Du pain et des jeux ? Discussion critique du sport

Samedi 27 avril 18h

Les Jeux Olympiques de Paris approchent et avec ceux-ci, une offensive sécuritaire de grande ampleur : elle concerne les chômeurs (que l’on veut repousser vers l’emploi avec des contrôles de plus en plus durs, une mise en avant harcelante des métiers de la sécurité dont les formations sont quasiment les seules financées par la nouvelle instance de réemploi massif France travail) ; l’aménagement urbain, qui se dote de milliers de nouvelles caméras dont certaines utilisant la reconnaissance faciale ; et bien entendu toutes les personnes, dont beaucoup de sans-papiers sacrifiés au travail dans la construction des infrastructures nécessaires à la réalisation de ce projet d’union nationale. C’est un événement sportif où s’exprimera comme à tous les grands évènements de ce type un chauvinisme qui grandit inlassablement ces dernières années, dans un contexte de montée des tensions diplomatiques entre États (notamment des suites de la guerre en Ukraine).

La pratique du sport a explosé ces dernières années. On le retrouve partout, sur Internet, dans les affiches de pubs, à la télé, à l’école, en bas de chez soi dans les salles de sport qui ouvrent un peu partout, au taff, bref le sport semble conquérir l’espace public et cette conquête va avec la diffusion de la morale, des valeurs sportives intrinsèquement corrélées à celles du capitalisme.
Les pratiques physiques sous forme de jeu collectif prennent leurs origines dans la nuit des temps, mais depuis le XIXème siècle et la révolution industrielle, ces pratiques ont pris une dimension compétitive et concurrentielle où la performance et l’entretien du corps sain deviennent le centre de l’intérêt de la pratique et du jeu. On a appelé cette pratique le sport (le terme « sport » apparaît dans l’usage au XIXe siècle). Celle-ci s’accompagne d’une morale, d’un « esprit sportif », des « valeurs » dans lesquelles on trouve la discipline, la performance, le respect, la compétition, autant de « valeurs » qui s’accommodent parfaitement avec ce que le dieu-économie et l’État attendent de ceux qu’il sacrifient. Le sport sert de lieu de renforcement des stéréotypes sexistes et la panique morale récente autour de la place des athlètes trans ou intersexe montre que le sport est encore construit sur cette séparation, alimentée aussi, dans son versant vidéoludique : l’esport. Lors du XIXème racialiste, des JO nazis de 36, ou encore des combats de boxe lors de la ségrégation américaine la compétition sert également un discours raciste où se révélerait, dans la compétition la supériorité raciale blanche/aryenne. Le sport, ce sont aussi des belles histoires, des réussites individuelles et collectives qui prolongent le mythe du « self made man » au domaine physique et pas seulement entrepreneurial, c’est la mise à profit du corps des athlètes et de leurs performances par le capitalisme. L’exemple le plus marquant de ces dernières années étant probablement Michael Jordan, modèle par excellence de la réussite aux conditions de ce monde, dans le sport et dans l’entreprise.
Même si le sport a connu une place importante dès le XIXe siècle et encore plus au XXème siècle, il est flagrant que ces dernières années ce dernier prend une place centrale dans la gestion des corps sous le capitalisme, notamment par le biais du “bien être”. Socialement on le valorise, au travail, chez le médecin, dans les CV, à l’école, « faire du sport » est devenu une activité normale et valorisée comme on valorise le fait de ne pas boire ou de ne pas fumer, car l’adage antique « un esprit sain dans un corps sain » est passé de slogan publicitaire à norme sociale. La pratique sportive de haut niveau exerce d’ailleurs un contrôle de plus en plus strict sur les « excès » des sportifs afin de rentabiliser et maximiser les performances de leurs corps afin d’offrir un spectacle de performance toujours plus croissant. La figure du sportif est finalement celle d’un Stakhanov moderne, et les sportifs ne sont pas à blâmer plus que ceux qui les regardent.
Le développement du sport et sa diffusion de plus en plus large avec des salles ouvertes 24/7 pour permettre à tout le monde durant sa pause midi de pousser de la fonte pour oublier la dureté de son labeur va avec la restructuration du travail qui s’effectue depuis ces vingts dernières années. La prise en compte des « biens êtres » des travailleurs, de leur santé physique et mentale par leurs employeurs n’a que pour but de nous faire mieux accepter et digérer la soupe rance qu’ils nous font bouffer toute la journée. Le sport est un pacificateur social, de la prison aux banlieues post-émeutes, il est utilisé par le pouvoir comme moyen de canalisation de la rage et comme une imposition à chacun du devoir de se gérer comme un petit capital à maintenir en bonne santé pour rester productif. Mangez bougez, comme ça vous ne serez pas en arrêt maladie et continuerez à alimenter la machine économique…
Peut-on réellement aujourd’hui distinguer le sport de l’activité physique ? Existe-t-il une pratique sportive dénuée de toute la morale qui pétrit le sport ? Faut-il faire exister un sport non-compétitif ? La question que nous souhaiterions donc ouvrir avec cette discussion est comment s’attaquer au sport, à ses valeurs qui sont celles de ce monde que nous souhaitons voir disparaître.

