The end of the fucking world

Lundi 21 mars 19h

Charlie Covell – 2017
VOSTF (Angleterre) – 168’

The end of the fucking world narre l’histoire de deux adolescents, emprisonné dans leur vie de famille pourrie. James a un père alcoolique, sa mère est morte. Il est socialement isolé, germe des délires de meurtres et exerce avec sadisme diverses tortures sur des animaux et des insectes. Alyssa vie dans une famille tout autant dénuée d’amour, sa mère et son beau père sont bien insérés dans le monde et n’ont que faire de leur fille un peu trop turbulente à leurs yeux. Ces deux adolescents vont se rencontrer et ensemble décider de fuguer en volant la voiture de leur parent, James projetant de tuer Alyssa durant cette escapade. Cette série courte est construite comme un road-movie. Nos deux personnages vont fuir leur quotidien maussade et le glauque de leurs familles avec comme objectif un «  chez le père d’Alyssa qu’ils fantasment comme un adulte bienveillant, qui sera protecteur, aimant et saura les comprendre. Comme une fable tragiques, des péripéties morbides comme réjouissantes vont alors s’enchaîner et les faire mûrir, confronter aux adultes et à un monde qui ne comprend pas et n’accepte pas cette fuite vers la liberté qui va profondément transformer Alyssa et James.

Discussion à propos du texte Another word for « White Ally » is coward

Vendredi 11 mars 19h

Nous vous proposons de discuter ensemble sur la base du texte Another word for « White Ally » is coward, texte qui a été écrit en 2015, peu de temps après le début des émeutes de Ferguson par « a few of the many anarchists in St. Louis », et qui a été traduit par nos soin en 2020 à l’origine pour le quatrième numéro des Feuilles Antarctiques constitué autour du thème de l’émeute, et que nous rééditons pour l’occasion sous forme de brochure.
Écrit depuis l’intérieur du contexte émeutier, ce texte virulent et salutaire revient sur les dynamiques de prise de pouvoir inhérentes aux mouvements sociaux, et à la séparation des rôles des uns et des autres dans la confrontation face à l’État, notamment au moment de l’émeute. Ces rôles peuvent être de diverses natures, ils peuvent être « techniques » (ceux qui tiennent la banderole, ceux qui cassent, ceux qui soignent…) mais aussi, et c’est surtout ce point là que le texte développe, ils peuvent être définis sur la base de l’identité des participants et d’une assignation à qui serait concerné et qui, ne l’étant pas, devrait s’en tenir à soutenir, s’allier, sans aucune autonomie d’analyse, d’action ou de réaction, aux premiers concernés, alors qu’il est déjà même illusoire de penser que ces mêmes premiers concernés parlent d’une seul voix et qu’il est même clairement paternaliste de croire qu’en tant que tels, il seraient forcément tous d’accords entre eux sur ce qu’il faut faire face au sort qu’ils ont en commun.
Si une impression de consensus entoure aujourd’hui les termes « d’alliés » et de « premiers concernés », ce texte, très concret et écrit par des personnes baignant au départ dans ces catégories, semble utile pour soulever certains aspects de ce que la représentation du monde et des luttes qu’ils charrient peuvent avoir de délétère, et de rappeler que d’autres manières de lutter avec d’autres existent, ont existé, sont imaginables, d’autres manières d’être solidaires, peut-être moins paternalistes, assignantes que ces dernières, qui sont finalement très propices à des formes d’autorité circulant entre les uns et les autres, et en contradiction avec toute perspective d’organisation. A partir de ce texte, mais aussi d’exemples de luttes présentes ou passées, on pourra se demander comment les différentes entités qui interviennent, de manière plus ou moins auto-organisées et autonomes, dans une lutte ou un moment de conflictualité peuvent se côtoyer, se rencontrer, éventuellement s’opposer dans des tensions salutaires et propices au dépassement des catégories préexistantes.
Nous espérons que la portée critique de ce texte saura inviter au moins au débat, y compris contradictoire, sur des questions qui ont tout intérêt à rester ouvertes et non pas à être refermées par des termes finalement très abstraits et idéologiques, qui prétendent clore ce qui ne peut se réfléchir utilement que dans les pratiques de luttes, et en tenant compte d’une complexité réelle indéniable.

