Le désert américain sans foi ni loi, un marshall dur et sans pitié qui part dans un road-trip à la poursuite de hors-la-loi coupables d’un lâche assassinat qui se réfugient dans une réserve indienne inaccessible : une histoire de traque où la justice est évincée par la vengeance et où les représentants de l’ordre ne sont pas très différents des bandits qu’ils poursuivent dans une Amérique aux institutions balbutiantes : un western. Les frères Coen reprennent là un premier True Grit (Cent Dollar pour un sheriff) de 1969, chef d’œuvre du genre, mettant en scène John Wayne dans le rôle du marshall inflexible, vraiment courageux, finalement ému par la quête de vengeance d’un très jeune garçon dont le père a été assassiné. L’hommage rendu au film d’origine et par delà au genre lui-même va jusqu’à des clins d’œil comme la reprise textuelle d’un célèbre faux raccord, caractéristique annexe du genre. Chez les frères Coen, le duo formé par le vieux marshall borgne à la peau dure et cette fois l’adolescente beaucoup plus déterminée que son âge, son genre et son statut social ne pourrait le laisser présager va interroger davantage et différemment la question de la ténacité, du « courage véritable », du prix à accepter de payer quand on se met en jeu corps et âme. Si on propose de regarder ensemble ce film c’est, au-delà du plaisir romanesque du genre, pour questionner cette question de l’engagement, de ce qu’on engage, jusqu’à quel point, question qui nous semble aujourd’hui primordiale, alors que la mesure et la limitation des risques semble devenue la boussole du Capital mais aussi trop souvent celle des milieux militants, jusqu’à invalider toute possibilité de réelle conflictualité.
La date qui circulait depuis le début de l’été comme le lancement du nouveau mouvement social Bloquons Tout est passée. Le 10 septembre dernier, plusieurs centaines de milliers de personnes dans toute la France se sont mobilisés. Des blocages de dépôts de bus, d’autoroutes, de périphériques, de centres logistiques, de supermarchés, de lycées et d’universités, des péages gratuits, des grèves, des sabotages du réseau SNCF, des manifestations sauvages ont eu lieu. Beaucoup de personnes dans les rues, et une volonté de s’organiser pour échapper aux traditionnelles manifestations syndicales type 14h République-Nation. Tout n’a pas été bloqué, certes, et depuis, la mobilisation qui pouvait laisser penser certains à un retour des Gilets Jaunes, n’a pas réussi, pour l’instant, à dépasser le cadre imposé par les syndicats qui, en bons pacificateurs, ont décidé d’appeler à une journée de grève le 18 septembre. Prenons du temps pour discuter de ce qu’il s’est passé le 10 et le 18 septembre. Qu’est-ce qui a manqué ou qui au contraire était intéressant ou nouveau ? Quelles sont les impasses ou les tensions de cette mobilisation ? Comment penser la répression qu’il y a eu et les pratiques collectives qu’on peut y opposer ? Comment est-il possible d’intervenir ? Une fois que Lecornu se sera fait jeter de Matignon, sur la pression d’un mouvement social ou par le jeu de politicards, comment éviter que la mobilisation ne meurt parce qu’il aurait « gagné » ? Et s’il y a mouvement, comment éviter qu’il ne serve seulement de tremplin aux partis de gauche qui, tout en cherchant à le pacifier, cherchent aussi à s’en servir pour conquérir des places au pouvoir ? Il nous faut trouver des voies qui nous émanciperons des impasses de l’attente des dates hypothétiques d’une intersyndicale pour qui la lutte est des invitations à l’Elysée pour négocier et des cortèges bien organisés où la dissociation de la moindre tentative est le mot d’ordre. Marre des calendriers des politicards, nous n’avons rien à attendre d’une motion de censure ou de nouvelles élections. Ce n’est pas d’une voie démocratique que viendra l’émancipation contre l’État et le capitalisme. Venez discuter le mercredi 24 septembre à 19h30 pour discuter ensemble de toutes ces questions et de la période politique.
A travers ce film qui retrace ce qui a précédé la fusillade de Columbine, schoolshooting resté dans les mémoires, qui a eu lieu en 1999 et au cours duquel deux adolescents sont entrés armés dans leur lycée et y ont tué douze élèves et un prof, Gus Van Sant prend le parti de montrer comment la banalité de la vie se retrouve complètement pulvérisée par le projet de deux élèves qui ont accumulé assez de ressentiment et de mal-être pour décider de se préparer à tirer sur l’ensemble de cette normalité. Montrer n’explique pas, ne réduit pas la radicalité terrible de cet acte auquel on entrevoit pourtant mille cause liées à un système éducatif étouffant, à des relations sociales profondément destructrices, à des blessures que le sérieux de l’adolescence peut rendre radicalement invivables,. La singularité de cet acte de destruction du plus de parcelles possibles d’un univers fermé et irrespirable, au prix de la vie de ses semblables, et en même temps sa relative banalité vu le nombre de schoolshooting qui ont eu lieu avant et depuis aux USA, c’est ce que ce film interroge en restituant plusieurs points de vue sur ce qui précède la fusillade, avec une caméra qui cherche les détails plus ou moins anodins dont la combinaison mènera au déferlement de violence qui vient clore le film. Ce sera pour nous l’occasion de poursuivre des fils déjà évoqués comme le rapport à l’école ou la vengeance.
