Que faire aujourd’hui de la question de l’organisation ?

Vendredi 31 mai 19h

Parcourir l’histoire des expériences confrontatives et révolutionnaires permet de constater une grande variété de positionnement sur la question de savoir comment s’organiser (ou refuser de le faire). Malgré les apparences, l’importance de cette question ne réside pas seulement dans des questions de contingences tactiques (rien de plus efficace qu’une armée… mais on a pu voir le type de révolution dont une armée est capable!), car la manière dont on s’organise donne forme aux rapports qui se construisent dans les luttes et les expériences révolutionnaires, et aussi parce que, qu’on le veuille ou non, c’est bien souvent cette manière de faire qui se transmet d’expérience en expérience.

La question est parfois ouvertement posée, parfois elle ne l’est pas, souvent ce qui en est dit formalise une réalité bien plus complexe, voire la contredit. Ne pas la poser en prétendant l’avoir déjà résolue dans un corpus doctrinal auquel il suffirait de se conformer revient en général à promouvoir des pratiques et fonctionnements autoritaires dont le vingtième siècle et son léninisme devrait avoir conduit à faire sérieusement table rase. Et pourtant, alors même que les années 70 ont initié une critique sans appel de ces fonctionnements partidaires et, au-delà, des travers produits par la volonté de construire des Organisations, on en retrouve aujourd’hui ici ou là des relents inattendus.

« Que faire ? » ou plutôt peut être « comment faire ? » en attendant la révolution et pour qu’elle advienne : la question reste ouverte et son déni n’apporte bien souvent pas de meilleures solutions que sa résolution forcée. Il est évident qu’elle se pose de manière d’autant plus intéressante que la situation qui l’impose l’est aussi. Dans le désert, la tentation des ratiocinations stériles est tenace. La réduction des enjeux en période de disette produit aussi des ravages : savoir comment faire tourner les tâches ménagères dans un squat n’est pas exactement du même ordre que se demander comment vivre et se battre pendant la Commune. Il reste qu’on touche aux mêmes types de questionnements et qu’on donne en général à ce qui est proposé une valeur universelle.

C’est effectivement en période de disette révolutionnaire que sort aux Etats-Unis un texte qui va être abondamment traduit et servir de bible à toute une aire alternativiste qu’on pourrait dire post-révolutionnaire. La tyrannie de l’absence de structure de Jo Freeman qui part du constat que le refus de se structurer n’empêche pas qu’une structure existe dès lors qu’on fait quelque chose à plusieurs, veut tout simplement, en prenant la question de manière complètement anhistorique, revenir au bon sens de la bonne gestion formalisée comme solution non seulement efficace mais plus anti-autoritaire que le laisser-aller du refus de l’organisation (qui produirait automatiquement la reproduction des travers autoritaires des rapports de ce monde). Sortant des milieux alternativistes, cette brochure devient aujourd’hui une référence en termes d’organisation subversive, comme un retour critique qui remettrait de l’ordre face à des expériences trop libertaires, trop « anarchiques », non sans conséquences sur les manières de faire anti-autoritaires. Et voilà balayées toutes les critiques du Parti, les subtilités autour de la question de savoir si on peut s’organiser en refusant l’Organisation, les réflexions autour de l’affinité comme point de départ de l’action, toutes ces élaborations théorico-pratiques qui nous intéressent justement par leurs contradictions et polémiques utiles. Encore une fois on nous propose une solution à une question qui n’a d’intérêt sans doute que si elle reste ouverte.

C’est ce que nous voudrions discuter sur la base critique du texte de Jo Freeman et en lien avec la traduction en cours à la bibliothèque du texte de Jason McQuinn qui y répond : « A Review of The “Tyranny of Structurelessness”: An organizationalist repudiation of anarchism »

On y parlera donc de ce que peut signifier « s’organiser dans des perspectives anti-autoritaires », de savoir si cette expression a un sens ou s’il faut refuser jusqu’au terme lui-même, et surtout des risques qu’il y aurait à refermer cette question sur des théories ou des pratiques qui prétendraient l’avoir résolue.