourrait-on pas voir aussi le SNU comme un des éléments d’une batterie de mesures stratégiques et contrinsurrectionnelle en réponse au mouvement des Gilets Jaunes ?
On ne propose pas ici de réactiver des initiatives vaines et para-humanitaires du passé comme « food not bomb », ni de critiquer le SNU avec la nostalgie réformiste de la journée d’appel, mais de réfléchir ensemble aux moyens à notre disposition pour lutter, aujourd’hui, contre l’armée, la cohésion nationale et la patrie, et cette forme particulière de propagande qui cherche à s’immiscer dans la vie de tout un chacun, dans une perspective réellement anti-autoritaire et révolutionnaire.
Parce que « voir du pays » ne peut pas nous faire accepter l’armée, on pourra réfléchir ensemble le 9 novembre au SNU, commencer à en déjouer la propagande, à en comprendre les enjeux d’Etat dans l’époque actuelle dans la perspective d’en détruire les fondements et les présupposés.