Fermeture temporaire de la bibliothèque

À partir de ce lundi 16 mars, nous reportons les événements publics annoncés dans notre programme jusqu’à ce que l’évolution du coronavirus et de la gestion étatique de la crise qu’il provoque permettent à nouveau l’ouverture du lieu. Avec la situation d’autres pays en tête (pour certaines, beaucoup plus avancés dans la propagation du virus comme de l’arsenal gestionnaire mis en place par l’État) il est nécessaire de réfléchir à ce qu’il se passe en ce moment, à l’évolution des normes, au monde qui change, vite, et avec chacun cloîtré chez soi. Un peu partout, on commence à réaliser que l’on se retrouve bien vite pris en étau par une menace virale à ne pas traiter à la légère et par l’État qui, comme toujours dans des situations de crise en profite pour mettre en place de nouveaux outils de contrôle et de répression, pour expérimenter en même temps qu’il institutionnalise un rapport au monde répressif, hygiéniste et atomisé, et dont les mesures d’exceptions qu’il implique ne manqueront pas, comme toujours, de survivre à ladite crise.

En tout état de cause, nous restons solidaires de celles et ceux que la « gestion optimisée » de l’épidémie laisse de côté, ceux et celles qui sont et seront contraints de travailler, de soigner, solidaires des travailleurs ubérisés ou sans papiers, privés de chômage technique et d’indemnisations, ainsi que tous ceux qui payeront cher le prix de cette expérimentation d’isolement à grande échelle. En premier lieu, c’est aux enfermés de la machine carcérale française et internationale que nous pensons aujourd’hui, qui pourraient se révolter face aux conditions de torture qui leur sont déjà infligées « exceptionnellement » depuis le début de l’épidémie, en plus de la normalité continue de la situation intolérable, et par définition confinée, d’incarcération qu’ils subissent déjà. Le courage immense des prisonniers révoltés de ces dernières semaines en Italie ainsi que leur terrible répression sont autant de raisons de ne pas les laisser seuls dans la puanteur de leurs cellules.

Nous pensons aussi à tous ceux et toutes celles qui vont se retrouver à tourner en rond dans des logements minuscules dans des situations propices à toutes les angoisses,tous ceux et toutes celles pour qui se protéger du virus impliquera d’être livré à la maltraitance conjugale et familiale de la sacro-sainte « famille nucléaire », ceux et celles que l’État a décidé de livrer à la pire des solitudes dans ces autres prisons de l’oubli que l’on appelle EHPAD, à tous les sans-abris qui vont se retrouver laissés pour compte ou parqués on ne sait encore où…

Quels vont être les dégâts sur nous les humains, nos psychismes, nos corps, notre désir de liberté, notre capacité à l’insurrection ? Les réflexions autour de ces questions, ne pourront venir que plus tard, elles seront pour sûr difficiles mais ne feront qu’accentuer l’espoir de la possibilité d’un dépassement de ce monde de merde.

Quoiqu’il en soit de la nécessité de limiter la propagation de ce virus, la gestion a ses raisons qui ne sont pas les nôtres et nous serons, par tous les moyens que nous pourrons trouver, aux côtés des révoltes qui s’opposeront aux dommages directs, latéraux et collatéraux qu’elle va susciter et dont personne encore ne peut mesurer l’ampleur.

Contre la misère dans laquelle cette gestion va laisser tous les indésirables de ce monde, pour la révolution !

Mars attacks

Tim Burton – 1997 – VOSTF (USA) – 106’

