Rambo

Vendredi 17 janvier à 19h

Ted Kotcheff, 1983, VOSTF (USA), 97’

Ancien commando spécial pendant la guerre du Vietnam, John vagabonde à travers les États-Unis à la recherche de ses anciens camarades de guerre. Après avoir appris la mort d’un d’eux, il croise la route d’un shérif zélé du maintien de l’ordre au sein de sa ville, qui lui conseille de faire demi-tour. Il ne tiendra pas compte de cet avertissement et se confrontera alors à un acharnement policier qui le replongera dans ses réflexes guerriers qu’il mettra à profit pour se défendre face à sa traque et inverser les rôles. Un antihéros héroïque traumatisé par la guerre qui devient lui-même hors-la-loi, sombre, résolu, vindicatif et solitaire, un agent de l’ordre devenu inadaptable, qui retrouve une espèce de sauvagerie primitive dans une Amérique trop sûre d’elle-même, invivable et hostile qu’il ne comprend pas (et réciproquement) alors qu’il s’est battu pour elle, et dans laquelle tout se délite. Bien plus de subversion qu’on pourrait le penser à première vue dans ce blockbuster très efficace, icône du genre. Et puis les années 80, Stallone, son regard à la fois résolu, vide et perdu, sa coupe ineffable et son bandeau…

En pause jusqu’au 13 janvier

Le programme actuel étant terminé, les activités régulières (groupes de lecture, permanences et ciné-clubs) sont mises en pause pour reprendre avec le prochain programme le 13 janvier 2020, ou sera projeté, à l’occasion de notre cycle contre le Service National Universel (SNU), le film Rambo. Le programme de la rentrée sera disponible sur le site prochainement.

D’une Foire

Nous avons reçu ce texte par mail et il nous a fait chaud au cœur. Il raconte la façon dont la distro de la bibliothèque des Fleurs Arctiques s’est faite exclure de la Foire aux livres anarchistes qui se tenait fin septembre 2019 à Marseille. La réponse à l’accusation infamante de dissociation qui vise la revue Des Ruines (que nous distribuons) est à lire . Et ici chacun pourra lire le texte que nous avions apporté à la foire suite au refus très peu motivé qui avait été opposé par mail par « les organisateurs » à notre venue.
Nous avions notre place dans cette foire, comme tous ceux qui publient et diffusent des livres et brochures anarchistes et révolutionnaires. Nous y avons vu d’ailleurs des publication bien plus hétérogènes encore que les nôtres (pleines de communisme anti-autoritaire, voire d’alternative, voire certaines carrément confuses, voire pire encore). Mais nous savons d’expérience qu’il n’est pas de censeur plus zélé que celui qui a de bonnes raisons de vouloir échapper à tout regard critique.
La revue Des Ruines n’est pas une revue dissociative, tout le monde le sait, et ceux qui se sont fait virer à Marseille ont croisé bien des regards de gens qui le savent, l’ont dit, ou écrit, mais qui, pris par l’esprit de corps du moment, relayaient malgré tout l’invective.
Ce texte a le mérite de sortir de l’anecdote, pour ouvrir la possibilité d’une réflexion sur cette manière de faire de la politique à coup de rumeurs, de calomnie et d’infamie, pour refuser de s’y embourber et d’y pourrir.
Nous ne nous laisserons pas faire. Il est temps qu’un vent plus fécond souffle sur les terres stériles et boueuses des milieux à vocation subversive !
LFA

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Réédition de « Mort à la démocratie » de Léon de Mattis

Les Fleurs Arctiques proposent une nouvelle édition de Mort à la démocratie de Léon de Mattis, ouvrage publié en 2007 chez L’Altiplano et depuis longtemps épuisé. Les 3 textes qui le composent sont réédités en format brochure, augmentés d’un quatrième texte plus récent intitulé « Démocratie directe » revu depuis sa publication en 2017 dans l’ouvrage collectif Misère de la politique, l’autonomie contre l’illusion électorale aux éditions Divergences. Les quatre brochures sont réunies dans un coffret et l’ensemble est diffusé par nos soins à prix libre.

