Discussion co-organisée avec des participants au site Aux Enfermés du confinement
Lundi 14 décembre à 19h
Maintenant qu’on ne peut plus denier que la gestion de la crise sanitaire ne s’arrête pas au confinement, il nous faudra réfléchir avec un peu plus de recul la question du tri des vies tel qu’il s’opère dans le contexte de la pandémie mais également au-delà. Alors qu’il s’agit de nous « habituer à la surmortalité » en continuant une vie « normale » (confinement, métro, travail, école) tout en évitant de saturer complètement les hôpitaux, la froideur clinique gestionnaire est manifeste face à un virus qui s’attaque tout particulièrement aux pans les moins productifs de la société (les personnes âgées et ceux et celles qui se retrouvent enfermés dans des espaces où les mesures de protection sont plus compliquées à appliquer comme les prisons, les bidonvilles, les CRA, etc…). On se demandera donc comment et par qui la valeur des vies est hiérarchisée.
On a vu fleurir dès le début des différentes gestions sanitaires de la pandémie de covid à l’échelle internationale maints raisonnements parfaitement cyniques calculant le prix et la valeur des « vies humaines » selon des critères comme l’âge, la co-morbidité, l’état de santé, le profil économique, etc, à travers des éditos et des articles de presse, mais aussi comme raisonnements sous-jacents à des circulaires et consignes des ARS ou du ministère de la santé en France, faisant passer des mesures comme la fin temporaire du déplacement du SAMU dans les EHPAD, ou le maintien coûte que coûte des patients des établissements médico-sociaux hors des hôpitaux publics. A donc été publiquement assumée une normalité du « tri des vies », de la sélection et de la priorisation des soins, qui, en effet, a bel et bien lieu à travers les différentes formes de gestion de crise, jusqu’aux situations critiques de l’accès en urgence aux salles de réanimation dans les hôpitaux, refusé à des personnes jugées moins « prioritaires ». Si cette pratique existait déjà avant, le fait qu’elle puisse à ce point apparaître comme normale et justifiée par la « crise sanitaire », à un point où il est visible que tout un chacun n’est pour l’État qu’une matière première à traiter selon les impératifs du maintien du monde sur ses bases capitalistes, nous invite à prendre le temps de réfléchir à ce qui nous semble être un moment de l’histoire où de nombreux verrous sautent irrépressiblement dans les consciences démocrates du vieux monde. Pourtant, il peut être intéressant de réfléchir aux différentes formes qu’a pu prendre le « tri des vies » dans l’histoire, jusque dans ses applications gestionnaires extrêmes que peuvent être l’eugénisme, l’exclusion, voire la mise à mort, que celle-ci soit programmée ou non, tout en pensant la spécificité des formes actuelles de « tri ». Aux Fleurs Arctiques, nous réfléchissons justement depuis un certain temps à l’hypothèse d’un nouveau paradigme de gestion en train de se mettre en place, qui pourrait aider à comprendre le « tri des vies », celui de la « société assurancielle ». Cette hypothèse pourrait être approfondie à l’occasion de cette discussion. En effet, la « société assurancielle », c’est l’hypothèse d’une gestion se faisant par anticipation et prédiction des risques, en agissant dans le but de se prémunir a priori contre tout ce qui pourrait aller à l’encontre du développement du capital et de l’Etat. C’est « s’assurer » en gérant. Or, ce rapport au temps qui vise à assurer l’avenir, se retrouve justement à déterminer des choix de soin et de traitements, de rapports à la vie et à la mort, en faisant passer le maintien en bonne santé, le « capital santé », avant la préoccupation de la maladie. Nous proposons d’avoir le numéro 6 des « Feuilles Antarctiques » consacré à la société assurancielle comme base de la discussion, afin de poursuivre et d’approfondir cette réflexion avec tous ceux que cela intéresse.