La Zone d’intérêt

Mardi 7 mai 19h30

Jonathan Glazer, 2023, 105’

Le film suit la famille du commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, qui mène une vie idyllique juste à côté du camp. Bien que le camp lui-même reste invisible, ses horreurs résonnent de façon continuelle à travers les bruits constants : des cris d’agonie, des ordres implacables et des exécutions brutales. Derrière les murs épais et les belles fleurs de leur maison familiale, le camp reste dissimulé. Nous observons cette famille sans aucune attache envers eux. Le commandant gère le camp comme une entreprise, obsédé par la rentabilité à fournir dans la mort tandis que sa femme aspire seulement à garder une belle maison. Le film, heureusement sans doute, ne cherche pas à mettre en scène une « complexité de l’histoire » avec une empathie pour les enjeux de vie familiale des nazis, le sujet est hors-champ.
Cette représentation de l’horreur soulève des questions importantes, qui ont déjà été discutés au sein de la bibliothèque : comment se constitue la mémoire de l’extermination des juifs lors de la seconde guerre mondiale, ou des autres génocides ? Faut-il montrer l’horreur ? Comment un film de fiction peut-il traiter d’une réalité aussi dure ? Peut-on même réussir à capturer à l’écran toute son atrocité ? Le rapport entre image et génocide a une longue histoire : l’image de propagande, l’image volée aux bourreaux comme résistance, l’image documentaire, l’image d’archive, l’image du témoignage, l’image cherchée, l’image qui ne suffit jamais, l’image oubliée. La discussion après le film permettra de nourrir ces discussions.