Pour faire une commande et/ou pour le diffuser, écrire à Bibliothèque Les Fleurs Arctiques, 45 rue du pré Saint-Gervais, 75019 Paris, ou passer sur place aux heures d’ouverture du lieu.

« La “démocratie directe” est une fausse bonne idée. Elle partage avec sa grande sœur la démocratie tout court le fétichisme de la forme. Elle pense que la manière d’organiser une discussion collective préexiste à la discussion elle-même, et que cette méthode est valable partout, en tout temps, et pour tous types de propos.
Défendre la démocratie directe, l’opposer, comme “démocratie réelle”, à la fausse démocratie politique qui régit l’État, c’est croire que notre nature véritable serait enfin révélée si d’aventure on se libérait des contraintes que le système fait peser sur nous : mais se libérer de ces contraintes suppose une telle transformation qu’à la fin du processus nous ne serions plus nous-mêmes, du moins nous ne pourrions plus être ce que nous sommes dans la civilisation du capital. »

Léon de Mattis, Démocratie directe.

Contre la politique, y compris celle de la dépolitisation

Vendredi 4 octobre 2019 à 19h

« La Révolution ne se trouve pas entre la gauche et un potager :
elle est ailleurs. »
Fox Mulder

La critique de la politique s’inscrit dans cette longue histoire qui a ré-insufflé un vent révolutionnaire là où des partis « révolutionnaires », des armées « révolutionnaires », des gouvernements « révolutionnaires » puis à nouveaux des partis « révolutionnaires » et leurs armées de militants « révolutionnaires », finissaient par s’imposer comme formes confiscatoires des poussées révolutionnaires, au nom des nécessités d’un pragmatisme de l’efficacité. La rupture avec la forme Parti et la critique du militantisme, fondatrices chez les anarchistes (ce qui n’empêche pas d’avoir à lutter contre des avatars tout aussi nuisibles d’organisations hiérarchiques en leur propre sein), fait l’objet d’une lutte interne aux courants communistes, et forme les courants communistes anti-autoritaires et anti-gestionnaires. Qu’elle creuse la question des travers inhérents à la constitution d’Organisations ou qu’elle s’affine (et s’élargisse) en critique du citoyennisme, on peut considérer qu’une lame de fond déclinée sous mille formes, y compris contradictoires entre elles mais toutes « anti-politique », a contribué à une rupture nécessaire avec la gauche et le gauchisme. Il s’agit donc d’en finir avec la forme Parti, mais aussi avec ses états éventuellement plus mous ou déguisés et mieux adaptés à ce monde comme le réformisme, le républicanisme, le démocratisme et leur jeu des partis politiques, le lobbyisme, le progressisme qui veut nous mener de son pas cadencé vers une démocratique fin de l’histoire, avec les politiques identitaires qui cherchent à nous Organiser en fonction de ce que nous sommes supposés être plutôt que de nos perspectives, avec le programmatisme dans la foulée, entre autres.
Au delà de tout ça, à chaque moment de lutte, dans chaque projet subversif se joue cette tension entre s’installer dans un culte pragmatique de la forme et le confort des compromis (le repos après la bataille, la « victoire » après la lutte, la gestion après la révolution) et laisser l’inventivité confrontative faire son chemin y compris contre ceux qui s’y croiraient installés.
Face à ces écueils mille fois ramenés, préférer la vie à la politique semble pouvoir constituer une boussole salvatrice pour rester dans l’inventivité confrontative.

