Le narcisse noir

Michael Powel, 1947, vostfr, 1h37

Dimanche 13 décembre à 19h,  

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Cinq nones anglicane de la Confrérie de Marie sont envoyées au fin fond de l’Himalaya pour y installer un couvent dans un palais niché tout en haut d’un pic rocheux dont les murs sont encore décorés de fresques qui illustrent son précédent usage de harem du prince local. L’isolement, la magnificence du lieu – et, peut-être, l’aide du diable -, mettront à mal le rigorisme choisi, exacerberont la tentation, jusqu’à ce que le spectateur soit pris lui aussi dans l’émergence désordonnée de désirs et de passions d’au-tant plus violents qu’ils sont coupables, dans une tension très maîtrisée par un réalisateur qui travaille chaque plan, les sons, les couleurs, les lumières avec une précision fascinante. Pour ce film à grand spectacle, Michael Powel refuse en effet la proposition grandiose de tourner en décors réels au Népal pour préférer une reconstitution en studio qui allie toiles peintes et effets spéciaux subtils à partir de plaques de verres décorées surimprimées sur l’image, le tout avec la luminosité si spécifique du technicolor, avec une confiance absolue dans un suggestivité des représentations presque plus forte que la réalité qui fonctionne avec le spectateur de manière finalement assez semblable aux fresques murales pour les nones. À partir de ce film, on pourra parler de morale, de religion et de toute les formes de répression qu’on peut infliger aux autres et à soi-même et des vagues désirantes qui irrépressiblement les submergent. On entre ouvre aussi la possibilité d’un cycle autour de la « nunsploitation », avec ces films d’exploitation qui, en Europe mais aussi au Japon, émergent dans les années 70 pour mettre en scène (et en question) la répression morale et religieuse, à travers des tentations forcément irrésistibles à la sexualité, à la terreur ou à la violence.

Tri des vies

Discussion co-organisée avec des participants au site Aux Enfermés du confinement

Lundi 14 décembre à 19h

 

Maintenant qu’on ne peut plus denier que la gestion de la crise sanitaire ne s’arrête pas au confinement, il nous faudra réfléchir avec un peu plus de recul la question du tri des vies tel qu’il s’opère dans le contexte de la pandémie mais également au-delà. Alors qu’il s’agit de nous « habituer à la surmortalité » en continuant une vie « normale » (confinement, métro, travail, école) tout en évitant de saturer complètement les hôpitaux, la froideur clinique gestionnaire est manifeste face à un virus qui s’attaque tout particulièrement aux pans les moins productifs de la société (les personnes âgées et ceux et celles qui se retrouvent enfermés dans des espaces où les mesures de protection sont plus compliquées à appliquer comme les prisons, les bidonvilles, les CRA, etc…). On se demandera donc comment et par qui la valeur des vies est hiérarchisée.