Lundi 9 avril à 19h

Les martiens sont annoncés. On n’est pas déçus, ils sont petits, verts, pas très avenants et ils débarquent dans de magnifiques soucoupes volantes dignes des meilleures séries Z des années cinquante. Ils atterrissent dans une Amérique post-post-guerre froide et guerre du Vietnam, une Amérique inclusive et fière de ses bons sentiments, symbolisée par le sourire borderline ineffable de son président, incarné par Jack Nicholson. Alors on leur sort le tapis rouge, on les accueille à bras ouverts, on traduit leur langage, on les aime déjà, malgré leur aspect objectivement inquiétant et repoussant. On va faire un grand pas pour l’humanité. « Nous venons en paix » traduit la machine qui fait bip bip, retransmise par les télés du monde entier. Mais la colombe de la paix lancée par un des hippies hystérisés par l’occasion sera réduite en cendre ainsi que tous les participants à la cérémonie de bienvenue, grâce à une arme suprême, en l’occurrence un pistolet d’enfant qui carbonise tout ce qui passe en le mettant littéralement à nu : les os puis plus rien. Les intentions de ces martiens sont absolument mauvaises. Tim Burton joue avec le genre du film de martiens pour réaliser une fable grotesque, jouissive et acide contre la culture américaine dans laquelle il a grandi, les bons sentiments et la pacification sociale. Et c’est toutes les normes sociales qui vont se retrouver mises à nu et anéanties par le passage de ces petits hommes verts radicalement méchants, absolument ingérables, complètement cyniques, qui démystifient en un quart de seconde ce rêve américain en plastique. Yak yak !

Contre les frontières, leurs prisons et le monde qui les produit

Samedi 14 mars à 19h

Discussion proposée par des participants à la bibliothèque des Fleurs Arctiques et au journal De Passage

 

Depuis qu’il y a des barrières, il y a des gens pour sauter par-dessus et pour les abattre.

Partant du principe de la liberté pour tous – liberté de circulation, liberté d’installation si l’on veut, mais avant tout liberté impossible à débiter en petits morceaux qu’on défendrait chacun à leur tour, puisqu’il s’agit de la liberté de vivre sa vie –, nous voudrions proposer de discuter des frontières dans l’optique de s’opposer à leur existence et à la matérialité de leur présence dans nos vies aujourd’hui. Il ne s’agit pas de les conceptualiser, de les aménager, d’en gérer la traversée, de les hiérarchiser. Il s’agit de voir en quoi les frontières nous emprisonnent tous, en permanence, quelle que soit la manière spécifique dont elles se manifestent à chacun. Il s’agit, en dernière instance, de les trouver et de les combattre. Une réflexion s’impose, non pas parce que la question serait très compliquée, mais parce que ce qui était largement partagé, voire évident, dans les luttes passées, semble, vu d’aujourd’hui, largement perdu. Si ce rétrécissement de la critique est nuisible, c’est parce qu’il réduit fatalement le champ des possibles aujourd’hui. À nous de poser les choses autrement et de rendre visibles les réalités de l’omniprésence des frontières.

 

Contrairement à ce qu’on pourrait croire en prenant au pied de la lettre l’observation d’un atlas, les frontières sont partout. On pourrait se les représenter comme de simples traits sur une carte, une ligne de crête, un fleuve avec des douanes, ou de simples murs et de bêtes barbelés. Mais non, les frontières sont des espaces, des territoires, bien plus que des lisières. Si les murs, les postes douaniers et les barrières naturelles sont autant de lignes de front où les États peuvent tester leur efficacité meurtrière, tout comme pendant les guerres, les frontières quadrillent l’ensemble des espaces de la société : elles sont dans les gares, les zones d’attente, les aéroports, les moyens de transports, les lieux de travail, de commerce et de divertissement, et même sous les pieds des migrants pris à l’entrée en France, qui sont considérés comme hors du territoire même si on les y déplace pour gérer leur enfermement et leur expulsion. De même, les frontières ne sont pas une limite continue qui pourrait être absolument ouverte ou fermée, elles sont l’organisation pratique et permanente d’un tri entre ceux qui passent et ceux qui ne passent pas, ceux qui auront peut-être le droit de rester le temps d’éprouver leur capacité à se faire exploiter et ceux qui seront forcés à repartir, faisant vivre tout un pan de la population sous la menace permanente de la traque, de l’enfermement et de l’expulsion. Les frontières sont le lieu d’un contrôle permanent de qui est où, pour combien de temps et pourquoi. Nous ne vivons pas entre des frontières, mais traversés par elles : partout où un contrôle peut donner lieu à un tri entre ceux qui ont le droit d’être là et ceux qui ne l’ont pas, c’est une frontière qui s’érige.