Discussion sur les radios militantes

Vendredi 10 mai 19h30

« La radio d’intervention n’est pas un but en soi, elle n’est qu’un moyen, un instrument parmi d’autres qui peut aider un processus à se développer, mais en aucun cas n’est capable à lui tout seul de le faire naître. La radio d’intervention est par principe éphémère, même si parfois le provisoire peut se prolonger, mais elle ne doit en aucun cas s’envisager comme permanente. La radio d’intervention se doit surtout d’intervenir… avant d’essayer d’être radiophonique. »
Extrait d’un texte de 1978, 1979 présenté dans la liasse 3 des Archives Getaway (Ecoutez la vraie différence, Radio Verte Fessenheim, Radio SOS Emploi Longwy et les autres…, Claude Collin, 1979, La pensée sauvage, pp. 113-118.)
L’outil de la prise de parole par la radio, sur les ondes, ou maintenant sur le web, fait partie des moyens d’intervention dans les luttes depuis le XXème siècle. On peut même dire que l’enjeu de l’utilisation de la radio a lui-même fait lutte à un moment de volonté de monopole étatique des ondes. Il a existé un mouvement de radios libres, en France, en Italie par exemple, et nombreuses sont les radios qui, dans les temps forts de l’autonomie, ont subi la répression du mouvement et ont surtout participé activement à certains débats, conflits de l’époque et aux luttes. Il nous semble intéressant de revenir dans une discussion publique sur cette histoire vivifiante et complexe. La multiplication des radios pirates, libres et alternatives a durant un temps permis d’intervenir en opposition aux discours révolutionnaires sclérosés autour de la figure de l’ouvrier qualifié du Parti Communiste, bien que cet outil fut aussi utilisé par le PC. A un certain point, les radios dans l’histoire militante et révolutionnaire sont indissociables des luttes partant des marges et minorités qui font exister jusqu’à présent un héritage de 68 et de l’autonomie. Mais aujourd’hui que le PC est dans son agonie (Dieu merci), contre quels mythes et discours majoritaires pouvons-nous intervenir par la radio ? Ne pourrait-on pas dire que la contestation de l’ouvrier traditionnel, travailleur et doté d’une bonne nationalité, par et depuis le point de vue de minorités dérangeant les normes ambiantes, est aujourd’hui récupérée par des porte-paroles de minorités qui sont tout autant écrasants que l’étaient les crocodiles du PC, par le prisme du « premier concerné » qui empêche le mélange protéiforme des existences en lutte ? L’intérêt premier des radios libres n’était-il pas de sortir enfin du champ de la représentation politique, et de pouvoir enfin donner la parole à des individus, à des marginaux, des inclassables, sans les associer à une ligne de sujet politique et de direction homogène ? Que peut-il y avoir de subversif dans un témoignage marginal, puisqu’il ne s’agit pas non plus de croire à une vertu absolue du témoignage en soi ? Que faire des récits de vie et des témoignages oraux ? Que peut recouvrir une parole libre dans une démocratie libérale où, au moins en théorie, les points de vue circulent ? Ça commence à faire déjà beaucoup de questions, il est temps de se les poser… Et de s’atteler à questionner notre rapport à l’information et à l’actuel. Quelles informations avons-nous intérêt à faire circuler par la radio, alors même que nous vivons dans une époque qui regorge de live, de podcasts, d’enregistrements et de captations journalistiques de médias dit « indépendants », la plupart du temps extérieurs à nos luttes, récupérateurs et souvent paralysants si ce n’est policiers ?
Nous pourrons lors de cette discussion revenir sur le passé des radios en s’appuyant sur la liasse 3 des archives getaway qui sera disponible (https://getaway.eu.org/IMG/pdf/liasse_3_radio_versionweb.pdf), et s’intéresser aux interventions radio présentes, notamment sur le web, à partir de la pertinence de l’utilisation de ce média par l’exemple de Radio Mad Max et de son émission « 35H de trop » (https://www.radiomadmax.xyz/). Cette dernière est née au sein d’un mouvement social (celui contre la réforme des retraites) en ayant tenté d’y intervenir par une critique élargie du travail, et a décidé de maintenir par la suite un live sur la plateforme Twitch un dimanche soir sur deux. On pourra questionner les enjeux et intérêts du live, les formats et projets liés à ce médium, et ses rapports aux luttes présentes et à venir, en présence du pirate de la radio, Max, et des maximonstres.

50 nuances de réaction : comment faire face aux offensives réactionnaires dans les aires subversives ?

Vendredi 24 mai 19h30

Les aires subversives semblent s’être dangereusement polarisées. Les défenseurs de la postmodernité et ceux qui la critiquent sans prendre garde aux risques, par inadvertance ou indifférence, aux soupes réactionnaires qu’ils servent, rendent compte de la même misère théorique et pratique qui assaillent les aires dites subversives et révolutionnaires. S’il nous semble primordial, afin de penser une perspective révolutionnaire conséquente, de lutter toujours contre ce que la post-modernité théorise et agite parfois (l’identitarisme, la morale, la culture du safe, le contrôle interpersonnel des comportements, le culte du ressenti individuel, les théories issues des milieux universitaires comme l’intersectionnalité, la défense d’une nouvelle normativité opposé à la précédente…), il nous faut bien faire le constat que certains en faisant cette critique sombrent dans la réaction qui charrie avec elle une autre forme de morale, une autre forme de norme, et qui ne subvertit rien du tout.
Il nous apparaît que le rôle des révolutionnaires est un rôle d’équilibriste qui ne doit pas perdre son fil, Nous pensons que c’est dans la critique, la nuance, l’intelligence collective et le maintien d’une perspective émancipatrice et d’exigences minimales, comme au moins ne jamais se retrouver aux côtés de la réaction et de l’extrême-droite, qu’il nous sera possible de sortir de cette confusion qui est bien le symptôme de notre époque.
Retrouvons-nous pour discuter de ce constat et de cette fausse aporie qui prend parfois les airs de chantages idéologiques et politiques, en nous demandant toujours comme apporter des perspectives et une critique révolutionnaire en ne cédant rien, ni à la gauche, ni à la droite, ni à toutes formes de réactions.