On a vu fleurir dès le début des différentes gestions sanitaires de la pandémie de covid à l’échelle internationale maints raisonnements parfaitement cyniques calculant le prix et la valeur des « vies humaines » selon des critères comme l’âge, la co-morbidité, l’état de santé, le profil économique, etc, à travers des éditos et des articles de presse, mais aussi comme raisonnements sous-jacents à des circulaires et consignes des ARS ou du ministère de la santé en France, faisant passer des mesures comme la fin temporaire du déplacement du SAMU dans les EHPAD, ou le maintien coûte que coûte des patients des établissements médico-sociaux hors des hôpitaux publics. A donc été publiquement assumée une normalité du « tri des vies », de la sélection et de la priorisation des soins, qui, en effet, a bel et bien lieu à travers les différentes formes de gestion de crise, jusqu’aux situations critiques de l’accès en urgence aux salles de réanimation dans les hôpitaux, refusé à des personnes jugées moins « prioritaires ». Si cette pratique existait déjà avant, le fait qu’elle puisse à ce point apparaître comme normale et justifiée par la « crise sanitaire », à un point où il est visible que tout un chacun n’est pour l’État qu’une matière première à traiter selon les impératifs du maintien du monde sur ses bases capitalistes, nous invite à prendre le temps de réfléchir à ce qui nous semble être un moment de l’histoire où de nombreux verrous sautent irrépressiblement dans les consciences démocrates du vieux monde. Pourtant, il peut être intéressant de réfléchir aux différentes formes qu’a pu prendre le « tri des vies » dans l’histoire, jusque dans ses applications gestionnaires extrêmes que peuvent être l’eugénisme, l’exclusion, voire la mise à mort, que celle-ci soit programmée ou non, tout en pensant la spécificité des formes actuelles de « tri ». Aux Fleurs Arctiques, nous réfléchissons justement depuis un certain temps à l’hypothèse d’un nouveau paradigme de gestion en train de se mettre en place, qui pourrait aider à comprendre le « tri des vies », celui de la « société assurancielle ». Cette hypothèse pourrait être approfondie à l’occasion de cette discussion. En effet, la « société assurancielle », c’est l’hypothèse d’une gestion se faisant par anticipation et prédiction des risques, en agissant dans le but de se prémunir a priori contre tout ce qui pourrait aller à l’encontre du développement du capital et de l’Etat. C’est « s’assurer » en gérant. Or, ce rapport au temps qui vise à assurer l’avenir, se retrouve justement à déterminer des choix de soin et de traitements, de rapports à la vie et à la mort, en faisant passer le maintien en bonne santé, le « capital santé », avant la préoccupation de la maladie. Nous proposons d’avoir le numéro 6 des « Feuilles Antarctiques » consacré à la société assurancielle comme base de la discussion, afin de poursuivre et d’approfondir cette réflexion avec tous ceux que cela intéresse.

Novembre 2020 : éléments d’un programme qui n’aura pas lieu

La bibliothèque Les Fleurs arctiques ayant fermé son local au public parce que la crise sanitaire et sa gestion par le confinement empêche que les éventements qui devaient s’y tenir soient véritablement publics. Le programme prévu ne sera pas mis en œuvre dans l’immédiat.

Toutefois, nous avons pris le parti de considérer que les pistes que certaines discussions ouvraient étaient importantes, très urgentes et d’actualité pour certaines, et donc de diffuser les textes d’appels à ces discussions, dans l’idée que cela suscite des débats bien réels ici ou là dont la réflexion révolutionnaire a, nous semble-t-il, besoin. On pense en particulier à la discussion « Attentats et Réactions » qui nous semble particulièrement urgente et nécessaire et à celle sur « Le tri des tri des vies ». Publier ces textes d’appels à discussion de manière anticipée permet également d’inviter largement à discuter de ces questions dans une optique subversive avec les moyens du bord et en fonction des limites et des difficultés actuelles, dès maintenant. Parce que nous ne voulons pas nous contenter du confort (relatif) de l’entre-soi, ce programme prendra donc une réalité physique -des dates- quand le contexte rendra possible que les initiatives soient véritablement publiques.

Attentats et Réactions

Comme on vit une époque formidable, ce qui fait irruption dans la normalité capitalisto-pandémique, c’est la décapitation d’un prof à la sortie des classes, parce que son banal cours sur la liberté d’expression a été pris pour une provocation blasphématoire à punir dans le sang. Plus encore qu’après les attentats de Charlie Hebdo, de l’Hyper Casher et ceux de novembre 2015, se réveillent les voix du repli réactionnaire et identitaire. On suggère donc, en proposant ce texte à la publication, une occasion de réfléchir de loin ensemble à ces « réactions » et à ce que cette période charrie d’immondices à travers elles et au delà.