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Sound of metal

Lundi 7 mars 19h

Darius Marder – 2019
VOSTF (USA) – 120’

Un couple de musiciens vit en itinérance à travers les États-Unis, allant de concert en concert avec leur groupe de métal. Le batteur, à la suite de violents acouphènes, perd brutalement l’ouïe. Le film nous invite alors à plonger complètement dans le monde sensoriel de Ruben, qui doit faire face à ce bouleversement perceptif et à la fin probable d’une partie de sa vie. Nous le suivons aussi dans sa quête, découvrant ce qui entoure la surdité, les médecins, les implants, les autres sourds, etc. A la suite d’un film documentaire projeté lors du programme précédent, Ces sourds qui ne veulent pas entendre, sur la question des implants cochléaires (qui cherchent à restituer l’ouïe pour les sourds), on projette cette fois une fiction sur le même thème autour de laquelle nous vous invitons discuter ensemble pour poursuivre les réflexions engagées. Mais, quand bien même l’intrigue du film se structure effectivement autour de la surdité inattendue du personnage principal et autour de la question des implants qui va occuper une place assez importante, on ne saurait le résumer à cet unique sujet, dans la mesure où ce film ne cherche pas à être représentatif d’une situation générale sur ces questions, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a rien à en dire. Rendez-vous donc à la bibliothèque des Fleurs Arctiques le lundi 7 mars à 19h.

Peut-on résister au manichéisme ?

Vendredi 18 février 19h

La plupart des controverses contemporaines (en particulier pour ce que l’on appelle outre-Atlantique les « guerres culturelles ») suivent le même schéma : lancées par la droite (extrême), elles placent la gauche (radicale) sur la défensive et finissent par enterrer toute possibilité de dépassement dialectique, tout d’abord en raison du rapport de force jugé défavorable, incitant les tentatives de regroupements les plus larges pour contrer la menace désignée comme prioritaire, voire exclusive.
C’est le frontisme, tel qu’on peut le retrouver par exemple dans les courants se réclamant de l’antifascisme ou dans les mouvements populaires contre les dictatures militaro-policières.
Pour les révolutionnaires et les partisans de l’émancipation, le problème n’est pas de savoir s’il faut lutter contre la droite (extrême), le fascisme ou la dictature – c’est là une évidence –, mais plutôt de préserver leur indépendance d’action et leur liberté de critique, malgré les injonctions du « camp du bien » à constituer un front commun (pour faire nombre, au risque d’alimenter des illusions réformistes) et à taire toute opinion divergente qui serait par nature susceptible de faire le jeu du « camp du mal ».
C’est le manichéisme, à savoir la traduction politique de la lutte du Bien contre le Mal, de la Lumière contre l’Obscurité, tel qu’il pouvait s’exprimer au cours de la « guerre froide ».
En nous appuyant sur des cas concrets tirés de l’actualité la plus brûlante, sur des exemples historiques ou des extraits de textes, nous échangerons sur la possibilité de résister à ces tendances afin de comprendre en quoi elles réactivent de vieux procédés (propres aux courants autoritaires dans les milieux intellectuels) et ce qu’elles ont de proprement original dans la période actuelle.

Discussion en présence de Nedjib Sidi Moussa, auteur de : Dissidences algériennes. Une anthologie, de l’indépendance au hirak (Toulouse, Les éditions de l’Asymétrie, 2021) ; Internationale situationniste, Adresse aux révolutionnaires d’Algérie et de tous les pays (et autres textes) (Paris, Libertalia, 2019) ; Algérie, une autre histoire de l’indépendance. Trajectoires révolutionnaires des partisans de Messali Hadj (Paris, PUF, 2019) ; La Fabrique du Musulman. Essai sur la confessionnalisation et la racialisation de la question sociale (Paris, Libertalia, 2017).

