Démontage Judiciaire : L’affaire Schwartzbard

Vendredi 31 mai 19h30

Saboter la machine judiciaire implique de comprendre comment fonctionnent ses rouages quand elle s’exerce, comment elle peaufine ses engrenages pour mieux nous broyer. Alors il nous a semblé pertinent de proposer des occasions de pratiquer ensemble des démontages, en se donnant le loisir d’accorder collectivement toute notre attention à des déconstructions aussi méticuleuses que possible d’affaires judiciaires précises, passées ou actuelles, pour mieux se préparer à affronter la justice et la répression quand nous nous retrouvons contraint de le faire. Chaque affaire est singulière, et toutes ou presque pourront nous intéresser, qu’elles aient défrayé la chronique, marqué l’Histoire ou qu’elles participent d’un fonctionnement quotidien d’une justice toujours trop près de la vie de tout un chacun, et on espère que comprendre ces affaires spécifiques nous permettra d’en savoir plus sur le fonctionnement de l’ensemble du dispositif, et de trouver comment s’y opposer. Concrètement, on propose un rendez- vous régulier et public (une fois par programme) pour plonger ensemble dans une affaire choisie préalablement selon les propositions ou occasions, et sur laquelle ceux et celles qui voudront le faire se seront penché en amont, à partir des documents et informations qu’on peut réunir selon les cas, pour restituer aux autres à la fois la construction de l’accusation et la stratégie de défense choisie ainsi que la manière dont elle s’est élaborée. On pourra ensuite tous discuter à partir de ces éléments, en s’inspirant des formes de prises en charge collective des défenses qui se sont développées dans les suites de mai 68, par exemple, mais sous une forme « désactualisée », hors des enjeux immédiats d’une défense réelle en cours. Pas besoin de connaissances spécifiques préalables, bien sûr, pour participer, d’autant plus que le point de vue que nous choisirons d’adopter c’est celui de tous ceux et touts celles qui peuvent se retrouver face aux tribunaux et qui ne sont pas prêts à laisser la machine judiciaire les broyer, et pas celui des spécialistes ou relais de la justice auquel trop souvent le champ libre est laissé, parce que tout est fait pour nous conduire à le leur abandonner. Il s’agirait donc au contraire de s’habituer à ne plus déserter le champ de l’élaboration collective, et de chercher à donner un sens concret à la notion de défense collective ».
Pour cette séance, nous nous intéresserons au Procès de Samuel Schwartzbard, anarchiste juif ukrainien et révolutionnaire ayant participé activement à la révolution de 1905, condamné ensuite pour divers braquages, et évadé des travaux forcés en 1909, qui est accusé en 1926 d’avoir assassiné Simon Petlioura, commandant en chef de l’Armée nationale populaire ukrainienne durant la révolution russe, responsable de nombreux pogroms commis par les troupes sous sa direction autour de 1920 durant la guerre civile en Russie.
En 1926, Samuel Schwartzbad, est reparti vivre à Paris (il y avait déjà vécu en exil avant la révolution), déçu par le comportement de ses camarades pendant la guerre civile russe. Le 25 mai de cette même année, il tire sept balles sur Symon Petlioura rue Racine à Paris. S’ensuit un procès où Schwartzbard assume pleinement son geste et explique qu’il a tué Petlioura pour se venger des pogroms dont celui-ci était responsable. Il est accusé pendant le procès d’avoir agi sur commande des Soviétiques, notamment du Guépéou, la police d’Etat de l’URSS. Défendu par Henry Torrès, un avocat alors récemment exclu par le PCF. Schwartzbad est finalement acquitté le 26 octobre 1927 à 8 voix contre 4 par le jury. Torrès a alors déjà défendu plusieurs anarchistes dont Durruti, et obtenu des décisions très favorables en particulier dans des cas d’assassinats politiques revendiqués par les accusés, sans pour autant tabler sur la connivence, le coup de folie ou le pathos d’une enfance difficile.
Il s’agira de s’intéresser à l’affaire elle-même mais aussi à ce qu’elle a agité à l’époque autour des question de l’antisémitisme et des pogroms, notamment ceux perpetrée pendant la période de la révolution russe, dont une grande partie eurent lieu en Ukraine.
Ce démontage sera l’occasion d’étudier de plus prêt un procès assez unique, où un homme revendique clairement l’assassinat d’un autre, mais est déclaré finalement non coupable par le jury.
La défense de Schwartzbard comporte un volet d’agitation publique sur la question de l’antisémitisme et des pogroms, avec la création par certains de ses soutiens de la Ligue contre les pogroms (qui deviendra plus tard la LICRA que nous connaissons aujourd’hui) à l’occasion d’une campagne médiatique en sa faveur.
Alors qu’il est habituellement considéré qu’avant Vergès, sacré dès les années 50 inventeur de la « défense de rupture », c’est chez Willard, avocat du PCF, qu’on trouve en réalité la première théorie et pratique de ce qu’on pourrait appeler une défense militante avec la publication en 1938 de  La Défense accuse… : de Babeuf à Dimitrov, il est intéressant de se pencher sur ce procès dans lequel la défense, plus de dix ans avant Willard, et hors du cadre de la défense par une organisation de ses membres (ce qui est le cas de Willard) l’emporte malgré (ou plutôt avec) les aveux de l’accusé. On peut d’ailleurs aussi se demander pourquoi Vergès, qui est au moins autant militant de l’antisémitisme que de la dite « rupture », dans son ouvrage De la stratégie judiciaire qui étudie une liste d’exemples de défenses qu’il considère comme « de rupture » sans qu’elles en soient conscientes (la défense de Socrate, par exemple), n’évoque à aucun moment le procès de Scwartzbard.