Le 16 octobre, un professeur de collège est décapité à la sortie des cours, par un jeune homme qui s’est considéré comme le « bras armé » de Dieu, qui le punit pour avoir montré, lors d’un cours au programme d’éducation civique et morale sur la liberté d’expression, des caricatures tirées du journal Charlie Hebdo, en particulier la une du journal juste après la fusillade de janvier 2015. Cet assassinat intervient alors que des parents d’élèves, en lien avec des militants islamistes, ont manifesté leur mécontentement et désigné l’enseignant à la vindicte de ceux, parents comme élèves qui auraient été blessés dans leur Foi. Plus nettement encore qu’après les attentats de janviers 2015, des réactions pavlovienne émergent. Assez logiquement, le gouvernement cherche à rasseoir l’autorité républicaine, les enseignants comme missionnaires de la cohésion nationale et de la laïcité. Dans la droit ligne anti-immigrée du PCF des années 60, Mélenchon ravive la haine de l’autre et de l’étranger, relançant un racisme grégaire en stigmatisant explicitement « les tchétchènes ». Sur le site Paris-luttes.info est proposé, publié puis heureusement dépublié un texte qui analyse l’événement comme une situation où le professeur et son bourreau se seraient « entretués », l’un à coups de mots, et l’autre avec un grand couteau. Dans le torchon d’extrême droite « Valeurs Actuelles », le texte sera pris comme exemple pour dénoncer cette gauche qui serait complice des islamistes. Il est urgent de sortir de ce marasme. Ne pas trouver le moyen de réfléchir à la question largement et si besoin conflictuellement, c’est se laisser prendre en étau entre le racisme, le campisme, le populisme, le républicanisme, la complaisance avec la religion et ses passages à l’acte punitifs et sanglants que justifierait la défense paternaliste de « consciences blessées ». C’est laisser faire l’Etat, la religion, les dieux et les maîtres… Au prix de notre offensivité, du blasphème et de toute possibilité de subversion. C’est pour éviter les prêts-à-penser et parce qu’aucune autre occasion ne semble avoir été proposée (pour le moment) que nous appelons à cette discussion publique, large et ouverte autour des attentat et des réactions qu’ils suscitent.

Tri des vies

Maintenant qu’on ne peut plus denier que la gestion de la crise sanitaire ne s’arrête pas au confinement, il nous faudra réfléchir avec un peu plus de recul la question du tri des vies tel qu’il s’opère dans le contexte de la pandémie mais également au-delà. Alors qu’il s’agit de nous « habituer à la surmortalité » en continuant une vie « normale » (confinement, métro, travail, école) tout en évitant de saturer complètement les hôpitaux, la froideur clinique gestionnaire est manifeste face à un virus qui s’attaque tout particulièrement aux pans les moins productifs de la société (les personnes âgées et ceux et celles qui se retrouvent enfermés dans des espaces où les mesures de protection sont plus compliquées à appliquer comme les prisons, les bidonvilles, les CRA, etc…). On se demandera donc comment et par qui la valeur des vies est hiérarchisée.