Quelques textes de référence :

Marcel Martinet, « Les intellectuels devant la révolution », Masses, n° 11, 25 novembre 1933
https://sinedjib.com/index.php/2021/02/27/marcel-martinet-les-intellectuels-devant-la-revolution/

Aimé Patri, « Philosophie de la police politique. A propos d’A. Koestler et de M. Merleau-Ponty », Masses, n° 7-8, février-mars 1947
https://sinedjib.com/index.php/2021/02/11/aime-patri-philosophie-de-la-police-politique-a-propos-koestler-et-merleau-ponty/

Aimé Patri, « Philosophie de la police politique. A propos d’A. Koestler et de M. Merleau-Ponty », Masses, n° 7-8, février-mars 1947
https://sinedjib.com/index.php/2021/02/11/aime-patri-philosophie-de-la-police-politique-a-propos-koestler-et-merleau-ponty/

Louis Mercier, « L’intellectuel communiste », La Révolution prolétarienne, n° 440, juin 1959
https://sinedjib.com/index.php/2021/03/03/louis-mercier-lintellectuel-communiste/

André Mistral, « Sur le petit commerce marxo-universitaire comme brève réflexion non théorique sur la production marxiste contemporaine », Spartacus, n° 89, février-mars 1978
https://sinedjib.com/index.php/2018

Décodeur

Lundi 14 février 19h

Musha – 1984
VOSTF (Allemagne de l’ouest) – 87’

Berlin, début des années 80, un marginal, compositeur de musique industrielle créé sa musique à partir des sons de la ville qu’il enregistre à l’aide de son enregistreur à cassette. Il va découvrir par hasard que la muzak est utilisée pour maintenir la paix sociale et va alors tenter de trouver les sons qui briseront la normalité.
Photographie néon cyberpunk, musique industrielle, groupes d’extrême-gauche organisés en cellules ou encore alternativisme, tout dans ce film rappelle l’Allemagne contre culturel des années 80. Mais bien plus que ça, il est une tentative de mettre en image et en bande son les questionnements et expérimentations de la scène industrielle de l’époque que ce soit l’utilisation du cut-up ou la recherche du son des vies sacrifiées à la machine et du son de l’émeute, et plus généralement des thématiques déjà abordées dans des ciné-clubs précédant à savoir l’opposition entre musique composée et musique concrète et les liens entre art et révolution.

A serious man

Lundi 7 février 19h

Ethan & Joel Coen – 2009
VOSTF (USA) – 106’

Avec ce film, les frères Coen poursuivent leur exploration satirique de l’absurdité camusienne et nihiliste, après notamment The Barber. Larry Gopnik a une vie de merde, le confort relatif de la classe moyenne pavillonnaire américaine n’y peut rien. Ce protagoniste cherche des réponses, il n’en trouve pas, même auprès des rabbins. Quel est le sens de la vie et de l’existence ? N’a t elle de sens que parce qu’on lui en donne ? Existe-t-il un autre remède que l’humour et le renoncement ? Sont-ce bien, d’ailleurs, des remèdes ? Voila une belle occasion d’aborder la question métaphysique avec un mauvais esprit salutaire.