Voici la brochure Contre la Réaction, mille nuances de réacs, publiée par Les Fleurs Arctiques et Ravage Editions. Elle a été écrite dans le cadre de la préparation de cette discussion. Cliquer sur l’image pour la consulter/télécharger

 

Sick of myself

Mardi 28 mai 19h30

Kristoffer Borgli, 2023, 97’

Signe, qui vit à l’ombre du succès de son petit copain, grand designer norvégien, prête à tout pour attirer l’attention sur elle et parvenir dans ce milieu artistique, décide de se rendre délibérément malade en mentant à tout son entourage. Cette maladie va la ronger, allant jusqu’à l’horrifique, et va la rendre désirable pour ce milieu. Ce film interroge sur le narcissisme des personnages, tous pris dans les rouages de la représentation permanente de soi, allant jusqu’à l’extrême perversité. Le film Sick of myself est le portrait du milieu de l’art contemporain, de la mode, une réflexion sur le mensonge, la mise en scène de soi sur les réseaux sociaux ici poussée à l’extrême.

Démontage Judiciaire : L’affaire Schwartzbard

Vendredi 31 mai 19h30

Saboter la machine judiciaire implique de comprendre comment fonctionnent ses rouages quand elle s’exerce, comment elle peaufine ses engrenages pour mieux nous broyer. Alors il nous a semblé pertinent de proposer des occasions de pratiquer ensemble des démontages, en se donnant le loisir d’accorder collectivement toute notre attention à des déconstructions aussi méticuleuses que possible d’affaires judiciaires précises, passées ou actuelles, pour mieux se préparer à affronter la justice et la répression quand nous nous retrouvons contraint de le faire. Chaque affaire est singulière, et toutes ou presque pourront nous intéresser, qu’elles aient défrayé la chronique, marqué l’Histoire ou qu’elles participent d’un fonctionnement quotidien d’une justice toujours trop près de la vie de tout un chacun, et on espère que comprendre ces affaires spécifiques nous permettra d’en savoir plus sur le fonctionnement de l’ensemble du dispositif, et de trouver comment s’y opposer. Concrètement, on propose un rendez- vous régulier et public (une fois par programme) pour plonger ensemble dans une affaire choisie préalablement selon les propositions ou occasions, et sur laquelle ceux et celles qui voudront le faire se seront penché en amont, à partir des documents et informations qu’on peut réunir selon les cas, pour restituer aux autres à la fois la construction de l’accusation et la stratégie de défense choisie ainsi que la manière dont elle s’est élaborée. On pourra ensuite tous discuter à partir de ces éléments, en s’inspirant des formes de prises en charge collective des défenses qui se sont développées dans les suites de mai 68, par exemple, mais sous une forme « désactualisée », hors des enjeux immédiats d’une défense réelle en cours. Pas besoin de connaissances spécifiques préalables, bien sûr, pour participer, d’autant plus que le point de vue que nous choisirons d’adopter c’est celui de tous ceux et touts celles qui peuvent se retrouver face aux tribunaux et qui ne sont pas prêts à laisser la machine judiciaire les broyer, et pas celui des spécialistes ou relais de la justice auquel trop souvent le champ libre est laissé, parce que tout est fait pour nous conduire à le leur abandonner. Il s’agirait donc au contraire de s’habituer à ne plus déserter le champ de l’élaboration collective, et de chercher à donner un sens concret à la notion de défense collective ».
Pour cette séance, nous nous intéresserons au Procès de Samuel Schwartzbard, anarchiste juif ukrainien et révolutionnaire ayant participé activement à la révolution de 1905, condamné ensuite pour divers braquages, et évadé des travaux forcés en 1909, qui est accusé en 1926 d’avoir assassiné Simon Petlioura, commandant en chef de l’Armée nationale populaire ukrainienne durant la révolution russe, responsable de nombreux pogroms commis par les troupes sous sa direction autour de 1920 durant la guerre civile en Russie. En 1926, Samuel Schwartzbad, est reparti vivre à Paris (il y avait déjà vécu en exil avant la révolution), déçu par le comportement de ses camarades pendant la guerre civile russe. Le 25 mai de cette même année, il tire sept balles sur Symon Petlioura rue Racine à Paris. S’ensuit un procès où Schwartzbard assume pleinement son geste et explique qu’il a tué Petlioura pour se venger des pogroms dont celui-ci était responsable. Il est accusé pendant le procès d’avoir agi sur commande des Soviétiques, notamment du Guépéou, la police d’Etat de l’URSS. Défendu par Henry Torrès, un avocat alors récemment exclu par le PCF. Schwartzbad est finalement acquitté le 26 octobre 1927 à 8 voix contre 4 par le jury. Torrès a alors déjà défendu plusieurs anarchistes dont Durruti, et obtenu des décisions très favorables en particulier dans des cas d’assassinats politiques revendiqués par les accusés, sans pour autant tabler sur la connivence, le coup de folie ou le pathos d’une enfance difficile.