On a vu fleurir dès le début des différentes gestions sanitaires de la pandémie de covid à l’échelle internationale maints raisonnements parfaitement cyniques calculant le prix et la valeur des « vies humaines » selon des critères comme l’âge, la co-morbidité, l’état de santé, le profil économique, etc, à travers des éditos et des articles de presse, mais aussi comme raisonnements sous-jacents à des circulaires et consignes des ARS ou du ministère de la santé en France, faisant passer des mesures comme la fin temporaire du déplacement du SAMU dans les EHPAD, ou le maintien coûte que coûte des patients des établissements médico-sociaux hors des hôpitaux publics. A donc été publiquement assumée une normalité du « tri des vies », de la sélection et de la priorisation des soins, qui, en effet, a bel et bien lieu à travers les différentes formes de gestion de crise, jusqu’aux situations critiques de l’accès en urgence aux salles de réanimation dans les hôpitaux, refusé à des personnes jugées moins « prioritaires ». Si cette pratique existait déjà avant, le fait qu’elle puisse à ce point apparaître comme normale et justifiée par la « crise sanitaire », à un point où il est visible que tout un chacun n’est pour l’État qu’une matière première à traiter selon les impératifs du maintien du monde sur ses bases capitalistes, nous invite à prendre le temps de réfléchir à ce qui nous semble être un moment de l’histoire où de nombreux verrous sautent irrépressiblement dans les consciences démocrates du vieux monde. Pourtant, il peut être intéressant de réfléchir aux différentes formes qu’a pu prendre le « tri des vies » dans l’histoire, jusque dans ses applications gestionnaires extrêmes que peuvent être l’eugénisme, l’exclusion, voire la mise à mort, que celle-ci soit programmée ou non, tout en pensant la spécificité des formes actuelles de « tri ». Aux Fleurs Arctiques, nous réfléchissons justement depuis un certain temps à l’hypothèse d’un nouveau paradigme de gestion en train de se mettre en place, qui pourrait aider à comprendre le « tri des vies », celui de la « société assurancielle ». Cette hypothèse pourrait être approfondie à l’occasion de cette discussion. En effet, la « société assurancielle », c’est l’hypothèse d’une gestion se faisant par anticipation et prédiction des risques, en agissant dans le but de se prémunir a priori contre tout ce qui pourrait aller à l’encontre du développement du capital et de l’Etat. C’est « s’assurer » en gérant. Or, ce rapport au temps qui vise à assurer l’avenir, se retrouve justement à déterminer des choix de soin et de traitements, de rapports à la vie et à la mort, en faisant passer le maintien en bonne santé, le « capital santé », avant la préoccupation de la maladie. Nous proposons d’avoir le numéro 6 des « Feuilles Antarctiques » consacré à la société assurancielle comme base de la discussion, afin de poursuivre et d’approfondir cette réflexion avec tous ceux que cela intéresse.

We need to talk about Kevin

Lynne Ramsay – 2011 – VOSTF (USA) – 110’

Lundi 21 septembre à 19h30

Construit sous la forme de flash-backs désordonnés menant tous irrémédiablement à un drame terrible dont on ne comprendra la nature qu’assez tard, ce film américain esthétiquement fascinant a subi de violentes critiques, notamment parce qu’il est difficile à prendre en main tant il est dur et psychologiquement brutal tout en ne donnant aucune explication simpliste et moralisatrice sur son sujet. On y explore à nouveau, et notre ciné-club au long cours sur la famille témoigne à chaque fois de l’intérêt de le faire, les liens familiaux pathogènes, mais sous un angle autre. Que se passe-t-il lorsqu’une relation d’amour entre une mère et son fils est un échec dès la naissance, lorsque le bruit du marteau-piqueur est préféré à celui du bébé ? Ici, les ravages de l’absence d’amour d’une mère, du défaut de présence d’un père, d’un maternage défectueux, et leurs liens avec la construction et la naissance d’une incarnation du « mal » dans toute sa banalité sont traités sans filtre, et c’est parfois plus dur à entendre et regarder que ne le serait un film d’horreur (ce que ce film n’est pas), non pas à cause d’images gores ou choquantes, mais bien à cause de rapports sociaux intolérables. C’est comme la famille, cette horreur qui n’est pas un film. On se souvient encore que Massacre à la tronçonneuse n’avait pas besoin de se livrer au gore puisque c’était la famille elle-même qui faisait horreur. Ici aussi, et pourtant, aucune saleté, aucune dystopie, aucune misère autre qu’affective, aucune surenchère de sévices inimaginables. Quelques maltraitances « banales », des regards exsangues, des bouches obliques, rien de bien tonitruant avant un final effroyable. L’horreur est lancinante. S’il peut se trouver difficile de regarder et même de penser ce film fiévreux dans la solitude, il sera certainement enrichissant d’en discuter ensemble et de retrouver de l’équilibre pour sortir de l’apathie possiblement provoquée par un tel vertige, par cette expérience nihiliste.