 

La frontière, c’est avant tout une machine qui sépare les êtres à travers différents statuts administratifs. Mais cette séparation implique quelque chose de bien plus large: la prison pour ceux qui traversent sans autorisation, les conditions de travail spécialement dures pour ceux qui n’ont pas le droit de travailler, la constitution d’une identité abstraite pour ceux qui sont d’un côté et de l’autre de la frontière… En bref, toutes les sales petites cases que produit ce monde, et toute la machinerie qui les impose au réel, aux gens, avec plus ou moins de violence physique et psychique. La frontière se retrouve au carrefour de toutes les séparations, pour cette raison précisément, elle n’est pas l’un des milles morcellements spécifiques de la question sociale que les temps actuels dessinent. Les frontières ne sont que le lieu par excellence du grossissement et de la cristallisation de ce que ce monde offre d’exploitation et de domination pour tous.

 

Lorsque les gens, avec ou sans papiers, dorment à la rue alors que les riches ne savent que faire de leurs maisons de vacances, ne s’agit-il pas de la vieille question de la propriété privée ? Les flics et les contrôleurs qui peuvent nous embarquer faute de papiers en règle, ne sont-ils pas les mêmes que ceux qui nous embarquent parce que nous ne sommes pas en mesure de payer ? Les prisons, quel que soit le statut admnistratif des personnes qui y sont enfermés ne sont-elles pas fondées sur le même principe de régler leur compte à ceux qui n’ont pas su se rendre utiles ? Enfin, le fait d’avoir à préparer une narratologie des souffrances à destination des autorités de l’Ofpra ne ressemble-t-il pas, de plusieurs manières, à la façon par laquelle la société actuelle nous force à vendre nos vies transformées en CV adaptés à la demande, ne serait-ce que pour quelques centimes de survie ? Autrement dit, la fameuse question de l’ « intégration » à une société – et pas n’importe laquelle ! – se pose en réalité à tout le monde, qu’on soit citoyen ou étranger. Les papiers ne sont qu’une étape particulièrement difficile à franchir, parfois juste temporaire, comme le savent tous ceux qui sont parvenus à les obtenir. Les frontières, omniprésentes, font partie des rapports sociaux qui nous séparent les uns des autres, qui divisent entre les sans et avec statut administratif comme ils divisent entre les sans et avec travail, les sans et avec capital, les sans et avec propriété. C’est bien pour cela qu’il est impossible de s’attaquer aux frontières sans mettre en cause l’organisation sociale elle-même, régie par l’exploitation et administrée par l’État.

 

C’est pourquoi nous décidons de nous saisir de cette question, à partir de nos situations et expériences évidemment différentes selon ce que nos lieux et contextes de naissance ont bien voulu faire de nous. Nous sommes convaincus qu’il n’y a pas plus « premier concerné » que celui ou celle qui refuse un monde bâti sur ces séparations qui empêchent de penser, qui empêchent la solidarité. Lutter contre les frontières, c’est donc d’abord refuser les divisions à l’infini propres à l’État et au capital, et parfois hélas reconduites au sein même des formes de conflictualité sociale : étrangers contre citoyens, travailleurs détachés contre « fixes », réfugiés contre sans-papiers, travailleurs « producteurs de richesses » contre « assistés », militants contre « premiers concernés », etc. Les différences de statut ne peuvent pas être occultées, mais elles doivent être prises en considération avec la perspective claire de les détruire. Plus concrètement, cela veut dire refuser non seulement toute forme de nationalisme, de racisme ou de xénophobie, mais aussi toute revendication ayant trait à une catégorie nationale – une nation, un peuple, une citoyenneté, une minorité – et pas une autre. Car si l’État s’autorise une telle brutalité contre les étrangers pauvres, c’est parce que celle-ci est normalisée par le racisme ambiant, par la xénophobie et par la banale « préférence nationale ». Les frontières n’« appartiennent » pas plus à « nous » qu’à « d’autres » ; elles n’appartiennent qu’aux États. C’est pour cela que la réponse adéquate à la question ne peut être que globale, internationaliste… et révolutionnaire.

