Vendredi 17 janvier – 19h30
Critiquer la postmodernité dans une perspective révolutionnaire reste pour nous une priorité dans cette époque où cette critique se laisse souvent glisser dans les méandres de la Réaction, laissant prospérer toutes formes de rejet de l’altérité. Nous refusons de régler cette question par des déclarations d’intention idéologiques ou du nominalisme vain, c’est donc un travail en cours, que nous trouvons important de poursuivre sous des formes diverses.
Cette discussion s’inscrit donc à la suite de celle du 24 mai dernier où était présentée la dernière brochure publiée par Les Fleurs Arctiques et Ravages Édition : « Contre la réaction, mille nuances de réacs » (on trouvera sur le site de la bibliothèque l’appel à cette précédente discussion et le pdf téléchargeable de cette brochure). Avec cette brochure, il s’agissait de partager une réflexion s’attaquant aux différentes nuances réactionnaires qui essaiment dans les milieux subversifs au sein des critiques de la postmodernité, mais ce depuis une rupture que l’on souhaite révolutionnaire et sans composition avec tout ce que la postmodernité nous semble charrier d’anti-émancipateur et d’anti-révolutionnaire (qui découle du rejet postmoderne de toute idée de transformation collective radicale possible et le centrement sur l’espace de la subjectivité comme l’alpha et l’oméga de la liberté). Cependant, on peut entendre ici ou là que la critique même de la postmodernité serait trop voire forcément sujette aux accointances réactionnaires et qu’il serait dès lors plus simple de s’en passer pour se préserver de ce risque. On peut aussi, dans la polarisation entre Réaction et postmodernité, être immédiatement catalogué «réactionnaire» indépendamment du contenu de notre critique, par une binarité qui nous semble délétère mais malheureusement souvent agissante.
Et si, avant même la polarisation et la recherche d’une rupture révolutionnaire nette et intransigeante, nous prenions le temps de penser ce qu’est la postmodernité, ce que recouvrent les termes «postmoderne», «postmodernisme», ce que la postmodernité poursuit et rejette de la modernité ? Ce serait l’occasion de revenir sur l’émergence de ce terme qui, au départ, prend sa source dans la critique littéraire et l’architecture avant d’être employée plus largement au sein des sciences humaines. Qualifiant d’abord un style dépassant la modernité dans ce qu’elle implique de tension vers le progrès, le récit linéaire et la recherche unilatérale de vérité et de finalité, ce qui est appelé postmoderne a ensuite été étendu par des penseurs postmarxistes (J-F Lyotard, Fredric Jameson notamment pour les premiers, dans les années 1970) à une dynamique historique impliquant non seulement des courants artistiques, philosophiques et scientifiques, mais des changements dans les rapports sociaux suite à l’effondrement des idéaux présents au cours de la modernité depuis les Lumières, et notamment suite à l’effondrement des grandes hypothèses telles que celle d’une révolution sociale et d’une destruction du capitalisme. La postmodernité aurait progressivement émergé au cours de la seconde moitié du XXème siècle. Ce n’est que plus récemment, depuis les années 2000, que la Réaction s’est emparée du terme pour tenter de renouveler ses contenus rances. A contrario de toute critique réactionnaire et morale de la postmodernité, nous partons davantage de l’idée que nous vivons dans la postmodernité, dans des sociétés post grandes hypothèses révolutionnaires, et qu’il s’agit dès lors d’analyser les rouages répressifs de cette dynamique sociale du capitalisme qui nous entoure aujourd’hui, plutôt que de l’idée que la postmodernité serait une théorie politique progressiste. On pourra ainsi peut-être commencer à mesurer ce que la postmodernité fait à la révolution, ce qui est au fond la seule chose qui nous intéresse vraiment et qui pourrait constituer une boussole efficace contre les errements réactionnaires. Par exemple, quand la critique de la postmodernité se focalise sur le fantasme d’une diffusion de la transidentité et du risque (?) que cette diffusion pourrait faire courir à… la famille, la binarité de genre à laquelle on est habitués et qui comme on le sait est super émancipatrice, on peut-très vite, si on reste aimanté par une telle boussole, remarquer que pointer ce type de «problèmes» c’est en fait valider et défendre ce qu’il y a de plus réac et anti émancipateur dans le monde tel qu’il est.
La postmodernité comme situation historique, donc, puisque, tout comme les camarades du passé avaient à penser leurs critiques et leurs positions révolutionnaires dans la modernité, nous avons à penser les nôtres aujourd’hui. Mais alors que la modernité canalisait, encadrait et tantôt franchement réprimait la tension révolutionnaire à travers les mythes de «grand soir» et de «progrès civilisationnel», la postmodernité tente en revanche de reléguer complètement la révolution aux oubliettes et vieilleries du passé. Nous proposons d’y réfléchir à partir d’une liasse de différents textes qui sera composée à l’occasion de la discussion.