Sling Blade

Billy Bob Thornton – 1997 – VOSTF (USA) – 135’

Lundi 28 septembre 19h30

Il n’est pas comme nous, Karl, pour sûr. Il parle bizarrement,fait des trucs avec sa tête, a des centres d’intérêt qui ne sont pas les nôtres. Il a l’étrangeté d’un enfant dans un corps de géant. À l’âge de 12 ans, il a tué sa mère et son amant avec une faucille(« a sling blade »), alors ils l’ont enfermé pendant des dizaines d’années aux côtés de psychopathes sadiques. Parce qu’ils ne pouvaient plus le garder, parce qu’il n’est pas méchant, parce qu’il y a des lois, et bien que personne ne puisse le regarder dans les yeux sans le moquer, s’en inquiéter ou l’opprimer, alors ils l’ont fait sortir, après 25 ans d’internement psychiatrique. Karl ne connaît pas grand-chose à la vie et à l’extérieur, il connaît sa bible et en adopte les principes, mais personne ne voudra de lui pour sûr. Personne ? Ce n’est pas vrai. Il faut bien quelqu’un pour réparer ces tondeuses et Karl est particulièrement doué. Et puis il y a Franck, il se fout de tout ça. Il n’est pas flic, pas juge, pas psy, il ne se sent pas investi de la mission d’incarner la normalité pour s’en faire l’agent. C’est peut-être seulement parce qu’il est un enfant. C’est peut-être parce qu’avec un beau-père alcoolique aussi violent, instable et tyrannique que le sien, il appelait un peu son ange exterminateur. Puis Karl fera peut-être l’affaire pour rétablir la justice cosmique dans une communauté frappée de morosité. Une histoire d’amitié, de liberté et de violence généreuse et cathartique.

Projection/discussion autour du documentaire « Touch The Sky : Stories, Subversions, & Complexities of Ferguson »

Pour que la subversion ne soit jamais reléguée au rang du passé mais permette la révolution aujourd’hui, discussion autour du documentaire Touch The Sky : Stories, Subversions, & Complexities of Ferguson (2019, Saint Louis), en relation avec les événements émeutiers qui ont suivi la mort de Georges Floyd.

Samedi 3 octobre 19h

L’ignominie de la mort de Georges Floyd et les premières colères émeutières qui s’en sont suivi sont encore récentes, fraîches dans nos mémoires et dans la solidarité qui peut s’exprimer encore aujourd’hui à l’international avec une mobilisation qui se poursuit et se relance sans cesse en plusieurs point du territoire américain. En effet, cette colère n’est encore ni éteinte ou ni totalement récupérée, elle est encore bien vivace, comme à Portland par exemple ou les nuits d’émeutes violentes se succèdent encore depuis plusieurs mois. Elle se répercute à Kenosha dans le Wisconsin ces derniers jours après que Jacob Blake s’est pris 7 balles de la part d’un flic et que deux manifestants se sont fait abattre par un jeune membre d’une milice de nationalistes. Mais certaines phases émeutières moins récentes risquent malheureusement, le temps passant, de tomber dans des formes de déni, de légitimation a postériori ou de récupération politique et idéologique qui gommeront comme presque toujours l’intensité propre ainsi que les conflictualités internes si précieuses de ces moments subversifs, ou pire encore, dans l’oubli. Il en ressort donc qu’il existe un besoin, peut-être vital pour le mouvement révolutionnaire, de se rappeler de ces moments émeutiers qui passent malgré nous du présent au passé, et non seulement d’en garder la mémoire mais d’aller à contre-courant de cette force monstrueusement puissante qu’est le temps de la reconstitution historique faite pour que l’existant perdure malgré tout, en ramenant quelque chose de cette subversion passée vers le présent, pour en maintenir l’existence et la conflictualité et avoir une chance d’en finir avec ce monde de pouvoir, d’exploitation n et de domination. En 2014, un mouvement émeutier similaire par certains aspects à celui que nous connaissons actuellement aux Etats-Unis a eu lieu à Ferguson et ses environs. Similaire de par son point d’origine, la colère de milliers de personnes déclenchée par un meurtre policier qui vient faire déborder un vase toujours trop plein, comme par sa portée, avec des incendies violents, un rapport de force où l’autorité de la police est remise en question fondamentalement, et par les efforts constants de récupération politique non-violente de certains représentants plus ou moins « populaires ».