Pourtant refuser la politique n’implique pas d’accepter voire de devancer la dépolitisation en cours.
Car il y a plusieurs manières de se défaire de la politique, Lui préférer le néant, grignoter la politique de l’intérieur à la manière du pays imaginaire de l’Histoire sans fin, en plus d’être bien souvent une autre manière de continuer à faire de la politique (« tout est politique », c’est-à-dire tout peut rapporter politiquement, même la dépolitisation), nous éloigne toujours plus radicalement des luttes et de l’émancipation.
Et en effet, il nous semble essentiel de ne pas abandonner les questions politiques et de tenter de s’y confronter de façon anti-politique. Or, dans cette perspective, proposer des discussions sur des sujets comme la Religion, la Réaction, les frontières, le travail ou la prison, c’est bien, en un sens, refuser les formes de dépolitisations en cours. Car de fait, ici comme ailleurs, on ne parle pas de tout et de n’importe quoi, le sujet des vertus bienfaitrices que les carottes ont sur la vue, la couleur des fesses, et l’amabilité de ceux qui s’en nourrissent n’est et ne sera (sans doute) pas abordé dans les discussions que nous proposons sur les questions de notre temps, par exemple. Que mettons-nous donc derrière les mots « politique », « dépolitisation », « anti-politique » ? Questions complexes s’il en est, puisque se joue ici la singularité de la perspective révolutionnaire et la vivacité des manières de se la poser : le choix de la vie contre la politique en somme. Si aujourd’hui on voit se répandre la perspective mortifère de la dépolitisation, à travers toutes ces formes de repli sur soi, son potager, sa famille, son squat, sa bande affinitaire, sa communauté, ses traditions, de peur des autres, de sécurisation des rapports, et ce au cœur même des milieux les plus militants, c’est que la tentation semble grande de se glisser dans le moelleux d’une époque qui ne cesse de se reproposer comme solution aux problèmes qu’elle pose, et d’en accepter les formes les plus politiques de maintien de l’existant : la dépolitisation qui ne cesse de venir n’est rien d’autre qu’une des positions politiques confortables pour que le monde perdure. Ce climat dépolitisant fleurit dans ce sol meuble où on lutte plus contre la complexité, les « sachants » et la spécialisation que contre l’Etat, où le ressenti devient le départ et l’arrivée de toute pensée, ou l’argument d’autorité (par exemple l’identité) remplace le conflit et l’argumentation, ou être suffit à faire croire qu’on lutte.
A partir d’une réflexion anti-politique contre la hiérarchisation et la spécialisation par exemple, on finit par adopter comme acceptable la perspective de prôner l’autogestion du recyclage des excréments (Cf. Comment composter sa merde sans paniquer, disponible sur le site infokiosques.net), ou encore comment « mur par mur et pierre par pierre » construire dans ce monde de façon autogérée (cf Pierre par pierre – mur par mur sur le même site). Au-delà de l’anecdote, l’essentiel devient de ne pas paniquer, de maîtriser sa vie, ses désirs, ses déchets et son empreinte carbone.
La question ici n’est pas de classer dans un tableau ce qui est politique et ce qui ne l’est pas, ce qui est anti-politique et ce qui est dépolitisé. la question est plutôt de repenser le terme « politique » dans son contexte actuel, de réfléchir à cette étrange oscillation entre antipolitique et dépolitisation, et peut-être par ce biais d’ouvrir des questions comme celle de l’intervention révolutionnaire. L’enjeu, c’est celui de la réanimation d’une rupture forte et anti-politique avec la perspective réformiste, mais aussi celui de la création d’une rupture à la racine avec la dépolitisation en cours qui ne cesse d’être de plus en plus compatible avec les formes actuelles les plus normales de la politique.

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Vidéodrome

David Cronenberg,1984, vostfr (Canada), 88′

Lundi 7 octobre 19h

 


 

« Television is more than reality, reality is less than television » P. Oblivion

Un producteur cynique de films porno cherche de quoi relancer l’excitation d’une clientèle très vite blasée par une profusion de productions lucratives et sans autre intérêt. Suite à un piratage d’ondes, il tombe sur un programme clandestin, Videodrome, qui va attiser sa curiosité jusqu’à l’obsession, bouleverser sa vie, rentrer littéralement en lui jusqu’à ce que la fiction rende la réalité elle-même fantastique, déforme les corps en même temps que la réalité du snuff-movie détruit la fiction. Ce film des débuts de la carrière de Cronenberg n’est pas seulement une explosion d’images fantastiques hybridant le corps et la machine avec une inventivité hallucinante, au service d’une critique acérée et ironique du désir d’image à l’ère télévisuelle. Il met en scène et questionne la manière dont la réalité de la souffrance et de la torture sert les exigences toujours plus intenses d’un désir de fiction que la fiction ne peut satisfaire et comment c’est l’humanité du spectateur-voyeur qui s’y retrouve déstabilisée, hybridée, détruite par cet inverse du « supplément d’âme », cette espèce de « supplément de vérité corporelle » que le désir recherche, sans fin, jusqu’à l’insupportable.