Histoire de l’antiracisme, entre luttes révolutionnaires et récupération

Vendredi 4 février 19h

Si on peut, sans trop s’avancer, affirmer que le racisme est un fléau très ancien, le fait d’affirmer explicitement qu’on s’oppose au racisme à travers le terme « anti-racisme » est plutôt récent. Ce n’est que depuis la deuxième moitié du XXème siècle qu’on se dit « anti-raciste ». Dans le contexte français, la lutte contre le racisme est inséparables des politiques migratoires et des configurations coloniales. Dans les années 50, l’État français fait immigrer en masse des ressortissants de ses colonies d’Afrique du nord, dans le seul but d’exploiter une main d’œuvre dont la résistance est rendue difficile par une précarité extrême, une répression meurtrière et le désintérêt voir l’instrumentalisation de la part des représentants auto-déclarés des luttes d’indépendances nationales. A partir des années 70, plusieurs drames vont se retrouver médiatisés et mettre en lumière les différents problèmes auxquels la plupart des immigrés sont alors confrontées au quotidien, tels que l’incendie à Aubervilliers d’un bâtiment insalubre dans lequel 5 immigrés trouvent la mort, et plusieurs meurtres qui commencent à être qualifiés de « racistes » dans les cités de la banlieue parisienne au début des années 80. Le basculement vers une politique « d’immigration zéro » et la mise en place du regroupement familial à la même période font alors émerger la question de l’intégration de populations jusqu’ici tenues à l’écart.
Du côté des luttes, alors que le communisme de Parti et de syndicats reste centré sur la figure de l’ouvrier national (le Parti Communiste Français n’hésitant pas à affirmer des positions franchement racistes), les années 70 vont voir émerger différents collectifs de lutte plus au moins auto-organisés, que ce soit sur les questions du travail, du logement, et plus tardivement, des papiers, qui vont s’opposer à cette figure mythologisée, et vont contraindre la gauche à se positionner sur la question.
Va émerger de cette transformation de la gauche, entre autres, une conception paternaliste de l’antiracisme, qui s’oppose moralement au racisme tout en défendant une conception de l’intégration qui va avec la validation du tri des migrants, à la fois de la part de l’État et chez ses relais dans les luttes elles-mêmes (de Rocard avec son fameux « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde » à SOS Racisme, officine initiée par le PS à l’issue de la marche des beurs en 1983).
Depuis, l’antiracisme moral de la gauche continue à s’affronter de fait avec les formes de luttes concrète autour des questions migratoires (travail, logement, contrôle et répression du séjour irrégulier aux frontières et à l’intérieur du territoire, enfermement administratif….)
Ces questions se polarisent avec la montée d’un racisme assumé à droite (« le bruit et l’odeur » de Chirac…) et à l’extrême droite qui poursuivent les représentations coloniales d’une infériorité raciale qui justifierait la domination et l’exploitation d’une main d’œuvre immigrée dont on a, en même temps, ouvertement besoin.
Cette thématique traverse de fait les luttes sur le logement, les conditions de travail et les droit sociaux (comme par exemple les luttes autour des foyers Sonacotra dans les années 70, des régularisations en 1981, de luttes de sans-papier en 1996) qui luttent de fait sur la question du racisme sans nécessairement en faire leur sujet central – ce qui est plutôt réservé aux récupérateurs, qui ont tout intérêt à placer au centre de leurs perspectives un simple changement de mentalité, en lieu et place d’un changement radical des rapports sociaux. A l’inverse, les conditions produites par les formes de politiques d’intégration mise en place depuis les années 1970 ont permis l’émergence d’un antiracisme aux revendications bourgeoises et racialistes (représentation politique et médiatique, reconnaissances officielle, réformisme sécuritaire) qui instrumentalise notamment la question policière tout en se désintéressant de la question migratoire.
Nous nous demanderons que faire de cette histoire des luttes, de ce qui les a traversé, des contradictions qui s’y sont exprimées, alors que le racisme est toujours là, et se retrouve même à polariser les débats de la période électorale, qu’il sert toujours d’appui aux politiques xénophobes, alors qu’une nouvelle proposition d’ « antiracisme politique », fondé sur la validation du concept de race, affirme s’opposer à l’antiracisme moral de la gauche, et que la crise migratoire s’approfondit, ainsi que les tentatives désespérées pour échapper au contrôle, à l’encampement et au tri des migrants aux portes de l’Europe (voire à l’utilisation comme monnaie d’échange diplomatique…),
Il est clair que, aujourd’hui comme par le passé, lutter contre les racistes et contre le racisme est vital et qu’aucune perspective émancipatrice ne peut se désintéresser des questions liées aux migrations et aux frontières. Il est donc particulièrement nécessaire de réfléchir ensemble à la manière dont on peut et veut lutter sur ces questions.