Récemment, un documentaire est sorti pour l’anniversaire de cette émeute passée, un documentaire de lutte qui essaye de faire survivre à travers le temps l’expérience d’un moment subversif qui devrait ne jamais être oublié. Qui essaye aussi et surtout de faire exister les conflictualités qui ont composés ce moment, conflictualités que tous les acteurs de la pacification sociale cherchent en toute logique à désactiver. Ce documentaire, Touch The Sky: Stories, Subversions, & Complexities of Ferguson, composée d’images journalistiques ou policières, mais aussi d’images internes à la lutte, peut nous faire réfléchir à notre époque présente, aux émeutes que nous voyons ou vivons aujourd’hui, pour que la subversion ne s’éteigne jamais. Il ouvre la possibilité d’une réflexion théorique sur des questions crucialement révolutionnaires, comme le rapport à l’histoire des luttes par exemple, tout autant qu’il pose des questions davantage liées à des pratiques, le pillage, la notion de « violence » et ses détracteurs, les processus de pacification sociale. Encore et simplement à la subversion de l’ordre établi sous de nombreuses coutures comme celle du rapport à l’autorité et son renversement, celle de l’espace urbanisé, et une multitude d’autres. Cette projection s’inscrit dans un travail de longue haleine entretenu à la bibliothèque des Fleurs Arctiques, autour de la transmission de l’héritage révolutionnaire, par exemple par la critique du documentaire Ni Dieu Ni Maître de Tancrède Ramonet qui a déjà été esquissée et qui sera encore approfondie à l’avenir. Au contraire de celui que nous allons projeter à propos de Ferguson, le docu-fiction de Ramonet présente une histoire des luttes au contraire lissée et simpliste, bonne à être ingérée à une heure de grande écoute avant de passer à la téléréalité du créneau suivant, ayant perdu tout contact avec les aspérités, la vivacité et les complexités des épisodes csubversifs qu’il (mal)traite. Après le visionnage de Touch The Sky: Stories, Subversions, & Complexities of Ferguson, trouvons ensemble des outils et des moyens d’aller à l’encontre des dynamiques pacificatrices dont nous sommes entourés et qui sont bien propres à un système qui cherche naturellement à se protéger des attaques de divers ordres qui lui sont portées.


Spartacus

Stanley Kubrick – 1961 – VOSTF – 198’

Lundi 5 octobre 19h30

 

Spartacus est la mise en scène par Kubrick de la plus célèbre révolte d’esclaves de l’antiquité. On va donc suivre Spartacus, acheté par Lentulus Batiatus qui veut en faire un gladiateur. La mort d’un esclave, tué par un général romain va ensuite déclencher une révolte dans le camp de gladiateur qui va tout ravager sur son passage, avec pour but de rejoindre des bateaux au sud de la botte. Des scènes de bataille dantesques et une bande originale épique permettront de surmonter la durée du métrage. Un film qui ouvre des perspectives sur le refus du cannibalisme social, sur la solidarité, le refus actif de l’encasernement et l’ouverture de brèches dans la normalité. L’oeuvre nous invitera également à une réflexion sur la résignation, y offrant des réponses disruptives et ce malgré une fin quelque peu assommante qui nous rappelle la dureté de la répression. « Nous perdrons quoi ? Tous les hommes perdent quelque chose en mourant, et nous mourrons tous. Mais un esclave et un homme libre ne perdent pas la même chose. Lorsqu’un homme libre meurt il perd le plaisir de la vie, un esclave lui perd sa misère. D’ailleurs la mort est la seule liberté pour l’esclave. C’est pourquoi il ne la craint pas. Et c’est pourquoi nous vaincrons. »

Parasite

 Bong Joon-ho – 2019 – VOSTF – 132’

