Peut-il exister un milieu révolutionnaire ?

Vendredi 4 juin 19h

 «Ce que je veux, c’est que l’on soit un comité de boules. Qu’il n’y ait plus de distinction entre pétanque et Lyonnaise. Que le bureau soit composé de dix pétanqueurs et deux boulistes, ou l’inverse, peu importe. L’essentiel est d’avancer ensemble.» Jean-Claude Panos (président du comité de gestion du boulodrome départemental d’Auxerre), in L’Yonne Républicaine.

 

Parmi celles et ceux qui souhaitent voir la société mise à bas, la destruction de l’État et du Capital, les rapports sociaux que nous connaissons aujourd’hui bousculés dans leurs fondements, en bref la réalisation concrète de la possibilité révolutionnaire, existe un besoin sans doute fondamental et impérieux : celui de se donner la possibilité d’intervenir sans rester isolé, de construire de la puissance dans la conflictualité engagée contre l’apareil étatique et les défenseurs du maintien de ce monde. Cela pour endiguer l’isolement et l’atomisation que produit la société, qui empêchent toute possibilité de révolte, toute possibilité de développement d’une puissance révolutionnaire effective et dangereuse pour l’ordre établi. Cette aspiration nécessaire a trouvé diverses réponses plus ou moins subversives et émancipatrices, mais aussi plus ou moins auto-limitées et auto-limitantes (parfois jusqu’à des fonctionnements autoritaires), à travers les différentes théories révolutionnaires qui ont émergé dans l’histoire et qui sont d’une certaine manière des outils mis à notre disposition pour y répondre. On trouvera par exemple dans des pans plus autoritaires de l’histoire révolutionnaire la proposition simple, efficace et prête-à-porter, du Parti – qui a effectivement su liquider bien des épisodes révolutionnaires. Dans des sphères certainement plus minoritaires (mais semblerait-il sensiblement plus subversives) cette aspiration à intervenir aura trouvé des tentatives de réponse anti-hiérarchiques, comme la libre-association anarchiste des individus, ou encore l’auto-organisation autonome de ceux qui luttent. Ces propositions (qui ne sont que des exemples parmi d’autres) font évidemment sens les unes par rapport aux autres, certaines radicalement opposées entre elles, d’autres qui se posent en continuité, et il nous faut précisément nous interroger sur ces dernières afin de poursuivre l’hypothèse révolutionnaire, pour ne pas piétiner historiquement sur ces outils à notre disposition. Quoi qu’il en soit, toutes ces personnes qui se soucient un tant soit peu de la liberté se retrouvent de fait mises en rapports jusqu’à, et nous en arrivons au sujet principal de cette discussion, former (peut-être – ou non – malgré elles) un « milieu » : une micro-société restreinte et codifiée, bien propre au monde que nous connaissons, comme il pourrait en exister un dans la Bande Dessinée, ou comme les scènes musicales par exemple. Ceci doit nous poser question, si nous tenons à ce que les révolutionnaires ne soient pas organisés ou associés comme pourraient l’être les boulistes du boulodrome d’Auxerre, par exemple. Ce « milieu révolutionnaire » (sur lequel trop de guillemets devraient être mis pour la bonne lisibilité de ce texte) parfois revendiqué et assumé par une proposition dite « milieutiste », en tant que formation sociale non-extérieure à ce monde endosse les mêmes objectifs que tous les autres milieux, ceux de sa propre reproduction et sauvegarde, avec sa propre existence comme projectualité ultime. Ceci logiquement selon les besoins de l’époque et de la période, et donc peut-être intrinsèquement au détriment des tentatives subversives qui s’expriment en refus de cette dite période. En formant une espèce de clan, de tribu « révolutionnaire », auto-centrée et refermée sur ses codes et sa morale, le fond et la perspective d’en finir avec l’existant risque de fort de passer à la trappe au profit de la survie de soi, du groupe. Mais cette perspective peut-elle sérieusement être souhaitable ? Ne devrait-elle pas poser question par rapport à tout un ensemble de concepts qui appartiennent profondément à ce que « nous » combattons, comme le carriérisme, la réussite sociale et/ou politicienne ? Comme rien d’acceptable n’est trouvable dans aucun manuel politique et révolutionnaire, il faut que nous nous posions sérieusement, pour toutes celles ceux que ce questionnement libertaire concerne, la question de comment nous organiser sans reproduire entre nous les fonctionnements autoritaires anti-subversifs que nous cherchons avec tant de cœur à abattre dans la société. Réfléchir à cette notion de « milieu » devrait aussi nous amener à nous poser la question (qui ne date pas d’hier) qui est celle de l’ouverture des idées révolutionnaires vers l’ailleurs, l’autre que soi et ses copains, question à laquelle une fois de plus nombre de réponses ne peuvent que nous insatisfaire, comme l’établissement maoïste, le populisme ou le paternalisme. Retrouvons-nous donc pour en discuter, non sans oublier aussi que, peut-être, ne peut exister de révolutionnaires sans Révolution…