A propos des identités et de leurs politiques
vendredi 8 février 19h
En cette chaleureuse période de reflux révolutionnaire, une folle passion pour les identités semble s’être emparée de nos contemporains. Querelles de chapelles théorico-politiques par-ci, vieux relents nationalistes par-là, et tout ceci sur fond d’une infâme bouillie de revendications contradictoires : tout est bon pour défendre son bout de viande, son terroir, son Marx ou son Kropotkine.
Halte-là, jeune citadin, vous déclamez trop vite !, me direz-vous. Mais, quoi ? Ne sommes-nous pas sommés de paraître à chaque heure ? Travailleurs Shiva fiers d’être employés de maison, femmes ou racisés élevés au rang d’avant-garde de la discrimination, citoyen bonne poire et toujours pas lassé d’une hypocrisie qui a déjà enregistré à son compte près de deux siècles d’entourloupes toutes plus lamentables les unes que les autres (ce serait cocasse s’il n’en allait pas de notre vie quotidienne), K-Way noir certain d’avoir vu dans le lecteur-le-plus-éloquent-du-comité-invisible son guide spirituel et le pinacle ultime de la vérité, chacun transforme le bout de son nez en univers. Or il est douteux que tout ces petits bouts de nez, même réunis dans la séparation, aient le charme ravageur qu’eut, dit-on, celui de Cléopâtre. Ainsi donc cette troupe de bouts de nez ne sera-t-elle pas à même de changer la face du monde. Ce qui pose d’autant plus problème depuis que les identités politiques, dans leur vieille version du type répétition-de-ce-que-des-gens-morts-ont-dit, ou dans son revival made in US à la sauce post-moderne, est devenu le point de départ (…et d’arrivée) quasi sacro-saint de toute lutte.
Il semblerait donc judicieux de questionner ce curieux acharnement à défendre sa chapelle.
Sollicités de toutes parts par les militants du prêt-à-penser et les marchands d’arrière-mondes de toutes espèces, la place semble nous manquer pour poser des questions, confronter les idées, et éclaircir un tant soit peu le schmilblick d’une si confuse époque… Car les identités politiques si assurément martelées reviennent bien souvent à aller à la rencontre du réel armé d’évidences – qu’on se refuse, avant tout, à mettre à l’épreuve de ce qu’il se passe. Et pourtant, il s’en passe des choses qui pourraient surprendre, intéresser, faire réfléchir, et dans lesquels on pourrait alors peut-être intervenir. En vérité, c’est une place à l’inconnu qu’il s’agit de ménager.
Dans cette tentative désespérée, chevaliers érotomanes de la réalité, reste à savoir quel rôle donner aux théories érigées en identités : puisque les idées peuvent, lorsqu’elles sont bien maniées, devenir dangereuses.
Y a-t-il, aujourd’hui et maintenant, une possibilité d’expérimenter et d’agir qui soit en-deçà ou en amont, des belles théories déjà constituées et des catégories sociomerdiques bêlement reprises par trop de milichiants ? Que produit cette nouvelle « politique des identités » ? D’où vient ce mesquin enfermement sur chaque micro-chapelle ? Et comment retrouver des perspectives révolutionnaires concrètes, dans ce paysage aussi délicieux qu’un éclair au café Monoprix ?