Lundi 12 octobre 19h30

Après avoir déjà projeté lors de ciné-clubs passés Okja, Snowpiercer et The Host, nous vous proposons de voir le dernier film en date du réalisateur sud-coréen, Bong Joon-ho, sorti en 2019 : Parasite. C’est l’histoire de deux familles, l’une miséreuse et l’autre bourgeoise, de deux mondes complètement opposés qui rentrent subitement en collision, et de cette confrontation ressort violemment l’horreur des rapports de pouvoir et de subordination. Une famille pauvre donc, qui vit dans une grande précarité dans la banlieue de Séoul, la famille Kim, joue de son ingéniosité pour se faire embaucher dans une famille bourgeoise, la famille Park. Pour cela, ils se font passer pour des intendants, des cuisiniers et des chauffeurs de luxe, mais est-ce vraiment l’apparence de richesse qui fait la classe, qui donne le pouvoir ? Ce film interroge sur ce qu’est profondément la bourgeoisie, sur ce qui constitue la classe, au-delà de la propriété et des richesses, dans le rapport aux autres, à soi-même et à l’imprévu, sur ce qui dans notre monde est empêché ou permis par elle et ce que cela a de révoltant.

Le vent se lève

Ken Loach – 2006 – VOSTF – 124’

Lundi 14 septembre 19h30

Le vent se lève, sorti en 2006, est un film de Ken Loach qui inscrit son récit dans les guerres irlandaises de 1919 à 1923. Guerre contre l’occupant britannique de 1919 à 1921. Guerre civile de 1921 à 1923. Le film retrace le parcours de deux frères, Damien et Teddy, tout deux membres de l’IRA et confrontés aux
différentes phases du conflit. De l’unité d’abord, face à l’empire britannique. Aux divisions ensuite, entre partisans du compromis par la partition du territoire irlandais, et volonté de poursuivre la guerre jusqu’à la victoire totale.
Le réalisateur livre ici une splendide fresque poétique, entre courage, renoncements et trahisons, sur fond de paysages irlandais diablement bien filmés. Une fresque politique également, à la subjectivité assumée. Le réalisateur, qui réclama en 2013 la privatisation des obsèques de Margaret Thatcher, est sans équivoque dans le portrait qu’il dresse de l’occupant et des « Black & Tans » (unité auxiliaire composée d’anciens combattants de la première guerre mondiale). Sans équivoque aussi dans son positionnement en faveur de la poursuite du conflit, contre les partisans du compromis. Malgré son côté poignant et l’attachement que l’on porte aux protagonistes (notamment grâce à un Cillian Murphy en pleine forme à tout pile trente ans), le style documentaire de Ken Loach reste et émeut. Ainsi le film offre suffisamment de recul pour se questionner, y compris au-delà de ce qu’il montre des prises de position du réalisateur, sur l’ambivalence de la guérilla vis à vis des populations qui l’hébergent, la soutiennent ou en font partie. Il s’agira donc aussi de
questionner ce qu’il y a de problématique dans ce passage de la
lutte révolutionnaire à la guerre d’indépendance anti-impérialiste et nationaliste.

Quel internationalisme révolutionnaire aujourd’hui ?

Contre le chacun chez soi, pour les révoltés de partout et d’ailleurs

Vendredi 18 septembre à 19h

 