Cliquez sur l’image pour télécharger la liasse du démontage judiciaire

Il s’agira de s’intéresser à l’affaire elle-même mais aussi à ce qu’elle a agité à l’époque autour des question de l’antisémitisme et des pogroms, notamment ceux perpetrée pendant la période de la révolution russe, dont une grande partie eurent lieu en Ukraine.
Ce démontage sera l’occasion d’étudier de plus prêt un procès assez unique, où un homme revendique clairement l’assassinat d’un autre, mais est déclaré finalement non coupable par le jury.
La défense de Schwartzbard comporte un volet d’agitation publique sur la question de l’antisémitisme et des pogroms, avec la création par certains de ses soutiens de la Ligue contre les pogroms (qui deviendra plus tard la LICRA que nous connaissons aujourd’hui) à l’occasion d’une campagne médiatique en sa faveur.
Alors qu’il est habituellement considéré qu’avant Vergès, sacré dès les années 50 inventeur de la « défense de rupture », c’est chez Willard, avocat du PCF, qu’on trouve en réalité la première théorie et pratique de ce qu’on pourrait appeler une défense militante avec la publication en 1938 de  La Défense accuse… : de Babeuf à Dimitrov, il est intéressant de se pencher sur ce procès dans lequel la défense, plus de dix ans avant Willard, et hors du cadre de la défense par une organisation de ses membres (ce qui est le cas de Willard) l’emporte malgré (ou plutôt avec) les aveux de l’accusé. On peut d’ailleurs aussi se demander pourquoi Vergès, qui est au moins autant militant de l’antisémitisme que de la dite « rupture », dans son ouvrage De la stratégie judiciaire qui étudie une liste d’exemples de défenses qu’il considère comme « de rupture » sans qu’elles en soient conscientes (la défense de Socrate, par exemple), n’évoque à aucun moment le procès de Scwartzbard.

L’affaire du limonadier : le grand final !

Le 24 janvier 2024 s’est tenu le procès de G., inculpé de tentative de port d’arme blanche dans la sombre affaire du limonadier (sur l’affaire en détail voir le texte «Et maintenant il faut des limonadiers …» ) qui a tenu en haleine la France depuis le 24 avril 2022, jour où est arrêté G. à Châtelet par la BRAV-M alors que les gens s’y rassemblent à l’occasion des résultats du second tour des présidentielles et que la police contrôle à tour de bras pour empêcher quiconque de troubler l’ordre démocratique.

G. fit 48 heures de GAV et alla jusqu’au dépôt, où il refusa une composition pénale avec reconnaissance de culpabilité (qui prévoyait 300 euros d’amende et 6 mois d’interdiction de paraître à Paris). Ce refus lui valu d’être poursuivi au final en correctionnelle pour “port d’arme blanche de catégorie D” lors d’une première audience, qui fut finalement reportée au 24 janvier 2024. Un feuilleton judiciaire à rebondissement pour un affaire hautement sensible commencée au moment où un flic particulièrement averti pensa écarter le danger qui pesait sur la République en trouvant au fin fond du sac de G. un outil pour ouvrir des bouteilles de vin…

Malgré la tentative assez désespérée de la proc’ de montrer que le port d’un ustensile de serveur doté d’une lame de 1,5 cm était une grave infraction au regard de la loi sacrée de notre République, G. a été relaxé et le tribunal a également condamné l’état à hauteur de 2 000 euros. Le juge a motivé sa décision sur le fait que la proc’ n’avait pas pu produire la pièce qui justifierait à l’époque le contrôle et la fouille du sac de G., en l’espèce l’arrêté préfectoral du 24 avril 2022. qui devait détailler ce que les flics avaient le droit de faire et jusqu’où allaient leurs prérogatives ce soir là.