 

L’un des écueils (à moins qu’il ne s’agisse d’une stratégie ?) les plus courants de notre époque consiste à créer une représentation séparée des « migrants », qui n’existent plus que par le récit des souffrances vécues. Face à ces souffrances, on ne peut rien faire d’autre que compatir, diffuser ces mêmes récits que l’Etat leur réclame et se mettre dans la position extrêmement limitée et problématique de « soutien » . Un rapport étrange s’institue, et, sous le prétexte de l’autonomie des étrangers sans-papiers, ceux qui en ont sont assignés au rôle de simples témoins. Les « migrants » eux-mêmes se retrouvent jetés dans une foire d’empoigne politique où s’exercent tous les fantasmes de la bonne conscience militante de gauche et d’extrême gauche. Il est temps de s’opposer à cette sordide division du travail entre ceux d’ « ici » et ceux de « là-bas ». La lutte contre les frontières appartient à tous ceux qui s’en saisissent, d’où qu’ils viennent et quel que soit le statut que l’Etat leur concède. Il s’agit de se battre au delà des situations particulières de chacun pour s’y attaquer. Il ne faudrait oublier ni la singularité du statut administratif ni le fait que c’est l’État qui cherche ainsi à encager chacun dans des cases bien délimitées. Les refuser, c’est à la fois s’opposer à la guerre de tous contre tous et élargir le champ d’émancipation possible pour tout le monde. C’est à travers ce refus que pourrait s’élaborer la question de la solidarité, qui s’impose dès lors qu’on partage une perspective de lutte. Comme le disaient quelques révolutionnaires d’autrefois : Étrangers, ne nous laissez pas seuls avec les français !

 

De nombreuses luttes, confrontations et révoltes ont eu lieu par le passé, ou se déroulent de nos jours de par le monde : des nombreuses tentatives d’empêcher les expulsions aux mises à sac des charters par les expulsés, des tractages et affichages aux sabotages contre les constructeurs et les gestionnaires des centres de rétention, des occupations des locaux de collabos de la machine à expulser aux révoltes dans les prisons… Les occasions de se confronter aux frontières sont très nombreuses, à nous de partir de la situation actuelle pour retrouver des pistes offensives !

Afin de réfléchir à cette question qui ne sera jamais épuisée, il pourra être intéressant de revenir sur des séquences précises de lutte, des textes, des brochures, parlant de l’histoire des luttes ou de choses plus actuelles, qui ont tenté de contribuer à la lutte contre les frontières. Nous avons largement de quoi nous inspirer, discuter, critiquer, pour reconnaître aux mieux les horizons qui sont les nôtres aujourd’hui.

Tant qu’il y aura des frontières, il y aura des gens pour sauter par-dessus et pour les abattre.

 

Pour en finir avec la machine à expulser, ses frontières, ses prisons et le monde qui en a besoin.

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Pourquoi l’Appel est une impasse – Compte-rendu d’un groupe de lecture impossible

Cliquer sur la couverture pour telecharger la brochure au format PDF

Dans le cadre du groupe de lecture proposé par la bibliothèque Les Fleurs arctiques, nous avions prévu une lecture collective et commentée de l’Appel. Nous voici donc une dizaine d’âges et d’expériences divers, prêts à échanger autour de ce texte, comme nous le faisons de façon hebdomadaire autour de textes d’intérêt et de facture très divers depuis maintenant plusieurs années. Il nous faut peu de temps pour nous rendre compte que d’une part nous tournons en rond tellement ce qu’il y a à dire de ce texte est avant tout une affaire de forme, qui reste au fond toujours la même, et d’autre part nous percevons à quel point prendre au sérieux ce texte comme nous avons l’habitude de le faire pour d’autres, c’est déjà s’y soumettre, puisque c’est avant tout un texte qui asservit, qui enrôle, qui embrigade. Pour le reste, bien peu à se mettre sous la dent. Alors nous mettons fin à l’expérience, et, pour la première fois, un projet de lecture tourne court, et voici le comment du pourquoi de ce groupe de lecture impossible.

