Vendredi 4 février 19h
Si on peut, sans trop s’avancer, affirmer que le racisme est un fléau très ancien, le fait d’affirmer explicitement qu’on s’oppose au racisme à travers le terme « anti-racisme » est plutôt récent. Ce n’est que depuis la deuxième moitié du XXème siècle qu’on se dit « anti-raciste ». Dans le contexte français, la lutte contre le racisme est inséparables des politiques migratoires et des configurations coloniales. Dans les années 50, l’État français fait immigrer en masse des ressortissants de ses colonies d’Afrique du nord, dans le seul but d’exploiter une main d’œuvre dont la résistance est rendue difficile par une précarité extrême, une répression meurtrière et le désintérêt voir l’instrumentalisation de la part des représentants auto-déclarés des luttes d’indépendances nationales. A partir des années 70, plusieurs drames vont se retrouver médiatisés et mettre en lumière les différents problèmes auxquels la plupart des immigrés sont alors confrontées au quotidien, tels que l’incendie à Aubervilliers d’un bâtiment insalubre dans lequel 5 immigrés trouvent la mort, et plusieurs meurtres qui commencent à être qualifiés de « racistes » dans les cités de la banlieue parisienne au début des années 80. Le basculement vers une politique « d’immigration zéro » et la mise en place du regroupement familial à la même période font alors émerger la question de l’intégration de populations jusqu’ici tenues à l’écart.
Du côté des luttes, alors que le communisme de Parti et de syndicats reste centré sur la figure de l’ouvrier national (le Parti Communiste Français n’hésitant pas à affirmer des positions franchement racistes), les années 70 vont voir émerger différents collectifs de lutte plus au moins auto-organisés, que ce soit sur les questions du travail, du logement, et plus tardivement, des papiers, qui vont s’opposer à cette figure mythologisée, et vont contraindre la gauche à se positionner sur la question.
Va émerger de cette transformation de la gauche, entre autres, une conception paternaliste de l’antiracisme, qui s’oppose moralement au racisme tout en défendant une conception de l’intégration qui va avec la validation du tri des migrants, à la fois de la part de l’État et chez ses relais dans les luttes elles-mêmes (de Rocard avec son fameux « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde » à SOS Racisme, officine initiée par le PS à l’issue de la marche des beurs en 1983).
Depuis, l’antiracisme moral de la gauche continue à s’affronter de fait avec les formes de luttes concrète autour des questions migratoires (travail, logement, contrôle et répression du séjour irrégulier aux frontières et à l’intérieur du territoire, enfermement administratif….)
Ces questions se polarisent avec la montée d’un racisme assumé à droite (« le bruit et l’odeur » de Chirac…) et à l’extrême droite qui poursuivent les représentations coloniales d’une infériorité raciale qui justifierait la domination et l’exploitation d’une main d’œuvre immigrée dont on a, en même temps, ouvertement besoin.
Cette thématique traverse de fait les luttes sur le logement, les conditions de travail et les droit sociaux (comme par exemple les luttes autour des foyers Sonacotra dans les années 70, des régularisations en 1981, de luttes de sans-papier en 1996) qui luttent de fait sur la question du racisme sans nécessairement en faire leur sujet central – ce qui est plutôt réservé aux récupérateurs, qui ont tout intérêt à placer au centre de leurs perspectives un simple changement de mentalité, en lieu et place d’un changement radical des rapports sociaux. A l’inverse, les conditions produites par les formes de politiques d’intégration mise en place depuis les années 1970 ont permis l’émergence d’un antiracisme aux revendications bourgeoises et racialistes (représentation politique et médiatique, reconnaissances officielle, réformisme sécuritaire) qui instrumentalise notamment la question policière tout en se désintéressant de la question migratoire.
Nous nous demanderons que faire de cette histoire des luttes, de ce qui les a traversé, des contradictions qui s’y sont exprimées, alors que le racisme est toujours là, et se retrouve même à polariser les débats de la période électorale, qu’il sert toujours d’appui aux politiques xénophobes, alors qu’une nouvelle proposition d’ « antiracisme politique », fondé sur la validation du concept de race, affirme s’opposer à l’antiracisme moral de la gauche, et que la crise migratoire s’approfondit, ainsi que les tentatives désespérées pour échapper au contrôle, à l’encampement et au tri des migrants aux portes de l’Europe (voire à l’utilisation comme monnaie d’échange diplomatique…),
Il est clair que, aujourd’hui comme par le passé, lutter contre les racistes et contre le racisme est vital et qu’aucune perspective émancipatrice ne peut se désintéresser des questions liées aux migrations et aux frontières. Il est donc particulièrement nécessaire de réfléchir ensemble à la manière dont on peut et veut lutter sur ces questions.