Avant mai 68, le PC voit naitre de nombreux groupes formés en son sein devenir dissidents, voulant s’écarter de la ligne post-stalinienne en réaction à la politique de l’URSS, jugée alors « révisionniste ». Ces groupes s’enthousiasment alors pour la (sanglante) Révolution culturelle chinoise poussée par Mao, et voit dans la Chine la nouvelle patrie modèle du marxisme-léninisme. En mai 68, dans les grèves et les occupations traversées par un foisonnement de tendances très diverses (libertaires, trotskistes, marxiste-léninistes, mao-spontex,…), les maoïstes constituent une part importante du mouvement. Quand celui-ci touche à sa fin, enterré par les accords de Grenelle signés par la CGT, c’est l’occasion pour eux de prôner la prise de distance avec les syndicats et de recentrer l’activité sur la création de l’organisation « à la base » au sein même des usines, avec l’incorporation volontaire de militants de l’avant-garde maoïste dans les usines, censés procéder à l’accentuation des luttes internes aux fabriques contre les tendances réformistes et « révisionnistes » et pousser l’idéologie marxiste-léniniste. C’est le mouvement des établis. De nombreux intellectuels maoïstes vont ainsi cacher leur statut initial et se faire embaucher dans les usines comme ouvriers spécialisés. Robert Linhart, normalien, élève de Louis Althusser, et militant mao à la Gauche Prolétarienne, est l’un deux. Il se fait embaucher à l’usine Citroën à Porte de Choisy en septembre 1968 et reste à travailler 1 an dans l’assemblage et le travail à la chaîne. Il en tirera le livre L’Etabli sorti en 1978, où il détaille premièrement son accommodement difficile à la vie d’ouvrier (la dureté du travail à la chaîne, les gestes répétitifs harassants, la fatigue physique, les brimades et les pressions exercées par les petits chefs) mais aussi l’organisation du travail à l’usine par les méthodes de surveillance, la répartition raciste des ouvriers, les rapports quotidiens avec les syndicats. Puis, le livre donne le récit de l’organisation de la lutte dans l’usine à travers le déclenchement d’une grève et les débats, les délibérations et les négociations qu’elle provoque. L’Etabli a été adapté en film en 2023 par Mathias Gokalp. On se propose de le visionner ensemble puis de discuter plus largement de la question de l’établissement, en profitant de quelques retours d’expérience. Ce sera l’occasion ainsi d’interroger la pratique de l’établissement et ce qu’elle traduit dans le rapport idéologique et fétichiste à la « classe ouvrière » et à en « faire l’expérience de sa condition» dont ont pu faire preuve les maos mais aussi d’autres sous des formes différentes. On se rappelle que presque 40 ans auparavant, Simone Weil, jeune professeur de philosophie et révolutionnaire, décida également de devenir ouvrière sur presse chez Alsthom puis fraiseuse chez Renault, expérience dont elle contera la dureté dans son Journal d’usine. Comme Linhart d’ailleurs, elle abrégea son expérience en raison d’un épuisement physique et psychologique (de fait, peu d’établis iront jusqu’à dépasser quelques années d’établissement face à la dureté du quotidien mais aussi les changements dans le quotidien qu’il incombe face à la famille, les amis, les collègues à l’usine …), voyant de fait que l’écrasant quotidien ouvrier laisse plus difficilement la place à la lutte. On pourra aussi réfléchir plus largement au rapport des révolutionnaires à l’ « enquête ouvrière » (c’est-à-dire l’idée qu’il faut enquêter sur les conditions de vie concrète des ouvriers pour parfaire la théorie et la pratique révolutionnaire) prôné régulièrement par des révolutionnaires depuis le XIXème siècle, de Karl Marx aux opéraïstes italiens dont certaines théories ont eu une influence dans l’Automne Chaud et le Mai Rampant italien en passant par les maos, qui ont poussé cette réflexion à son paroxysme. Sur un autre plan, s’il y a fort à critiquer dans le rapport idéologique à l’usine et à « faire l’expérience de la vie de l’ouvrier », bercé des illusions autoritaires et ouvriéristes maoïstes, il reste de l’expérience de tous ces établis un engagement conséquent, un dévouement à la lutte, qui paraît en décalage avec notre époque, où la résignation et l’apathie semblent avoir pris le pas sur le désir de faire rupture et de consacrer une partie considérable de son existence à faire cette satanée Révolution ! Un engagement complexe faisant partie de l’histoire des luttes, qu’on se propose donc de discuter ensemble à la bibliothèque.