Cette brochure est une coédition entre le groupe de lecture de la bibliothèque révolutionnaire Les Fleurs Arctiques (Paris) et Ravage Editions, éditeur anarchiste de livres et brochures à Paris.

Elle est désormais disponible aux Fleurs.

De Passage n°2 : Armée, n.f.

Le nouveau n° de De Passage est arrivé dans la distro des Fleurs !

De Passage #2 est imprimé ! Vous pouvez consulter le PDF ici, mais le papier c’est le mieux. Pour avoir des exemplaires, n’hésitez pas à nous contacter par mail pour qu’on fasse des envois. Autant qu’on sache, il est possible d’en trouver à Paris, à Bordeaux, à Strasbourg, à Marseille, à Toulouse, à Alès, dans le Jura et les Alpes… à compléter selon vos propositions.

Tous les retours critiques sont bienvenus par mail. Bonne lecture et merde à la guerre !

Pour accéder à une liste pas du tout exhaustive de nos lectures (plus ou moins recommandables !) pour ce numéro, c’est ici.

Contre le chacun chez soi, pour les révoltés de partout et d’ailleurs

Quel internationalisme révolutionnaire aujourd’hui ?

Vendredi 24 avril à 19h

Faire exister des rapports avec les révoltes d’ailleurs, qui ont lieu dans d’autres endroits que ceux ou chacun se situe précisément,est d’une importance capitale d’abord . Déjà, c’est la porte qui permet de sortir des raisonnements étriqués, coincés à des échelles absurdes et bien souvent aussi institutionnelles que mythologisées comme la ville, le quartier, ou encore le pays, le peuple ou la nation. Ce faisant, le discours s’affine en trouvant le chemin d’une universalisation concrète, du côté des luttes et des révoltes ce qui permet alors une attaque et une critique de l’État, à titre d’exemple, mais l’État de manière générale, et pas simplement de l’État français, américain ou chilien. Un des questionnements, que l’on pourrait voir comme un des enjeux de l’internationalisme, devient alors de garder la complexité de chaque situation singulière tout en pensant, critiquant et attaquant l’ensemble.

C’est un questionnement nécessaire, car il découle de la pensée qui aborde l’État comme une structure de pouvoir allant à l’encontre de la liberté de chacun comme de tous, et que ce « chacun » et ce « tous », pour recouvrer cette liberté, doit l’attaquer et la critiquer dans ses fondements, et ce quelque soit son histoire où l’endroit où il y est confronté. Ces raisons viennent évidemment conforter une empathie immédiate avec les révoltes d’ailleurs, qui peine parfois à trouver de quoi se réaliser dans la pratique.

Des brigades internationales pendant la guerre d’Espagne à l’attaque des intérêts d’un État contre lequel d’autres se révoltent, en passant par les luttes contre les guerres coloniales, l’élan internationaliste a d’ailleurs une histoire, et toujours les révolutionnaires de toutes sortes ont cherché à dépasser l’enfermement de « leurs » frontières pour se solidariser en parole et/ou en actes avec d’autres révoltés ou révolutionnaires et ne pas se satisfaire de considérer que la révolution se fera parce que chacun lutte là où il est. Néanmoins, cette histoire a aussi montré certaines limites. Limites de l’anti-impérialisme, avec ses écueils « orientalistes » (vive la violence et les armes quand ça se passe loin et que c’est « exotique », mais vive les élections et les pétitions gauchistes ici…), ou sa tendance à prendre les dirigeants issus de la décolonisation, et parfois même des tyrans sanguinaires comme Ho-Chi-Minh, Mao, Pol-Pot ou Khadafi, pour des figures révolutionnaires, confondant ainsi les révoltés avec leurs nouveaux dirigeants.