 

Le Tambour

Volker Schlöndorff, 1979, vostfr (Allemagne), 162′

Vendredi 18 octobre 19h

 

Ce film de Volker Schlöndorff adapte en 1979 le roman de Günter Grass paru en 1959. Un enfant né en 1927 en Allemagne va refuser de grandir et poser un regard hyper lucide, subversif et acéré sur le monde dans lequel il refuse s’intégrer et littéralement d’évoluer. Le tambour qui lui a été offert pour ses 3 ans et le cri perçant qu’il pousse à la face des adultes et du monde tel qu’il va dans le contexte de la montée du nazisme et de la 2ème guerre mondiale vont remplacer la parole et exprimer son refus radical de se mêler à ses semblables, au point qu’il sera surnommé « le Tambour ». L’acteur extraordinaire David Bennent va jouer ce personnage hors du commun, adulte bloqué dans le corps d’un enfant de 3 ans, de manière absolument sidérante, avec cette souffrance renvoyée sans médiation à la famille, au monde, à l’Histoire qui la cause et cette détermination absolue à ne pas s’y résoudre qui nous renvoient à une forme de révolte fondamentale. La voix off nous fait partager ce regard de l’enfance déterminée à ne pas devenir adulte, et cette rupture avec le monde, mettant en évidence à quel point la société exige une connivence permanente avec ses codes, ses présupposés et ses perspectives. Et son cri et le roulement de tambour qui l’accompagnent nous transpercent bien au-delà du film et de l’histoire extraordinaire qu’il raconte.

Hulk

Ang Lee, 2003, vostfr (USA), 140′

Lundi 4 novembre 19h

Boom… Boom… Boom… Ce n’est pas le cœur de Bruce Banner qui fait ce bruit sourd et inquiétant, similaire à celui d’un volcan trop longtemps endormi toquant aux portes de la terre, C’est bien le cœur de Hulk, la bête, le monstre. Cette « abomination » verte à la taille proportionnelle à l’ampleur de sa colère est l’incarnation d’une rage et d’une violence sans mesure contenue dans un simple être humain, Bruce Banner, donc. Ce dernier, petit scientifique en herbe s’intéressant de très près à la question de la régénération des tissus du corps humain, va bientôt devenir le centre d’intérêt des plus hautes sphères de l’appareil militaire. D’abord pour ses travaux, avec cette porosité quasi fusionnelle qu’à toujours la science avec l’Etat, puis pour lui même, car l’armée voit en lui la clef de l’arme ultime, le fantasme du Super Soldat invincible.

Bruce Banner, lorsqu’il s’énerve, lorsque sa colère éclate, laisse place à Hulk, le colosse presque muet, que tous essayent d’attraper et d’emprisonner. Personne ne comprend cette bête inhumaine, pas même Bruce Banner, qui pourtant s’acharne à essayer de trouver l’origine de sa naissance dans son passé.

Il essayera, tout au long du film, de lutter contre le père et le militaire, deux figures autoritaires qu’une complexité certaine éloigne de la simple figure caricaturale, avec toujours la problématique suivante : Se défaire de l’autorité, lutter contre, et sans jamais se laisser ingérer, le normaliser, intégrer à la bonne marche du monde. Hulk semble alors se rapprocher pour nous d’une figure qui n’est pas sans nous rappeler la guerre sociale, toujours tiraillée entre rupture et connivence, luttant contre un monde qui l’aspire de toute part, pour la liberté.