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Cube

Lundi 24 janvier – 19h

Vincenzo Natali – 1997
VOSTF (USA) – 90’

Six personnes, jusqu’alors inconnues les unes des autres, se retrouvent enfermées dans un étrange labyrinthe en trois dimensions : une suite de cubes ayant chacun six ouvertures, une à chaque face. Tout l’enjeu sera pour eux de trouver le chemin vers la sortie en naviguant à tâtons dans ce dédale de pièces cubiques dont certaines se révèlent être des pièges mortels.
Nous les suivrons à travers leur parcours et leurs crises, de panique comme de paranoïa, chercher désespérément la sortie et le sens de ce voyage dans cet espace, métaphore de notre monde.
Le questionnement – présent tout au long du film – autour de la raison d’être de ce lieu nous amène à une réflexion autour du projet capitaliste et du sens des dispositifs qu’il produit.

Utopie 2021

Mardi 18 janvier 19h

S’il est bien une chose qui semble cruciale à notre époque, c’est de creuser à nouveau des perspectives révolutionnaires, de réfléchir à la question de la Révolution, et, ce faisant, sans doute, de l’imaginer. Mais dans quelle mesure la Révolution, qui ne prend sens que réalisée, a-t-elle besoin d’un imaginaire ? S’en nourrit-elle utilement ? Dépérirait-elle de ne pas être rêvée ? Ou, au contraire, à trop en déterminer virtuellement les contours, ne perdrait-on pas son caractère inouï, sa radicale étrangeté aux catégories, y compris imaginaires, de ce monde qu’elle vient détruire ? En tout état de cause, cet imaginaire, qu’on peut penser plus ou moins nécessaire, il existe bien des manières de contribuer à l’alimenter. L’une d’entre elles, la plus efficace sans doute, est l’utopie.
Puisque le fait d’imaginer, plus ou moins intensément, plus ou moins rationnellement, un monde entier et des relations entre les êtres humains radicalement autres, depuis ses propres fantasmes, rêveries et aspirations, a lieu finalement assez naturellement quand on souhaite la destruction et la disparition du capitalisme et de l’État, on peut faire l’hypothèse que l’utopie a plus ou moins toujours existé. L’utopie, qu’elle prenne la forme du récit, du raisonnement, d’une image, d’une musique, d’un poème ou d’un silence, peut être comprise, en quelque sorte comme la face sensible et affirmative de la négation et du refus du monde présent. Mais que reste-t-il de la négation dès lors que l’affirmation prend ainsi le dessus ?

Au XIXème, ceux que Marx et Engels ont qualifiés de « socialistes utopiques » ont justement transcrit leurs aspirations dans des perspectives politiques, liant ainsi l’utopie et la critique sociale, et luttant parfois pour faire advenir ces sociétés imaginaires qu’ils avaient mûries. Cependant, bien souvent les socialistes utopiques misaient sur une transformation du monde non par la révolution mais par la multiplication de communautés idéales (ce qui s’apparenterait de nos jours à ce qui peut être qualifié de perspective alternativiste), et bien des révolutionnaires de la seconde moitié du XIXème siècle ont critiqué cet aspect réformiste, refusant de séparer l’utopie, le rêve d’un autre monde sans État ni capital, des luttes révolutionnaires au présent. Mais un des dangers de la volonté utopique de transformer le monde par la révolution est de transformer des projections imaginaires d’une autre réalité en propositions, objectifs et programmes politiques. Ce que le XXème siècle a connu et qui peut expliquer en grande partie la disparition de l’utopie autant que des perspectives révolutionnaires, ce sont les pires justifications de mesures autoritaires au nom de l’utopie, d’un « monde à venir », au nom d’un « communisme » à construire et à imposer à la réalité présente, qui, ainsi utilisée, peut ne rien avoir de souhaitable.
Nos aspirations à l’émancipation tendent évidemment vers une révolution anti-autoritaire, où tous les individus seront (ou seraient ?) libres, sans État, argent ou travail, mais définir par avance ce à quoi devrait ressembler le monde d’après le capitalisme et l’État serait, malgré toutes les aspirations libertaires de cette utopie, foncièrement autoritaire. Elle dépasserait le stade de la rêverie, pour entrer dans celui du programme politique. Il serait, de plus, illusoire de considérer que nous avons les clés de compréhension et d’imagination suffisantes pour concevoir un monde à la hauteur de nos aspirations, alors que le capitalisme et l’État sont en permanence des freins à notre imagination et à notre pensée. La Révolution elle-même transformerait (ou transformera ?) profondément les possibilités d’imaginer et de créer, les aspirations des uns et des autres, sans que cela ne puisse être contrôlable ou même anticipable. Le passage unilatéral de l’utopie au programme politique, de l’imagination à son application, ne fait que simplifier le rapport de transformations permanentes et réciproques entre les aspirations – aussi variées qu’il y a d’individus et qui même, sans doute, foisonnent en chacun – et la réalité sociale. En tout état de cause, le rapport entre l’imagination et la lutte a sans doute tout intérêt à être sans cesse réinterrogé.
L’utopie a donc longtemps, pour les raisons et au nom des critiques énoncées plus haut, disparu des textes révolutionnaires, et a plus souvent servi de support, ces dernières années, à des tendances gauchistes, alternos et social-démocrates. Au XXème siècle, l’idée révolutionnaire était si présente dans les esprits, dans l’imaginaire collectif, elle paraissait si tangible, que l’utopie, le fait de mettre par écrit ses espoirs d’un autre monde, n’était absolument pas une évidence, et peut être à raison. C’est en cela qu’Utopie 2021 est un texte important, il paraît dans un contexte où l’imaginaire de la Révolution s’est effritée, où celle-ci ne paraît plus possible, et ce même pour une partie des aires subversives.
Mais Utopie 2021 ne développe pas seulement une utopie : ce livre, composé en trois parties qui se répondent, réfléchit au processus révolutionnaire et se demande comment est-ce qu’une subversion globale de l’existant serait possible ; et aux possibilités d’interventions des révolutionnaires à partir de la situation actuelle.
On propose donc une présentation et une discussion autour de ces thématiques, de l’Utopie, de l’intervention, de la Révolution et de son imaginaire, à partir d’Utopie 2021, et en présence de Léon de Mattis.