Limites, certes beaucoup moins graves, mais à réfléchir quand même, du « tourisme militant » qui peuvent conduire à se déplacer de révolte en révolte ici ou là pour n’y chercher finalement rien d’autre qu’un maximum d’adrénaline. La solution serait-elle alors de se replier sur des enjeux strictement locaux et immédiats, de ces enjeux dont nous serions sûrs d’être les premiers concernés ? D’autant plus dans une époque où se développe une pensée et des pratiques particularistes dans le sens ou l’objectif n’est plus l’analyse et l’attaque globales, mais devient la particularisation de chacun dans sa petite situation, sa petite identité toujours plus restreinte et étriquée, définie par mille mots et définitions, milles cases toujours plus petites.

On se focalise sur une portion de lutte, un quartier par exemple, en ne cherchant jamais à mettre en exergue les aspects communs que peuvent avoir des situations singulières, mais en cherchant à montrer au contraire à quel point les conditions de chacun sont différentes et séparées. C’est bien parce que nous ne le pensons pas que nous proposons cette discussion. Alors ce sera l’occasion à la fois de reparcourir différents moments de cette histoire, mais aussi de se demander quel internationalisme peut être mis en pratique aujourd’hui.

Le vent se lève

Ken Loach – 2006 –  VOSTF (Angleterre) – 124’

Lundi 20 avril à 19h

Le vent se lève, sorti en 2006, est un film de Ken Loach qui inscrit son récit dans les guerres irlandaises de 1919 à 1923. Guerre contre l’occupant britannique de 1919 à 1921. Guerre civile de 1921 à 1923. Le film retrace le parcours de deux frères, Damien et Teddy O’Donovan, tout deux membres de l’IRA et confrontés aux différentes phases du conflit. De l’unité d’abord, face à l’empire britannique. Aux divisions ensuite, entre partisans du compromis par la partition du territoire irlandais, et volonté de poursuivre la guerre jusqu’à la victoire totale. Le réalisateur livre ici une splendide fresque poétique, entre courage, renoncements et trahisons, sur fond de paysages irlandais diablement bien filmés. Une fresque politique également, à la subjectivité assumée. Le réalisateur, qui réclama en 2013 la privatisation des obsèques de Margaret Thatcher, est sans équivoque dans le portrait qu’il dresse de l’occupant et des « Black & Tans » (unité auxiliaire composée d’anciens combattants de la première guerre mondiale). Sans équivoque aussi dans son positionnement en faveur de la poursuite du conflit, contre les partisans du compromis. Malgré son côté poignant et l’attachement que l’on porte aux protagonistes (notamment grâce à un Cillian Murphy en pleine forme à tout pile trente ans), le style documentaire de Ken Loach reste et émeut. Ainsi le film offre suffisamment de recul pour se questionner, y compris au-delà de ce qu’il montre des prises de position du réalisateur, sur l’ambivalence de la guérilla vis à vis des populations qui l’hébergent, la soutiennent ou en font partie. Il s’agira donc aussi de questionner ce qu’il y a de problématique dans ce passage de la lutte révolutionnaire à la guerre d’indépendance anti-impérialiste et nationaliste.

 

Spartacus

Stanley Kubrick – 1961 – VOSTF (USA) – 198’

Lundi 30 mars à 19h

Spartacus est la mise en scène par Kubrick de la plus célèbre révolte d’esclaves de l’antiquité. On va donc suivre Spartacus, acheté par Lentulus Batiatus qui veut en faire un gladiateur. La mort d’un esclave, tué par un général romain va ensuite déclencher une révolte dans le camp de gladiateur qui va tout ravager sur son passage, avec pour but de rejoindre des bateaux au sud de la botte. Des scènes de bataille dantesques et une bande originale épique permettront de surmonter la durée du métrage. Un film qui ouvre des perspectives sur le refus du cannibalisme social, sur la solidarité, le refus actif de l’encasernement et l’ouverture de brèches dans la normalité. L’oeuvre nous invitera également à une réflexion sur la résignation, y offrant des réponses disruptives et ce malgré une fin quelque peu assommante qui nous rappelle la dureté de la répression. « Nous perdrons quoi ? Tous les hommes perdent quelque chose en mourant, et nous mourrons tous. Mais un esclave et un homme libre ne perdent pas la même chose. Lorsqu’un homme libre meurt il perd le plaisir de la vie, un esclave lui perd sa misère. D’ailleurs la mort est la seule liberté pour l’esclave. C’est pourquoi il ne la craint pas. Et c’est pourquoi nous vaincrons. »

