Mercredi 27 septembre à 19h
Discussion à partir de Les libertaires et la politique, André Prudhommeaux
Quelle attention prêter au monde qui nous entoure et à ceux qui l’habitent quand on est révolutionnaire ? Le risque de se perdre dans la politique et ses tactiques à courte vue doit-il conduire au choix finalement confortable de s’en « insoucier » ? Doit-on garder les yeux rivés sur la résolution pure et parfaite des problèmes posés par ce monde ; et ce, au nom de principes jamais mis à l’épreuve de la réalité et de sa complexité ? A l’inverse, se soucier du monde signifie-t-il qu’on doive se perdre dans les méandres du pragmatisme et courir comme un canard sans tête après chacune des circonvolutions de l’actualité en se convaincant que le grand soir est à la porte de chaque soubresaut ? C’est la réflexion que propose André Prudhommeaux en 1954 dans le texte à partir duquel nous proposons de discuter. Au-delà même de poser les deux extrêmes de ce continuum, il émet l’hypothèse que ces deux positions, en apparence opposées, se révèlent être les deux faces d’une même pièce. Il montre comment, face à des événements inouïs, ces attitudes peuvent s’entendre, voire se compléter ou s’inverser.
Alors il propose la perspective d’un « juste milieu » entre ces deux pôles, d’une distance au monde qui serait la bonne pour lui prêter attention sans s’y perdre ni s’y adapter, pour construire ce qu’il nomme joliment « une anti-politique clairvoyante ». Etre à la fois dans et contre ce monde sans se réfugier dans une manière d’être contre illusoire qui nous en sépare et interdit toute possibilité d’effectivité à nos interventions et toute pertinence à nos analyses.
Cette question ne cesse de se poser, différemment selon les époques et les caractéristiques du mouvement révolutionnaire : elle est au fondement même de la question de l’intervention. Elle est cruciale dans une époque comme la nôtre. Si, en d’autres temps, c’est l’activisme politique qui triomphait au dépend des perspectives révolutionnaires, aujourd’hui, des attentats de Daech à l’emprise grandissante de la norme et de la morale religieuse, la tentation de préférer persévérer dans son être révolutionnaire construit en chambre, en dépit de tout, plutôt que d’affronter les enjeux de l’époque est très présente. Car en effet chercher à se mettre à la hauteur des enjeux actuels, quitter « l’insouci », c’est sans doute quitter un certain confort, ouvrir des questionnements dont nul ne connaît ni l’ampleur, ni la fin, et que personne ne peut prétendre maîtriser dans tous les sens du terme. C’est prendre un risque véritable, sans lequel tout ce que nous pourrons tenter restera inévitablement vain. Pourtant, la perspective révolutionnaire de la liberté pour tous nécessite de prêter attention au monde qui nous entoure et à ceux qui l’habitent. C’est de cet équilibre fragile et encore à trouver que nous souhaitons discuter.