Abdellatif Kechiche – 2010 – France – VOSTFR – 1h59
Mercredi 26 septembre à 19h
Kéchiche reprend ici une des histoires les plus banalement terribles occasionnées par le racialisme à base scientifique du XIXème siècle, celle de Saartje Bartman, embarquée pour Londres depuis l’Afrique du sud avec son maître pour ce qu’elle pense être une carrière d’actrice, et qui sera exhibée de Londres à Paris pour ses particularités physiques, à l’époque où l’on se repaît du spectacle des femmes à barbes dans les foires et des « indigènes » dans les zoos humains. Celle qui sera « célébrée » avec une ironie méprisante et cynique comme « la Vénus noire » ou « la Vénus hottentote » sera observée, moquée, violée et utilisée comme objet sexuel, et finira objet de science sous le regard pas moins réifiant de l’anatomiste Cuvier. Son corps disséqué, ses organes sexuels mis en bocaux dans du formol, son squelette reconstitué et le moulage de son corps seront exposés au musée de l’homme jusqu’en 1974, puis seront remisés dans les réserves du même musée pendant 30 ans avant de n’être rendus à l’Afrique du Sud pour être inhumé qu’en 2002.
Le film de Kechiche nous conduit à accompagner le parcours de cette femme qui traverse les classes sociales et les regards, monstre de foire dans un quartier populaire de Londres, objet de distraction sexuel dans les salons de la grande bourgeoisie parisienne, objet d’étude disséqué du regard par la science avant de l’être au sens propre, elle est toujours et de plus en plus constituée en monstre que l’on dé-monstre. Il nous fait traverser avec elle ces regards fascinés, radicalement humiliants et sadiques, et nous permet de mesurer ce que le racialisme, avec et sans la science, fait à l’altérité, altérité liée ici aux particularités physiques de cette femme tout autant qu’à son genre (elle est « Vénus » et « noire »). Les regards que cette époque portent sur son corps, cette manière de la mettre en scène, que ce soit sur un stand de foire ou sur une table de dissection, la réduisent à l’étrangeté de sa manière d’être « femme » et de sa manière d’être « noire », et c’est son humanité singulière qui se retrouve irrémédiablement perdue, ensevelie et anéantie par ce qui la réduit à un genre et à une race. En insistant sur ce que lui font et lui retirent ces regards, ce film, qui nous fait à la fois regardés et regardants, scrutés et voyeurs, nous montre comment c’est un rapport au monde et à l’humanité que le regard sur l’altérité engage.