Puissance, impuissance et courage révolutionnaire

Vendredi 27 mars à 19h

Dans le cadre du cycle sur la violence, nous proposons de prendre ici les choses par un autre bout, peut-être plus individuel ou existentiel, mais pas seulement. Si dans notre contexte désactivé c’est un phénomène en recul, l’esthétisation et l’héroïsation des pratiques et des personnalités révolutionnaires reste un des écueils fondamentaux des mouvements révolutionnaires. Détruire les symboles, les mythes, les panthéons et les martyrs du pouvoir pour les remplacer par d’autres ne pourrait pourtant qu’insatisfaire quiconque penserait comme primordiale la part destructive et donc réellement disruptive du projet révolutionnaire. Aujourd’hui cette folklorisation(1) de la violence révolutionnaire – pour mieux la conjurer – est l’œuvre des militants eux-mêmes, et on peut affirmer tranquillement qu’elle est proportionnelle à l’absence de pratiques révolutionnaires réellement tranchantes, auxquelles on préfère aujourd’hui un petit quotidien militant (réel ou virtuel, on peut désormais militer sur son smartphone) qui ne diffère en rien ou presque de celui du militant réformiste pépère, voire de la normalité de ce monde, puisque les beaux discours, les slogans très radicaux et les likes endiablés n’ont jamais fait tomber un seul mur ici-bas.

Bien qu’une révolution des petits gestes sans violence soit un rêve qui embrasse volontiers le ridicule christique dans toute sa reddition, l’exercice de la violence dans des cadres pacifiés comme celui des démocraties actuelles(2) ne s’en retrouve pas moins relégué à une antiquité, en tout cas, il passe pour beaucoup moins « naturel » qu’il pouvait y paraître dans des sociétés et des époques bien plus marquées par l’agitation, l’imaginaire et la violence révolutionnaires. Il faut désormais du courage (et sans doute un peu de ce que la norme appelle « folie ») pour entreprendre de se mettre en jeu dans l’attaque d’un monde où ne se trouve même plus le courage de blasphémer, de « blesser » ou d’indisposer nos oppresseurs, auto-réprimés que nous sommes par toutes sortes de nouvelles théories farfelues véhiculées par l’université et adoptées parfois jusqu’au sommet de l’État, et disculpant ainsi les responsables réels de ce monde ignoble pourtant dénoncé par les révolutionnaires depuis des siècles(3) : le principe de l’État, l’idée de Dieu, de destin et de « Nature », le pouvoir et le Capitalisme. On préfère alors s’attaquer localement aux uns et aux autres dans la minutie des rapports sociaux et des comportements qu’ils entretiennent ensemble autour de soi, oubliant que nous sommes globalement plus de sept milliards d’individus (et plus encore de rapports) à réprimer et que le réformisme comme la répression sont des impasses fondamentalement contre-insurrectionnelles… On en viendrait à croire que pour se libérer, il suffirait de tuer un oppresseur, et donc de se tuer soi ou son voisin, puisque nous le serions tous. On sait pourtant déjà sur la question dite « écologique » que ce n’est pas en assainissant par la répression des mœurs ou la culpabilisation morale le « bilan carbone » de Jean-Pierre et Marie-Paulette de Livry-Gargan qu’on sera en mesure de préserver la Terre des pollutions humaines, alors quoi ? Cette prédation morale, cabalistique et cannibalesque est à vrai dire effrayante, et bien tout le contraire de tout courage révolutionnaire. Il nous faut réorienter nos flèches vers le pouvoir.