Au delà du fait que les mouvements de Hulk ressemblent à ceux de King Kong, ce film est projeté dans le cadre de notre cycle au long cours de films de Kaiju, nous souhaitons rapprocher ce grand monstre vert de ses cousins japonais, porteurs d’un monde nouveau dans leurs cœurs inatteignables, que ce monde essaiera toujours d’engloutir, mais qui seront évidemment plus grands que la vague.

Contre le service militaire 2.0, contre l’encasernement, pour l’insoumission

Samedi 9 novembre 19h

« Il n’y aura pas d’insoumis, au sens pénal du terme, il n’y aura que des jeunes ayant échoué – à un moment de leur trajectoire – à comprendre le plein sens des valeurs d’égalité et de fraternité, passagers clandestins d’une société à l’amélioration et à la générosité de laquelle ils apparaitront comme ayant renoncé. »

Le Service National Universel, SNU, arrive bientôt dans la réalité de notre quotidien. Aujourd’hui plus que jamais, les pubs pour l’armée sous ses diverses formes poussent sur les abribus, sur les panneaux publicitaires, et dans les « salons de l’étudiant », l’armée est présentée comme une solution au désœuvrement et à l’échec scolaire, un environnement sain où l’on va pouvoir prouver sa valeur à soi et à la société tout en faisant le Bien. Une propagande éculée est vomie à nouveau dans une sauce modernisée, avec inclusivité et anti-racisme (sur les affiches seulement, on imagine…) pour les besoins du moment. Et plus le temps passe, plus l’armée devient à nouveau normale, acceptable, voire potentiellement désirable, elle qui, depuis les années 90, avait fini par perdre globalement son aura auprès de tout un chacun, processus finalement clôt avec la fin du service militaire obligatoire. Le bidasse viril se traînant dans la boue ne faisait plus recette. Et voilà que le processus inverse se déroule sous nos yeux, favorisé par les aspirations médiatiquement manufacturées au repli patriotique et protectionniste post-attentats, il prend forme avec une rapidité déroutante, en même temps que se développe par tous les bouts du champ politique institutionnel le recours aux valeurs moisies du populisme et du nationalisme que personne ne peut considérer de nos jours (si ça a jamais été le cas) comme « des idées de droite ».

Ce retour en force prétend pourtant à la nouveauté : ce « projet de société », comme l’appelle l’Etat, se propose comme un « compromis », un parfait équilibre atteint entre la précédente et relativement insignifiante Journée d’Appel (qui, avec les cours d’éducation civique, a quand même maintenue la place de l’armée dans nos vies, avec cet égalitarisme formidable qui l’a généralisée à toute la population) et le bon vieux service militaire. Au menu de la caserne 2.0, on apprendra dès l’adolescence la cohésion de groupe, l’union nationale, le respect de la patrie, de ses symboles, à être éco-responsable et, bien sûr, le souci partagé de la défense de la nation.

Ce serait une énorme erreur que de ne pas se préoccuper de cette question au plus vite. Les textes de lois sont prêts, votés, des batteries de tests on été effectués sur environ 2000 volontaires de toute la France. Dans les textes, on hésite encore sur la durée, un mois, deux semaines, on s’interroge sur la législation précise, mais une chose est sûre : le service militaire 2.0 passera, dusse-t-il être revu en cours de route ; et quelle que soit sa durée, ça commencera à la fin du collège et chacun sera fortement incité à « l’engagement civique » auprès de l’armée pour la vie.

Si sa durée reste pour l’instant bien inférieure à celle de l’ancien service, le projet du SNU prend des proportions très inquiétantes et le présente comme une institution sociale très centrale qui deviendrait un passage obligé et nécessaire en lien étroit avec la scolarité et pourrait devenir aussi une étape dans l’obtention du permis de conduire. En effet, le lien entre école, nation et forces répressives (police, justice et maintenant armée) ne fait que se renforcer un peu plus, poursuivant le fil réactionnaire des vertus « éducatives » du vieux service militaire : l’école prépare à la citoyenneté, de plus en plus ouvertement liée à l’armée, et à l’Ordre plus généralement. Le SNU s’inscrit dans une continuité avec l’école où le petit citoyen en devenir intègrera la nécessité militaire. D’ailleurs c’est au SNU que sera probablement confié la tâche de contrôler l’acquisition du « socle commun de connaissances » post-brevet.