Une affaire judiciaire bien risible de close, qui montre que ce genre d’arrestations et de poursuites ont principalement pour but que de décourager tout un chacun dans des moments précis où la contestation gronde et pourrait s’intensifier. Bien souvent, ce genre d’affaires se dégonfle après devant le tribunal, car les dossiers sont vides et les poursuites ridicules. Ce procès nous donne aussi l’occasion de voir que le refus des compositions pénales avec reconnaissance de culpabilité, vendue au chantage par les procs à la fin de la GAV contre l’abandon des poursuites, est toujours utile et efficace. De même que le refus de signalétique, qui était initialement un des chefs d’inculpation dans la procédure et qui fut retiré au final.

Ne reconnaissons jamais rien ! Ne nous laissons pas avoir par les chantages policiers et judiciaires !

Liberté pour tous et pour toutes ! Décapsulons le monde !

Arrestations du 1er mai 2023 : La juge condamne malgré l’absence de réquisitions du parquet !

Le 23 janvier 2024, au TGI de Paris se déroulaient 2 procès relatifs à la vague d’arrestations le soir du 1er mai 2023, en plein mouvement social contre la réforme des retraites.

Ce soir-là, la police avait effectué des arrestations massives, craignant des manifestations sauvages comme c’était le cas dans la capitale et dans d’autres villes de France régulièrement depuis le soir de l’annonce du 49.3.

Dans un de ces procès, inculpée était accusée de “participation à un groupement” et “refus de signalétique”. Constatant pendant ses réquisitions un dossier presque vide et sans doute consciente du nombre d’affaires de ce soir-là qui s’étaient soldées par un abandon, des relaxes ou des peines mineures lors du passage devant les tribunaux, la procureure a requis elle-même la relaxe. L’avocat de la défense a pour sa part demandé une condamnation de l’État a remboursé les frais de justice en cas de relaxe.

Il était alors probable que le tribunal, constatant l’absence de réquisitions, suive l’avis du parquet. C’était sans compter sur la juge, qui pensa quant à elle que l’infraction de “participation à un groupement en vue de” était tout à fait caractérisée, sur la base de la fiche d’interpellation uniquement, mais probablement surtout pour ne pas avoir à remboursé l’accusé des frais de justice, et condamna L à 60 jours amende de 10 euros, ce qui fait donc un total de 600 balles d’amende.

Un appel a été demandé par L, dont l’affaire sera donc rejugée.

Nous appelons d’or et déjà à être présent en solidarité lors de l’audience en appel pour ne laisser personne seuls face à la justice et ses sales juges !

L’Enfant sauvage

Mardi 19 mars 19h30

François Truffaut, 1970, 83’

Ce film retrace l’un des cas les plus connus d’ «enfant sauvage », Victor de l’Aveyron, capturé en 1800, qui grandit sans contact avec les hommes et la société. Il est d’abord présenté comme une curiosité, une bête de foire, et, alors que tous les médecins s’accordent pour dire de lui qu’il est une « cause perdue », il est recueilli et éduqué par le docteur Itard qui lui apprendra le langage et les manières civilisées de la société. Avec ce film, qui met en image la nombreuse documentation héritée d’une époque particulièrement bureaucratique, puis les notes du bon docteur qui respecte son humanité tout en cherchant à la normaliser, nous pourrons parler d’éducation, de transmission, du mythe du bon sauvage, de la médecine et du lien entre civilisation et langage, humanité et animalité.

Quelle place pour la fiction dans la pensée et la pratique révolutionnaire ?

Samedi 23 mars 19h30

Cette proposition de discussion s’inscrit dans la poursuite des réflexions autour de l’utopie qui ont déjà eu lieu à la bibliothèque.