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Blow Out

Lundi 10 janvier – 19h

Brian de Palma – 1981
VOSTF (USA) – 108’

Un ingénieur du son travaillant pour des films de « série Z » (John Travolta), remis en question par le réalisateur pour sa réutilisation d’une banque sonore répétitive et artificielle, se met en recherche de sons réalistes dont un cri de femme pour une scène de meurtre. Alors qu’il enregistre les bruits nocturnes dans un parc de la ville, une voiture tombe d’un pont à proximité, le son de cet accident se retrouve sur ses bandes, et, parce qu’il sauve la passagère de la noyade, le technicien devient protagoniste de l’intrigue sombre d’un thriller politique, non plus en train de se réaliser sur pellicule, mais en train d’avoir lieu. Ce serait en mixant le son de son film précédent que De Palma aurait conçu le projet de ce scénario qui, tout en jouant avec les stéréotypes du film de genre, traite à la fois de la question de l’assassinat politique qui le fascine depuis l’assassinat de Kennedy, mais aussi de la fabrication d’un film, de la part invisible mais primordiale du son dans la création des émotions chez le spectateur, et plus largement du rapport entre réalisme et réalité, entre ce qui se passe, et ce que la fiction en reconstruit. L’hommage à Blow Up d’Antonioni est rendu explicite par le titre, avec la reprise du principe de la plongée dans la matérialité d’un élément de représentation (l’image pour Blow up, le son pour Blow out) pour y trouver une trace donnant accès peut-être à une réalité autrement inatteignable. En déplaçant l’objet central de l’attention de l’image au son, ce film, saturé de références cinématographiques, ne serait-ce qu’au fameux « cri de Wilhelm » utilisé au premier ou au deuxième degré dans des centaines de films depuis sa fabrication par un ingénieur du son en 1951, dans une sorte d’hommage amoureux au cinéma qui le précède, évoque aussi Conversation Secrète de Coppola et la fascination pour le rapport entre les techniques d’espionnage, de manipulation et de surveillance développées dans l’Amérique de la guerre froide et la construction de la fiction par le cinéma. C’est donc avant tout de cinéma et d’émotion qu’il est question, dans cette quête désespérée et fatale d’une vérité fragile, entraperçue, mais finalement réinjectée dans le circuit de la fabrication de fiction qui la fait presque disparaître.