Quelle que soit sa potentielle forme définitive, le SNU, c’est aussi un élément dans cette fascination nouvelle et sidérante pour l’armée, la nation, la France, le résultat du matraquage idéologique post-attentat qui curieusement, et de façon désolante, a l’air de marcher beaucoup plus que ce qu’on aurait pu imaginer. C’est le moment ou jamais de renouveler la critique du sale discours de la France-défenseuse-des-valeurs-occidentales et dernier-rempart-contre-la-barbarie.

Alors pourquoi ce projet rencontre-t-il si peu d’opposition ?

L’histoire anti-militariste, celle des désertions, du refus de l’armée et de la guerre, l’importance qu’a pu avoir le mouvement de l’insoumission contre le service militaire dans les années 70 n’est pourtant pas si ancienne ; l’armée, ses guerres ainsi que les formes offensives et subversives de pacifisme et de refus qui s’y sont opposé sont encore bien fraîches dans les mémoires.

Il est indispensable d’agir contre le SNU, contre l’armée, contre la nation.

Être offensif contre ce projet, contre l’Etat qui joue ici un gros coup sur la bataille de la normalisation, est nécessaire, si nous prétendons nous battre contre ce monde, contre l’Etat et le pouvoir. D’ailleurs ne pourrait-on pas voir aussi le SNU comme un des éléments d’une batterie de mesures stratégiques et contrinsurrectionnelle en réponse au mouvement des Gilets Jaunes ?

On ne propose pas ici de réactiver des initiatives vaines et para-humanitaires du passé comme « food not bomb », ni de critiquer le SNU avec la nostalgie réformiste de la journée d’appel, mais de réfléchir ensemble aux moyens à notre disposition pour lutter, aujourd’hui, contre l’armée, la cohésion nationale et la patrie, et cette forme particulière de propagande qui cherche à s’immiscer dans la vie de tout un chacun, dans une perspective réellement anti-autoritaire et révolutionnaire.

Parce que « voir du pays » ne peut pas nous faire accepter l’armée, on pourra réfléchir ensemble le 9 novembre au SNU, commencer à en déjouer la propagande, à en comprendre les enjeux d’Etat dans l’époque actuelle dans la perspective d’en détruire les fondements et les présupposés.

 

The Lobster

Yorgos Lanthimos, 2015, vostfr (Grèce),119′

Lundi 18 novembre 19h

L’amour peut être ce qui violemment nous donne envie de nous révolter, il peut être la goutte d’eau nous faisant prendre conscience que, décidément, ça n’est pas et ça ne sera pas dans ce monde que nous pourrons explorer librement des désirs, des singularités, des rapports à l’altérité. Des amants souffriront cruellement au matin de devoir aller travailler, et feront, peut-être, le choix de rester au lit, de lutter contre tous les ersatz de passion et contre tous les réveils impératifs.

Ou alors, cette tension de la révolte que nous pouvons partager dans l’amour comme dans l’amitié, ou comme dans toute forme de relation cherchant à rencontrer un autrui, et non pas une représentation (la femme, le marié, le père, la réussite sociale…), peut être étouffée, rendue inaudible par un carcan moral et un dispositif social validant les moeurs, en interdisant d’autres. C’est ce que filme jusque dans ses retranchements les plus sombrement absurdes le réalisateur Yorgos Lanthimos dans The Lobster : toute personne n’ayant pas « trouvé l’amour » (comme on trouve un métier, une maison, une chemise) est envoyé dans une véritable colonie maritale, harem dont le pacha est la société qui se satisfait de l’ordre en se faisant l’entremetteur des personnes. Si le célibat demeure au bout de 45 jours, l’échec aboutit à la transformation en animal. Ceux qui ne se conforment pas à la civilisation et à ses relations prescrites seront définitivement mis au ban. Nous suivons alors l’histoire de David dans le camp, qui sera changé en homard s’il ne trouve pas une concubine avant la date de péremption de la dite normalité.