Certains diront, par une opposition franche et nette entre réalité et fiction, que cette dernière n’a pas d’intérêt dans une telle perspective. Après tout, il est vrai que la tenue, par exemple, d’un atelier d’écriture ou d’un ciné-club ne sont pas des activités qui amènent rarement directement à brûler des prisons, des commissariats, ou encore à comprendre idéologiquement et théoriquement les piliers fondamentaux du capitalisme et de la démocratie – ce qui aurait au moins le mérite de clarifier ce qu’il faudrait attaquer en priorité ou non. Une telle posture postule donc l’existence d’une Réalité, laquelle est alors synonyme d’action, d’efficacité, d’augmentation significative de notre pouvoir à maîtriser ce qui se passe dans le monde (cette puissance pouvant être augmenté tant par des actions effectives que par des discussions visant à comprendre comment agir théoriquement pour améliorer l’action – tant que la parole est vassale de cet impératif prégnant d’agir, elle est elle-même considérée comme quelque chose de bien réel et non pas une invention dérisoire de l’imaginaire). Cette même posture idéaliste suppose à l’inverse que la fiction est toujours étrangère à cette réalité politique impérieuse. Alors s’en suivent deux acceptions possibles de la fiction : la première, qui à certains égards rejoint celle du situationnisme, verrait la fiction comme un spectacle, comme un « divertissement », au sens péjoratif du terme, réplique-écran asservie à la réalité et qui ainsi asservit tous ceux qui en profitent, les détournant avec volupté des vraies prégnances politiques actuelles ; la seconde acception rejoint la conception de « l’art pour l’art » de Théophile Gautier : «  il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien… ». En d’autres termes, les espaces imaginaires qui se créent dans la fiction ne sont pas contradictoires avec l’impétuosité du réel, mais ils sont trop fragiles, trop dépendants et vulnérables face à sa gravité pour pouvoir prétendre y peser quoi que ce soit ; au contraire même, s’ils venaient à s’y corrompre, ils se feraient emporter, écraser, tordre, instrumentaliser par la réalité, et il est alors tout à leur intérêt de rester bien à leur place, dans la sphère de la fiction, où ils peuvent nous offrir ce qu’ils ont de plus beau.

Pourtant, s’il peut être tenu pour vrai qu’une fiction paraît fragile, devant une armée par exemple, ne peut-on pas reconnaître également que l’imagination comme capacité d’envisager des nouveaux possibles doit être considérée comme élément nécessaire à la subversion de l’existant ? Si l’on considère que la sensibilité est un des éléments qui, en politique, servent d’aiguillon à la révolte, au refus, et à la solidarité, alors pourquoi une fiction ne pourrait-elle pas transmettre des horizons nouveaux qui résonnent avec la pratique politique ? Nous pourrions même aller plus loin et interroger la pertinence d’un rapport à la politique conçu comme épreuve nécessairement crue et même cruelle de ce que la réalité peut avoir d’horrifiant et de traumatisant. Y a-t-il besoin, pour prendre conscience de l’impératif de la lutte, de vivre dans sa chair fragile d’être humain les pires atrocités que le monde ait porté ? Y a-t-il besoin d’être le premier concerné par l’horreur pour lutter contre ? Ou bien pouvons-nous supposer qu’il y a, à travers la capacité d’imagination et la fiction comprise comme sa concrétion collectivement transmissible, la possibilité d’ouvrir à autrui des espaces de déplacement dans lesquels il n’aurait pas besoin de s’abîmer directement pour comprendre l’importance de la lutte ? Lui épargnant ainsi des blessures profondes qui parfois peuvent se révéler faire bien plus obstacle à une pratique révolutionnaire qu’être son moteur. Enfin, si l’on accepte de postuler que la fiction n’est pas tout à fait étrangère à la pratique politique, peut-on simplifier plus encore le propos et affirmer inconditionnellement que l’imagination possède en elle-même un pouvoir subversif ? En effet, dans un contexte de régime totalitaire, une telle affirmation pourrait trouver un sens au vu des normes répressives appliquées par la censure sur l’art, la littérature et toute forme de concrétisation de l’imagination. Dans une démocratie en revanche, c’est une autre paire de manches. Il y a des normes sociales qui influencent l’imaginaire et la fiction certes, mais de là à dire que l’imagination possède, par sa simple fécondité, un pouvoir subversif contre des mécanismes politiques répressifs, voilà qui pourrait sonner aussi creux qu’un argument de petite intelligentsia appeliste en manque de frisson. Alors, par-delà les postures affirmant d’un côté que la fiction n’a rien à voir avec la réalité d’une émancipation politique, et de l’autre qu’elle est émancipatrice intrinsèquement, comment pouvons-nous penser le rapport entre révolution et fiction ?