Faire exister des rapports avec les révoltes d’ailleurs, qui ont lieu dans d’autres endroits que ceux ou chacun se situe précisément, est d’une importance capitale d’abord. Déjà, c’est la porte qui permet de sortir des raisonnements étriqués, coincés à des échelles absurdes et bien souvent autant institutionnelles que mythologisées comme la ville, le quartier, ou encore le pays, le peuple ou la nation. Ce faisant, le discours s’affine en trouvant le chemin d’uneuniversalisation  concrète, du côté des luttes et des révoltes, ce qui permet alors une attaque et une critique de l’État, à titre d’exemple, mais l’État en tant que système, et pas simplement de l’État français, américain ou chilien. Un des questionnements, que l’on pourrait voir comme un des enjeux de l’internationalisme, devient alors de garder la complexité de chaque situation singulière tout en pensant, critiquant et attaquant l’ensemble. C’est un questionnement nécessaire, car il découle de la pensée qui aborde l’État comme une structure de pouvoir allant à l’encontre de la liberté de chacun comme de tous, et que ce « chacun » et ce « tous », pour recouvrer cette liberté, doivent l’attaquer et la critiquer dans ses fondements, et ce quels que soit leurs histoires ou l’endroit où ils y sont confrontés. Ces raisons viennent évidemment conforter une empathie immédiate avec les révoltes d’ailleurs, qui peine parfois à trouver de quoi se réaliser dans la pratique.Des brigades internationales pendant la guerre d’Espagne à l’attaque des intérêts d’un État contre lequel d’autres se révoltent, en passant par les luttes contre les guerres coloniales,l’élan internationaliste a d’ailleurs une histoire, et toujours les révolutionnaires de toutes sortes ont cherché à dépasser l’enfermement de « leurs » frontières pour se solidariser en parole et/ou en actes avec d’autres révoltés ou révolutionnaires et ne pas se satisfaire de considérer que la révolution se fera parce que chacun lutte là où il est. Néanmoins, cette histoire a aussi montré certaines limites. Limites de l’anti-impérialisme, avec ses écueils « orientalistes » (vive la violence et les armes quand ça se passe loin et que c’est « exotique », mais vive les élections et les pétitions gauchistes ici…), ou sa tendance à prendre les dirigeants issus de la décolonisation, et parfois même des tyrans sanguinaires comme Ho-Chi-Minh, Mao, Pol-Pot ou Khadafi,pour des figures révolutionnaires, confondant ainsi les révoltés avec leurs nouveaux dirigeants. Limites, certes beaucoup moins graves, mais à réfléchir quand même, du « tourisme militant »qui peuvent conduire à se déplacer de révolte en révolte ici ou là pour n’y chercher finalement rien d’autre qu’un maximum d’adrénaline. La solution serait-elle alors de se replier sur des enjeux strictement locaux et immédiats, de ces enjeux dont nous serions sûrs d’être pleinement les premiers concernés ?D’autant plus dans une époque où se développe une pensée et des pratiques particularistes dans le sens où l’objectif n’est plus l’analyse et l’attaque globales, mais devient la particularisation de chacun dans sa petite situation, sa petite identité toujours plus restreinte et étriquée, définie par mille mots et définitions, milles cases toujours plus petites. On se focalise sur une portion de lutte, un quartier par exemple, en ne cherchant jamais à mettre en exergue les aspects communs que peuvent avoir des situations singulières, mais en cherchant à montrer au contraire à quel point les conditions de chacun sont différentes et séparées. C’est bien parce que nous ne le pensons pas que nous proposons cette discussion.Alors ce sera l’occasion à la fois de reparcourir différents moments de cette histoire, mais aussi de se demander que l’internationalisme peut être mis en pratique aujourd’hui, un« aujourd’hui » qui s’embrase de mouvements émeutiers et d’actes de révoltes qui mettent à mal la tranquille existence de la domination et de l’exploitation. Face à Portland, dont la normalité ne trouve que peu de repos depuis quelques mois de révoltes continues, face aux émeutes de Beyrouth qui explosent de colères sur les ruines causées par l’horrible explosion d’un nitrate « oublié » par l’Etat, et face entre autres à tous ceux qui se mutinent et s’évadent des prisons du monde entier pour fuir la double-peine de l’enfermement avec le coronavirus, nous ne pouvons nous contenter de regarder.Cette discussion sera donc l’occasion de se demander comment trouver le moyen d’avoir une prise et un impact sur ces événements qui nous sont si distants par bien des aspects mais dont il nous faut bien pourtant trouver des manières de nous rapprocher.