Il nous faut attaquer ce monde, ses fonctionnements, ses responsables et ses rouages – ils ont des noms et des adresses – plutôt que de compenser nos frustrations par la surveillance morale, le contrôle social diffus et la répression normative des autres individualités mutilées de ce monde, sinon nos mots sont à jamais creux et nos perspectives à jamais lâches, indifférentes et faibles. Une fois cela dit, il resterait à se contenter d’attendre la venue d’un surhumain messianique délivré de la peur d’agir et des enjeux mortifères de l’époque, et floqué d’un sens absolu du devoir et de l’abnégation, ou bien nous-mêmes à affronter ce qui nous maintient enchaînés dans des représentations faibles et impotentes de nous-mêmes pour pouvoir attaquer ce monde de façon diffuse et permanente. Sans panache, sans espièglerie, sans férocité et sans courage (qui peuvent tout aussi bien être des caractéristiques individuelles que collectives), il semble vain de vouloir détruire ce monde. Comment les trouver, comment les retrouver ? Quelle est cette castration sociale et civilisée qui nous intime de ne pas rendre les coups, et qui la plupart du temps y parvient ? Comment comprendre et traverser la peur que l’hostilité de ce monde peut provoquer et qui n’est pas forcément si contradictoire que ça avec le courage, tout autant que la peur de ce que nous pourrions faire de notre liberté ? Comment tuer le gendarme dans nos têtes ? Comment hacker le logiciel des dispositifs stérilisateurs du Surmoi ? Comment permettre l’élévation du niveau de la violence révolutionnaire asymétrique sans se reposer sur la délégation circonscrite de la pratique à des « professionnels » de la chose, leur délégant également le courage pourtant nécessaire à tout bouleversement, personnel comme révolutionnaire ?

La peur, le courage, la lâcheté, la violence, compagnons, camarades, discutons-en vraiment, en laissant les belles postures à l’entrée.

1 – Voir par exemple le travail critique effectué à la bibliothèque contre le piètre documentaire « Ni dieu ni maître, une histoire de l’anarchisme » (de Tancrède Ramonet, Arte, 2016)

2 – Dans lesquelles la violence se voit restreinte à un monopole exclusif, moral et physique des forces de l’ordre et de l’État (ainsi que le droit au port d’armes à feu et la permission de tuer), et dans un cadre privé de la famille, du groupe social et de la communauté, sous peine de sanctions parfois « violentes ».

3 – Encore une preuve de l’incongruité des « lanceurs d’alerte », des logiques de « révélations », de « Callouting », du prosélytisme, des belles paroles et du « dévoilement », s’il en fallait.

Sling blade

Billy Bob Thornton – 1997 VOSTF (USA) – 135

Lundi 23 mars à 19h

Il n’est pas comme nous, Karl, pour sûr. Il parle bizarrement, fait des trucs avec sa tête, a des centres d’intérêt qui ne sont pas les nôtres. Il a l’étrangeté d’un enfant dans un corps de géant. À l’âge de 12 ans, il a tué sa mère et son amant avec une faucille (« a sling blade »), alors ils l’ont enfermé pendant des dizaines d’années aux côtés de psychopathes sadiques. Parce qu’ils ne pouvaient plus le garder, parce qu’il n’est pas méchant, parce qu’il y a des lois, et bien que personne ne puisse le regarder dans les yeux sans le moquer, s’en inquiéter ou l’opprimer, alors ils l’ont fait sortir, après 25 ans d’internement psychiatrique. Karl ne connaît pas grand-chose à la vie et à l’extérieur, il connaît sa bible et en adopte les principes, mais personne ne voudra de lui pour sûr. Personne ? Ce n’est pas vrai. Il faut bien quelqu’un pour réparer ces tondeuses et Karl est particulièrement doué. Et puis il y a Franck, il se fout de tout ça. Il n’est pas flic, pas juge, pas psy, il ne se sent pas investi de la mission d’incarner la normalité pour s’en faire l’agent. C’est peut-être seulement parce qu’il est un enfant. C’est peut-être parce qu’avec un beau-père alcoolique aussi violent, instable et tyrannique que le sien, il appelait un peu son ange exterminateur. Puis Karl fera peut-être l’affaire pour rétablir la justice cosmique dans une communauté frappée de morosité. Une histoire d’amitié, de liberté et de violence généreuse et cathartique.